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30 mai 2016 1 30 /05 /mai /2016 04:00

Elle s'appelait Aurélie, et eût pu s'appeler de n'importe quelle façon, car dès l'instant où elle prononça ses premières paroles, ce fut la vie changée et l'amour absolu. C'était une femme pas très grande, à la voix douce et au charme assez discret, avec un visage souriant encore proche de la jeunesse, et que la vie n'avait pas meurtri. Dans les romans, il est fréquent que l'auteur nous dise que l'on rencontre la plus belle princesse du monde, les plus beaux yeux, mais c'est Stendhal qui a raison quand il dit qu'on ne voit pas le visage de la femme aimée. Ce sont d'autres puissances inconnues de nous qui décident. Quant à distinguer authentiquement ce qui fait le miracle d'une telle rencontre, autant vaudrait chercher une perle au fond de la mer. Brutalement tiré hors des sentiers connus, jeté hors de soi-même, c'est moins le sentiment de l'attachement qui nous étonne, que celui de disposer d'une vie inconnue. Est-ce la vraie vie ? Flaubert, dans la fameuse scène de la pelisse rouge sur la plage, nous dit que la célèbre brune au charme intense, qu'en bon réaliste il détaille, lui donne comme une âme nouvelle. Il en fera plus tard le modèle de Marie Arnoux. Il écrit cependant ceci : « je me sentais nouveau et étranger à moi-même, une voix m'était venue dans l'âme ». Vous avez bien lu : « une voix m'était venue dans l'âme », ce n'est pas rien. Mais cette Marie Arnoux-là n'est pas franchement tombée des étoiles, et le jeune Flaubert raille bientôt le sentiment qui pousse désirer, pétrir ou flétrir avidement les beautés de statue de son apparition – il est vrai qu'il n'a que quinze ans, et qu'il raille ses quinze ans. Il n'empêche, quelque chose comme une nature angélique s'est manifestée, et qui nous transporte à nouveau aux pieds de la Béatrice de Dante. Ce n'est pas que cette Aurélie citée plus haut fût absolument divine, ni belle comme une statue de marbre surgie dans la foule. Certes non. Mais elle était comme la puissance manifestée d'un autre monde, et nous allâmes, héros éconduit, amoureux errant, triste et blessé par cette funeste et magique rencontre, chercher un asile de solitude ; jusqu'aux Charmettes, pour revivre la douceur du parc où Rousseau aima ; jusqu'au lac de Bienne; jusqu'à relire des souvenirs de Nerval sans trouver la célèbre Aurélia, mais plutôt Sylvie ; plus tard le même été nous retournâmes en Valais voir le Rhône tel un filet de lumière. Le fleuve géant était cette mince source glissant dans une vallée, au pied des montagnes de Suisse, mais il n'était pas fait de larmes – on finit par s'habituer à l'incrédulité féminine – mais une sorte d'amertume étrange, et je me disais : plus bas, là-bas, beaucoup plus bas, loin au sud, là où le fleuve est large et puissant, c'est là que vous habitez : vous marchez dans le jardin, vous vous étirez au soleil, vous parlez de petit déjeuner, de tartines de pain beurré, vous écoutez aussi Debussy. Questions inutiles quand on porte la douleur d'une passion naissante, cruelle sottise et naïveté ! -- La ville de Sierre possède, par miracle,et par reconnaissance, un petit musée consacré à Rainer Maria Rilke – (une de mes amie sait que je me recueille parfois sur la tombe de Rilke, quand j'en ai l'occasion) – incrédule, éconduit, un peu lamentable en vérité, c'est là que j'ai décidé, au milieu des lettres de Paul Valery et d'autres géants de cette époque posées aux murs, de prendre une feuille et dire une espèce d'adieu à l'image aimée dont la vision distincte commençait à m'agacer. Te voilà avec une lettre écrite dans ce petit musée qui est comme un sommet de la pensée. Qu'en as-tu fait, qu'en reste-t-il, et fallait-il même qu'il en reste quelque chose? -- Ultime question:  l'as-tu simplement lue? --

 

Eric Jean levergeois -- l'amateur des lacs italiens et de la Stendhalie -- