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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 01:55

Cela faisait longtemps que je n'avais pas commandé un Campari soda, un de ces vrais breuvages à la couleur d'azalée, de manchon de soie, d'un rouge chatoyant et moiré où flotte un gros jeton d'orange entre des cubes glacés – et ma mémoire aussi, dépourvue de souvenirs récents était comme privée de l'espace-goût que procure un « vrai » Campari. C'est à dire privée de plages ensoleillées dominées par la grosse colline de Gênes, privée de souvenirs des Citrons d'Eugenio Montale, privée du regard sombre d'une passante italienne pétillant, avec sa couleur pierre noire qui vous interroge et se joue de vos arrières pensées. Et puis le verre arriva sur la table, entre le gros pavé de poésie reposé à l'envers et les pages d'un bloc plein de dessins et de photos. Dès la première gorgée, je ressentis immédiatement ce baiser à la vie : un baiser un peu enfantin, certes, mais si riche, si plein soudain d'arômes un peu acides, amers, ambrés, avec des notes ou des sauts de romarin, de genêts, de sauge, de plantes froissées dont le suc entre les doigts laisse un parfum de cou ou de cheveux chauffés par le soleil. La première gorgée, (ou il primo sorso), pour parler comme P. Delerm, fit une attaque sur cette partie de la langue qui sent la première le goût des pêches, la chair pleine des tomates, le basilic mâché, mais avec cette surprise d'un pays tout entier restitué, recomposé – non qu'il y eût comme dans Proust un lieu, un moment ou une adresse capable de donner à la sensation vivace une étiquette sentimentale, non, mais c'était comme la révélation d'un pays oublié. J'avais passé tout l'hiver loin de ce pays qui pour moi se visite, certes, mais aussi se vit, se mange, se chante, résonne de bruits de rue et de syllabes dans un autre langue aux sons qui fusent, s'animent, se resserrent et éclatent avec leur qualité première qui est d'être comme toujours profondément surexposé au soleil, un soleil qui entre au cœur de toute chose. Le liquide dans le verre devant moi était un philtre qui permettait de voyager entre les sensations sans obstacle parce qu'il les contenait toutes. Et j'éprouvais comme la confusion des retours dans une ville autrefois bien connue, quittée depuis longtemps, que je retrouvais après la dernière escale que fait un tortillard rouillé à flanc de colline ; dans le cœur d'un lieu perdu ; ce n'est certes pas dans une Italie moderne et connectée qui s'époumone à guetter quelque surhumanité , mais dans une Italie littéraire et surplombant la vraie par son cinéma, par ses idées, ses jeux, ses journaux, ses palabres aux terrasses et ses idées et ses gens originaux et imprévisibles. Et déjà, au contraire de Paris où l'on regarde pour faire semblant d'avoir vu, j'affrontais ce coup d’œil savant qui jauge et qui vous estime ce que vous valez, comme le marchand de la rue pèse le fromage ou estime le prix du poisson. Dans tout pays, il y a quelque liquide rare qui explique et explore les heures qu'il a fait naître et qu'il a accompagnées. Ici, c'est le mystère abstrait et plein de mots à créer que donnent les crus qui vous regardent de haut. Là-bas, le vin, le pain, la tranche de viande séchée possèdent des secrets plus humbles, mais elles disent d' aimer, de vivre, de savourer tout à son aise. Et surtout, goûter offre en une seconde un temps sans fin, une succession de jours , de nuits, de villes, de plages, de couleurs de mer en palette infinie, si possible sans répit ni sommeil. Comme il reste une sorte de petite crique rouge au fond de mon verre, de ce Campari soda, avec la roue d'orange gonflée comme un corail, je me laisse lentement emporter vers les profondeurs charnelles que m'a promises ce bouquet de boisson amère et sucrée, transporté secrètement vers les fonds tièdes où ma pensée s'abîme
--elevergois--eric-levergeois--quelque-part-entre-ici-et-la-Stendhalie--en--rêve--textedeposé--protégé,etc.àlire-et-consommer avec modération .

 


 

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9 avril 2015 4 09 /04 /avril /2015 23:06

 

 

 

Longtemps Maillol fut pour nous le Maillol des autres, un producteur de statues de femmes massives, et puis, à force de dessiner ses figures ou de les reprendre en petit  avec d'assez  mauvais plâtres personnels, il y a quelques années,  tout ce qui accorde au monde une statue se produisit dans l'imagination par des voies sans tapage -- purement méditées et musicales. L'Harmonie nous sembla  auréolée d'une paix profonde, une œuvre emplie d'une musique sacrée, un choral, une fugue; comme les cathédrales où l'on prie, où l'on concentre et resserre son âme pour quelque bond -- sur un sujet profane, je veux bien -- mais il est clair qu'on y progresse jusqu'à un degré de complicité comme peu de statues en donnent, parce que sa grâce hésitante est méditative, retenue, et infinie. D'ailleurs la statue se tient curieusement dans l'attente d'un état ultérieur de pure grâce, et en même temps de recueillement. C'est cet instant d'attente qui nous retient dans une contemplation pleine de curiosité et d'écoute, et dans une grande paix un peu inquiète.

 

Le plâtre de l'Harmonie est une oeuvre "ascendante", qui joue sur l'intensité croissante de notre émotion par dégrés successifs et qui nous laisse seuls, un peu aux aguets malgré tout, car dans certaines œuvres particulièrement réussies -- on en trouve  des exemples en musique -- il y a une partie de l’œuvre qu'on ne voit qu'en soi-même parce que l'artiste s'est aventuré sur un territoire où l'accomplissement définitif est comme à partager, (la sculpture possède ce charme) et il nous plaît  que ce titre d'Harmonie, harmonie avec le monde, harmonie avec tous les états de recherche et d'imagination d'un grand artiste, porte un titre précisément musical. Ici aussi la Beauté est inquiète, tendue vers une perfection invisible dont il faut accepter de porter et supporter en soi , d'un cœur espérant et ravi, la suite étonnante. Selon Dina Vierny, dont le témoignage est souverain dans ce domaine, Maillol travailla longuement à cette œuvre et il ne put l'achever. Il y a quelque chose de ce drame qui la rend "bizarre" pour reprendre la remarque fulgurante de Baudelaire: cette statue continue sa traversée dans la masse fluide de l'atmosphère avec laquelle elle dialogue selon des lois mystérieuses mais qui nous engagent comme un thème musical nous engage à poursuivre son horizon.

 

L'apparat un peu simple de l'état de plâtre, c'est à dire d'émotion vivante préludant à une statue nous pousse à un respect plus ému encore, c'est une statue que les mains d'un homme font continuer de naître et de vêtir de sa beauté d'origine, et qui s'accorde au regard comme en cheminant. Pour ceux qui connaissent les travaux répétés de femmes marchant dans l'eau de la mer dont elles sortent pour " en rejaillir vivantes" (pour reprendre l'image à Paul Valéry) il y a là comme la possession infinie d'un secret de la vie puisé à la méditation la plus profonde sur le surgissement à la fois calme et bouleversant qu'est une sculpture dans tout son rayonnement.

L'Harmonie, comme son non l'indique, demeure une musique accordée au monde qu'il faut écouter infiniment, pour accéder à une forme d'harmonie des premiers temps, surgie en plein vingtième siècle, preuve que pour l'art il n'est pas de contemporain ni d'ancien, dès qu'il s'agit de rencontre capitale, comme cette heureuse et infinie source de jeunesse éblouissante, et cependant si retenue et presque si discrète qu'elle nous émeut encore davantage. Nous sommes destinés à partager toujours la prière qu'elle nous invite en secret à croire, au fond de nous, à une scène capitale et  complice  d'une  contemplation en progrès. Elle n'est pas "non-finie", mais bien plus sûrement infinie par la vie méditative dont elle rayonne.

eric - jean levergeois

 

Ecrit à l'origine pour la publication des souvenirs de Dina Vierny, le texte, (pourquoi le refuser?) contient des fragments cités dans un ouvrage en anglais sur la Méditerranée. Merci.
 

 

 

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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 17:27

Dans les photos d'Atget qui sont comme vides d'air et de sons, et sorties d'un monde médiéval ancien et moderne, se réunissent l'épaisseur d'un temps qui serait celui de Scarbo, celui des grotesques de Gautier, des duels des Trois Mousquetaires et les équipées nocturnes du Raphaël de Valentin de Balzac. Des porches noircis, des charrettes à bras abandonnées, des écrivains sans succès – nous écrivons cela parce qu'il y en eut un rue Dupuytren, au pied de l'escalier, vêtu d'un costume bleu, et qui proposa ses poèmes pauvres pendant près de vingt ans – et surtout des devantures d'échoppes bourrées de balais de paille, de casseroles, d'ustensiles domestiques souvent sous une enseigne énorme qui signe la photo. « Le vieux Paris n'est plus » a écrit Baudelaire ; cependant vers 1900, il en reste des vues par milliers et autour de chacune d'elle on reconstruirait toute une ville. En un cliché, voici de quoi construire une cité antique de nulle part (ou un catalogue des ruines des autres siècles), entre décor de film et réalité borgne, en y ajoutant le grouillement d'êtres laborieux ou illuminés de misère et de faim -- ou de gloire. L'homme qui traverse les époques d'un coup d’œil, celui dont l'imagination feuillette l'album de ces visages de porches de théâtre, sursaute et les croit tous surpris, nus et froids comme des fantômes de ville-cendrillon qui seraient rentrés au logis trop tard, ou traînant des haillons. Mais ce qui surprend et illumine l'intelligence du découvreur, ici, devant ce Paris oriental et composite figé dans un sommeil gélatineux, c'est la démesure : les barges de transport paraissent plus larges que la Seine, les cours découpées en lames de noir et de blanc ont abrité un drame de Dumas, l'escalier sombre d'un hôtel particulier du Marais conduit aux étages d'un palais d'où descendra Swann ou Julie d'Angennes. Rien autant que ces photos ne structure l'édifice d'une humanité variée qui se multiplie au fil des mille intrications. Regarder cette ville-là, c'est encore penser à sa littérature. Alors que nos jours...non, plus d'étagements et de superpositions immémoriaux-- on a balayé les ruines et la transparence, et le génie du temps se moque bien de la mémoire des pierres.

 

"poème en prose" par l'amateur des lacs italiens, eric levergeois -- elevergois.com -- toujours partant ou revant de partir en Stendhalie pour écouter l'abbé Blanès dans son clocher ou la "petite lame" qui se brise sur la rive -- to the happy fewer. (de nombreuses photos d'Atget sont accessibles sur Gallica bnf fr)

 

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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 17:24

C’est  un pont courant entre les roseaux qui montent la garde dans le brouillard, un pont déformé par le climat humide et qui va on ne sait où -- ou plutôt si: il va se fondre au loin dans une sorte de rizière, une fin de lagune sombre où les barques touchent le ciel.  Au premier regard, c’est un chemin de bois qu’on voit, un sentier de nostalgie qui permet au marcheur des landes grises, des matins irréels et autres paysages d’humilité, de circuler au-dessus des eaux mortes. Comme la vase tord à sa guise les planches et les pilotis, on  pense d’abord à ces canaux où les fleuves se divisent, aux petits matins où l’âme se pend, et puis l’eau, la brume, la forme de la longue passerelle s’infinisent -- renaissent alors des scènes de Faulkner ou de Conrad,  ou bien les cachettes de Huck Finn, car les livres sont pleins de scènes «culte» comme on dit de nos jours, bref cela ferait un beau décor pour pages de visions cachées. Mais  le tableau photographique a une légende:  il illustre un article sur la fin de la poésie.

 

Là-bas au bout de la passerelle traçant son serpentin sur les grandes lances des herbes pleines de froidure et d’eau glacée, il faut s’imaginer que l’écrivain a voulu dire que la poésie touche à sa fin. La nostalgie et les vertus de l’amour touchent à leur fin, l’imagination des faiseurs d’épopées touche à sa tombe ultime, et si les photos sont le lieu qu’elles ne sont pas, celle-ci qu’on a tirée du point du jour est simplement l’instant du passge final vers le vide.  

 

C’est le matin où sonne le glas. La passerelle de la poésie s’en va courant entre des arbres sombres, tout ce qui surnage s’ophélise en oripeaux de deuil, et le chemin de planches bâti à force de courage et de fantaisie, s’en va vers un lieu sans lumière où dansent des âmes de disparus. Et ce pont disparaît avec elles, plus loin, dans un on-ne-sait-où, pas loin du je-ne-sais-quoi déjà célèbre, simplement et à petit bruit, désirant s’effacer de soi-même, comme les temples qu’on ne peut même pas piller, parce qu’ils sont bâtis dans des ciels d’imagination, les pieds touchant l’eau et la tête perdue entre des ombres blanches, avec deux yeux de bruine légère, grise et diamentée.

 

(elevergois- eric levergeois- toute ressemblance avec des paysages tirés des rives du Pô n'est peut-être pas fortuite -- tous droits protégés par mon colt -- elevergois.com -- un salut aux stendhaliens amoureux des rives des lacs) -elevergois.com

 


 


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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 02:11

bobine-de-l-auteur-12.jpg

 

faisant suite à divers courrier récents et pour information

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6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 03:22

Je vais vous faire à tous une confession qui n'a rien à voir avec les sempiternelles plaies de notre temps, mais qui me tient à coeur : en décembre, en modifiant les paramètres de mon navigateur (Linux) pour aller écouter des radios et des chansons brésiliennes, je suis tombé par hasard sur un miracle. Il était d'ailleurs temps, puisque l'année de la France et du Brésil réunis allait s'achever. J'écoute donc une radio qui s'appelle Jovem Pan, et je vois en bandeau au-dessus de la page: O blog do poeta. Et je me dis que ça doit être un peu comme chez nous, un pseudo lyrique qui épate la galerie, eh bien non ! Oh, que non! Je suis tombé sur cette chose si rare sur cette terre et qui se passe dans la grande cité de Sao Paolo d'où viennent un bon nombre de mes étudiants: là-bas, un grand poète, un vrai poète, un homme qui s'était rendu célèbre en lisant sa poésie avec de grands hauts parleurs, sur le Viaduc de Chà, pendant la sombre période de la dictature, un vrai poète parlait chaque jour à ses lecteurs. Incroyable, invraisemblable, et puis après m'être frotté les yeux et les méninges une bonne dizaine de fois, il a fallu que je cède à cette évidence: c'était vrai, et magnifique.

Vous allez me dire, comme V. Jankelevitch dans la célèbre émission  de Pivot qui fit vendre tant de livres au philosophe musicien, avec un petit haussement d'épaules : bof, la poésie? Mais à quoi ça sert ! Ca ne sert à rien, c'est fait pour les paresseux ou les ménagères qui songent aux amourettes passées, en fermant leur bouquin le soir, avant de couper la lumière près d'un époux ennuyeux. Et bien non, la poésie d'un vrai poète, c'est autre chose. C'est une parole qui vient d'une telle profondeur qu'on la reconnaît à tous les coups parce qu'elle est vraie, parce qu'elle avance pour dévisager la tristesse, le destin, la misère, avec cette impression - car les poètes créent leurs lecteurs - que vous vous jetez à l'eau dans un courant de mots qui vous bouleverse. Et puis les poètes, les vrais, sont des miroirs du temps qu'il fait au coeur du monde, et par exemple s'il s'agit de période de guerre et qu'on prenne l'exemple d'Aragon ou d'Eluard, ou de Char, vous allez vous rappeller que ces poètes-là, comme leurs frères en poésie, ne sont pas les derniers à avoir du courage quand il le faut. Villon finit on ne sait trop comment. Un certain Pierre Petit fut brûlé pour des poèmes licencieux ou jugés tels; Théophile de Viau ne se remit jamais de son séjour dans les prisons de l'époque Louis XIII, pour ne pas parler des poètes et poétesses russes - Pasternak, Mandelstam, Akhmatova qui dut apprendre et transmettre en le faisant apprendre à des gens qui le faisaient apprendre à leur tour son sublime "Requiem" , et Marina Tsvetaeva qui retourna en je ne sais quelle lande tartare où elle périt comme on sait - qui sont une gloire immense, un message de beauté, de lumière, de résistance: tout ce dont l'homme a  un besoin fondamental!

Alvaro Alves de Faria est né en 1943, et notre BNF nationale possède un certain nombre de ses oeuvres, car il n'a pas échappé à certains que c'est un grand artiste. Comme la première thèse en portugais paraissait sur lui au Portugal, comme on le fêtait, récemment je lui ai envoyé un humble article de louanges, qu'il a placé avec une belle Tour Eiffel sur son blog et il m'a traduit mon article de sa main, ce dont je le remercie vraiment du fond du coeur (le Monde est cité dans cet article, idem pour d'autres blogs où je me suis permis, comme critique et professeur à L'Alliance Française, de signaler l'événement aux sites électroniques et revues qui ont réagi comme il se doit). Reste qu'il y a sous cette présentation d'un poète parlant chaque jour à ses lecteurs, une petite question, ou plutôt une requête.

J'aimerais bien qu'on ait en France, en Italie, sur la lune, partout où on se branche et où on se connecte, un poète français de notre temps qui parle à des gens qui le suivent et qui l'aiment, et qui le regardent comme un descendant des plus grands. J'aimerais bien que quand on parle de littérature, on le fasse avec passion, avec rage, avec l'envie d'en découdre, et pas toujours pour d'obscures nuances du positionnement politique de tel ou tel. Et puis je voudrais dire à tous: ne vous laissez pas dire que la poésie est un machin vermoulu fait pour les écoles, non, la poésie est le fait d'un vrai poète qui se bat pour elle et pour faire la lumière, pour le combat, l'hallucination, l'émerveillement dont il faut connaître au moins une petite part si au bout du compte avoir vécu signifie quelque chose. Une année, il y a longtemps, j'avais écrit sans trop savoir ce qui allait m'attendre, un article qui avait ce titre: "Pitié pour les poètes" sans grand espoir. C'était dans un magazine du genre Cosmo ou Marie-Claire, un peu en haut de la page de gauche en la retournant, donc très mal placé, et bien au contraire de ce que nous pensions tous, j'ai eu une cinquantaine de lettres de personnes qui y avaient pensé sérieusement,  et qui s'en voulaient de n'avoir pas gardé dans leur vie le poète de leurs vingt ans, et des tas d'autres confessions étranges, gênées, sincères, pleines de regrets et même de remords. Bizarre, non?

Comme il va falloir s'occuper très sérieusement de la voix de ce poète lointain et proche à la fois (qui a écrit un très, très beau livre sur les poétesses de son pays, disponible sur Google.books, ça s'appelle Palavra de Mulher et c'est très émouvant et sensible) - et comme les numéros d'opus de cet écrivain sont assez nombreux, j'en profite pour lancer un clin d'oeil aux traducteurs du portugais, comme ça en passant. Et je continue à aller voir ce que le poète - et plus généralement le Brésil de la poésie, ont a dire de beau avec de belles paroles de poésie, sur le blog du poète. Et à me documenter sérieusement. Et oui, voyez-vous ça, un blog de poète, quelle merveille, quelle étonnante et extraordinaire merveille! (et naturellement j'apprends le portugais, ce qui avec un peu d'italien et d'espagnol au départ n'est franchement pas insurmontable) . Bonne poésie à tous, donc, et un grand salut aux poètes et poétesses de ce  grand pays qu'est le Brésil qui est lié à nous par une longue tradition intellectuelle,  et  que marquent des échanges lyriques, passionnés, et pleins d'enthousiasme!

 

Article transféré qui prend quelques jours de vacances en "une" ici, et qui retournera dans les archives un peu plus tard. elevergois - eric levergeois --

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6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 03:14

Comme vous l'avez peut-être déjà remarqué, vos voisins et vos amis reviennent  toujours des congés qu'ils passent avec amour "toujours dans le même coin". Il est souvent impossible de savoir où se trouve le coin en question, de le calculer avec le carré de l'hypoténuse ou un compas nanométrique sur une carte d'état-major, mais enfin, qui n'est pas rentré "dans son coin" pour deux jours, ne fait pas franchement identité nationale, terroir et rillettes. Avoir son coin, c'est un must,  c'est protégé, écolo, loin des hordes et des Mc Do, avec plein d'ancêtres, de  lapins, de tartines, et tout et tout.  Ca ne s'invente pas, c'est générationnel, pluri-séculaire, et on y retourne dès qu'on peut.

 

 

Vous pouvez toujours essayer de soulever la roche de Solutré ou les pins des Landes un par un, de mettre une ligne à haute tension autour d'une cabane en planches, ça ne fera jamais un "vrai" coin. Demandez donc aux gens du coin, ils vous répondront que vous n'êtes pas de la région et ils vous enverront promener. Avec en prime un sale regard en coin. Et n'imaginez pas que vos amis vous révèleront comme des nigauds ce lieu mystérieux loin du monde et qui n'existe nulle part ailleurs, vous risqueriez cette réponse : "C'est ça, je vais te dire où est notre coin, et le lendemain tous les c... de la planète vont s'y mettre. Ca va pas la tête?" Bonjour l'accueil fraternel. (et la tronche en coin)

 

 

Les coins, c'est un truc franchitudinal et génétique;  on se les transmet de grand-père en petit-fils, on les attache solidement contre les marées du mois d'avril, on les astique, et on en ferme la porte à double tour aussitôt qu'on les quitte. Un coin c'est tout. Et en un sens, je crois que les gens n'ont pas tort de conserver ces secrets-là plus jalousement que les autres. Car il suffirait d'un seul mot échappé au coin d'une table, et hop, c'est terminé:  votre coin paradisiaque ignoré même de Google Earth, de la grippe, de la Zoombox Internet et de la ligne de chemin de fer qui rouille, se retrouverait transformé en coin-cuisine-douche-lave-vaisselle, avec plein de détritus laissés dans tous les coins au milieu des canettes de bière. Beurk-plage, si voyez ce que je veux dire.

 

 

 

Alors, prudence ralentir, je ne parle de mon coin qu'aux heureux peu nombreux, ou alors torturé par l'odeur d'un bourguignon mal cuit, ou  éventuellement par nostalgie au cas où une part de fromage local arriverait par hasard sur la table - et encore, pas sûr!  Parce celui qu'on fait par chez nous, c'est pas pour dire, il est quand même sacrément meilleur. Et c'est où chez toi? C'est comme a dit le monsieur qui est professeur à Sciences-Po:  c'est comme qui dirait un peu partout en France, mais pas où les autres se l'imaginent. Plus vous cherchez à pister en tenue de spéléologue ou en uniforme kaki où est le coin  mystérieux, et plus il s'échappe à la vitesse supersonique du facteur de Jacques Tati en train de galoper sur son vélo.

 

 

Mon coin à moi, c'est du rendement tranquillité à quatre pour cent garanti pour l'éternité. C'est quelque part entre "Bretagne-pas-touche", et "Z'êtes-nouveau-à-Saint-Jean-de-Luz?", et tandis que vous vous rongez la cervelle en conjectures sur le lit trop dur d'un gîte d'étape sans patrie ni famille, ni  chaussons du coin, vos amis se régalent. Bercés par le roucoucou laurentvoulzié des vagues mourant sur la grève, face au coucher de soleil plein de nuages éclatant au loin d' une rougeur de  sweet Home arthusbretrandisé, ils dégustent, eux, ils s'en mettent plein les poumons, ils respirent le parfum éternel de leur sacré coin. Un coin grand cru classé, et peut-être même classé défense (d'y toucher). Laissons donc les bons coins français préservés rester en l'état, et puis si vous le voulez bien,  arrêtons-nous là. Inutile d'enfoncer le coin!

 

 

Copyright :[elevergois.coin.com] pour cette fantaisie dont Depardon, Doisneau, mille bardes grattant la lyre à une seule corde, et plus tard, en son genre,  l' exceptionnel Jacques Tati, ont tracé les lettres de noblesse, en attendant qu'un brillant auteur nous ponde le dictionnaire de la franchouillardise en coin.- elevergois.com -- eric-jean levergeois sur fessebouc

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5 février 2015 4 05 /02 /février /2015 15:01

 

Il y avait une sorte de mécanique mentale qui préparait à la montée du grand escalier et qui pouvait être liée à la gravité qu'inspirait l'ampleur du passage, les marches de marbre, la rampe ouvragée rappelant celle d'une entrée dans un château, et aussi l'ascension de degrés où l'on ajustait ses pas comme à la recherche d'une dignité convenue, raffinée, cadencée, qui devait à l'évidence aboutir au premier palier à une forme de salut provenant de qui nous entoure et nous suit dans une Cour attentive au moindre geste. Il devait résulter de cette montée vers les étages nobles, comme on dit à Venise, une attention plus aiguë pour les visages que l'on rencontrerait les premiers, annonciateurs de joie ou de déconvenues, regards de gens pressés tout à leur besogne, dont les intentions devaient se déduire par la démarche, l'allure, et la première image que fixait d'eux l'esprit comme sur un cliché. Pour ceux dont la vie se combinait à la nôtre depuis des années, et dont nous ne possédions qu'une image extérieure – celle qui sert de monnaie courante pour les échanges de la vie quotidienne et qui n'est pas pour cela moins sensible à des hausses et des baisses – ce qui était attendu et espéré comme une sorte de billet d'entrée invisible, était le moment du premier salut. Ainsi sans doute devaient réagir les personnages de La Bruyère, à qui se présentait un visage de froid d'hiver glacial, ou bien la joie d'un soutire frais et fleuri, ou encore l'air dominateur qui signale un crédit assuré, ou plus rarement, une anxitété de tout l'être laissant pressentir un désordre que les yeux évitaient par pudeur. Restait cependant la toute première note, l'intonation du premier bonjour qui commençait pour nous le dialogue de toute une journée de travail, et qui, à l'égal du début d'un quatuor, sonnait juste, ou trop rapide, ou exécutée à la diable sans trop y penser, et qui faisait que l'on s'accordait bien ou mal à la suite des heures de travail – car c'était, quoi que chacun eût vécu dans son espace personnel, à peu de choses près le même genre de travail, la même activité, la même attention soutenue et les mêmes espoirs –comme l'arrêt prononcé par un oracle. Les « bonjour » entendus, (ou pas!) constituaient même s'ils étaient infimes, un premier pas conduisant à la sensation d'un réconfort de grande valeur, ou son contraire, et , lorsque sous l'effet de l'habitude, de la fatigue qui empêchait d'articuler, après avoir songé que chacun devant être salué de toute façon très courtoisement, on ne recevait d'êtres apparemment distraits ou courant trop vite à leurs affaires, qu'un murmure, ou un silence brutal comme un coupde marteau, on restait un instant étonné et captif de ce silence. Alors, l'esprit refluait vers cette page de Proust parfois incompréhensible, celle où le jeune Marcel attend le bonsoir de sa mère anxieusement, et pendant de longues minutes, on se disait :« tiens, moi aussi, ce bonsoir que j'aimais tant, n'a pas éclos  ce matin » et l'on reconnaissait dans l'eau  claire de la journée bue à pleines gorgées une goutte d'amertume.

 

 

 

 

(par l'amateur des lacs italiens elevergois.com eric (jean) levergeois, incorrigible promeneur des lieux de la Stendhalie, toujours plus magique -- textes protégés par dépôt et accessoirement à la manière de Cellini.) excusez les fautes de l'auteur...

 

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4 janvier 2014 6 04 /01 /janvier /2014 18:54

Il nous semble parfois qu’à force de plonger nos regards dans ces espaces de couleur imbriqués, dans ces zones de couleurs parentes et qui exercent leur présence et leur patience sur leurs frontières, quelque chose d’une promesse et d’un accord passionné s’accomplit en nous. Et si ces formes et ces couleurs ont pris  la suite (pour nous) d’une longue passion pour la peinture des fresques, pour Giotto, pour Piero della Francesca, pour Morandi, lorsque nous les interrogeons dans la lumière des passions successives -- auxquelles il faudrait ajouter Dante, Le Tasse, Montale et d’autres promontoires semblables -- il semble presque évident d’attirer l’attention sur l’intensité spirituelle chez Poliakoff. Ce n’est certes pas vouloir orienter l’intérêt vers un quelconque sentiment religieux caché, un néo-platonisme attardé ou quelque émotion dérivée de Plotin. Et pourtant, le «saisissement», l’ardente motivation qui agit en nous quand nous sommes reliés à l’ enquête interminable qui consiste à contempler un de ces tableaux, possède un caractère répété, lancinant, total et frontal qui intrigue. Il y a là un caractère absolu et inquiétant. Le rapport «physique» dont on a tant parlé récemment à l’occasion des deux expositions de Paris, l’agencement des plans, la création répétée par les espaces, les surfaces, les épaisseurs , leurs positions et leurs stratégies, laissent percevoir une très vive «force de caractère» qui s’impose, et impose aussi une abstraction  qui n’est pas creuse, mais qui est débordante, saturée de présence et de puissance intérieure -- encore qu’il soit permis de classer les toiles en plusieurs familles de style, en fonction de leur composition, leurs assemblage ou leur rayonnement. Mais que dire de l’horizon perpétuel qui nous tient en haleine, en suspens, «à l’écoute», et même comme  on l’a dit «attentif au silence» ? Il faudrait pouvoir pousser la porte d’un tel silence. Approfondir les couleurs, les éléments et les teintes est certes la plus noble et la plus légitime des démarches, mais existe-t-il au cœur de cette création un lien plus immatériel, celui-là même qui nous emporte, et où résiderait une autre énigme qui donnerait lieu à une forme d’approche spirituelle? Nos temps prétendent avoir légiféré pour toujours sur ce genre de question -- nous nous limiterons pour le moment à souligner qu’elle ne semble pas totalement neutre dans le cas de Poliakoff, artiste d’un continent fascinant qui n’a pas livré tous ses mystères.

 

 

Par l'amateur des lacs italiens de retour de ses paysages imaginaires et autres " luoghi ameni" et enchanteurs --eric levergeois -- elevergois.com -- tous droits protégés par les règles en usage dans la Chartreuse -- exposition Poliakoff au Musée Art Moderne de la Ville de  Paris, jusqu'au 23 Février 2014 -- catalogue très documenté et subtil -- any questions? follow this link: http://www.mam.paris.fr/fr/expositions/exposition-serge-poliakoff --(please do activate this link, tks).

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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 18:24

                           

                              MAGIE DE POLIAKOFF



Voici une exposition qui ravira et peut-être subjuguera anciens et nouveaux admirateurs de Poliakoff. Résumons en un bref parcours la physionomie de cette présentation au Musée d’Art Moderne de Paris : beaucoup de toiles au format traditionnel -- ce qui exclut les quelques très grands formats, sans doute très rares, dont nous avons vu jadis un ou deux exemples à la FIAC -- mais d’emblée revoici quelques «sommets» obsédants, spectaculaires et même fascinants, comme la Composition en rose de 1954, étonnamment éclairée comme sous une brume diamantée qui lui donne le charme d’une apparition, ou encore l’impressionnante toile dite Rouge de 1953 dont la présence bouleversante excède et sature, par sa matière et sa puissante organisation, les capacités de tout observateur trop placide.

 

Nous retrouvons ici, en vrai tête-à-tête avec la présence réelle des toiles, le pigment vivant de cette peinture, ces espaces de couleurs imbriquées et juxtaposées par lesquels Poliakoff ouvrit un nouveau continent créateur à la peinture abstraite, et créa un imaginaire pictural qui œuvre en chacun de nous comme l’invention d’un horizon nouveau. Car sans être trop partisan à son égard, nous oserons dire que ce que le peintre donna à la peinture -- qui était sans doute l’aboutissement de mille dons d’artiste réunis dans un seul homme -- est absolument irremplaçable. Même s’il arrive à certains critiques de reconnaître que bien des tableaux reprennent plus ou moins un schéma structural de formes et de lignes un peu analogues, Poliakoff s’en joue avec une telle virtuosité d’invention, avec une telle joie vitale et une versatilité créatrice de formes si libres, avec une telle vigueur aussi , que le monde de l'artiste apparaît comme un profond vertige de sources formelles qui manquerait à l’art moderne (et peut-être aussi quelque chose de l'art ancien) s’il n’existait pas.

 

 On nous dira, certes, qu’il s’agit d’espaces imbriqués, de couleurs que la brosse ou le couteau frottent, travaillent, amincissent ou empâtent, pour créer des épaisseurs dont le contraste s’approfondit plus on les regarde, mais rien n’épuisera complètement les lois de ce monde de masses de tonalités en assonance, rassemblées et cependant éperdument distantes par la sonorité tendue de chaque couleur qui y agit, présente et fugace, et qui surgit comme suspendue, et comme sortie vibrante d’une lointaine absence en se recréant. Inutile d’ailleurs de nommer telle ou telle zone comme «rouge» ou «bleue», elle en est plutôt l’élaboration en chemin, la lente et subtile germination et parfois les toiles, outre le sortilège des formes, nous offrent de telles magies visuelles qu’elles provoquent et stupéfient. Si le commentaire d’une toile de Poliakoff est long et cursif comme un exposé, la rencontre, elle, est et sera toujours d’un bloc, portée par une rare énergie physique, remplie, totale, un vrai choc où spiritualité et matière nous font face: on reste souvent émerveillé et sans voix devant son effet de présence. C’est le caractère du grand art qui inspire. Et comme le montre un exemplaire réel dans cette exposition, il y a peut être plus de vitraux, d’icônes, de spiritualité cachée dans ces œuvres qu’on n’ose le dire -- mais ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres, ne nous y attardons pas...

 

 

L’exposition du palais de Tokyo propose quelques formats plus grands que les toiles habituelles, elle nous enchante par la présentation d’un «mur de peinture» rassemblant des toiles (papier d’huile et travail a tempera) qui comme à touche touche, rappelle des fresques d’églises russes, ou même les fresques d'Arezzo, puis arrivent les grandes toiles en forme de corolles qui paraissent immenses, celles de la fin des années 1960, et surtout et enfin, une fascinante série de gouaches nous est proposée dans la suite du parcours, qui nous initie à l’essence spirituelle et formelle la plus pure de l’acte créateur, et nous fait entrer dans l’antre de la «cosa mentale» -- à l’instar de la présentation des gouaches déjà apparues au musée Maillol en 2004, (une partie de la documentation raisonnée de l’œuvre complet qu’effectue infatigablement Alexis Poliakoff, le fils du peintre, qui a consacré sa vie -- et continue -- à la publication et l’étude raisonnée de l’ensemble de cet univers immense de création -- et à toutes les expositions). Suit une présentation video rasssemblant de nombreux témoignages et films de grandes figures de la vie artistique de l'époque. Si loin, si proches, si émouvants...les archives d'une vie d'artiste, romanesque, russe, bohême, parisienne, mythique enfin,  comme en possèdent seulement des êtres élus par un destin hors du commun.

 

Grâce à cette exposition, Serge Poliakoff réapparaît en vrai, mais qui peut dire que la symbolique visuelle de ce style irremplaçable, que tout amateur porte dans son imagination avait complètement disparu? En 2010, la petite-fille du peintre, Marie-Victoire, nous avait révélé de nombreux aspects biographiques dans un gros ouvrage publié aux éditions du Chêne. D’autres expositions ont eu lieu hors de France. Il faut s’attendre à un très gros succès public pour cette exposition parisienne, indispensable, vraiment magnifique, où chaque tableau exerçant son sortilège nous plonge dans une rêverie de couleurs qui s’étend dans notre imagination et sert de tremplin pour une sorte d’enchantement infini qui laisse planer ses sortilèges et fascine absolument.

 

 

 

EXPOSITION: POLIAKOFF Le rêve des Formes - Commissaire: Dominique Gagneux Palais de Tokyo -- Musée d'art moderne de la Ville de paris -- av du Président Wilson -- Catalogue de l'expo et nombreux textes à la librairie, toujours parfaite, du musée. Lien internet, biblio, et site du MAM de Paris:

http://www.mam.paris.fr/fr/expositions/serge-poliakoff

 

(le charme du musée n'a pas changé, ni le génie des lieux, qu'on se le dise!)-- le blog elevergois - eric levergeois --amateur toujours aussi inconditionnel de la Stendhalie et des lacs italiens, et grand lecteur de la "Chartreuse", comme il se doit. -- PS ("Nous n'allons pas vers les tableaux, ce sont les tableaux qui viennent vers nous")

 


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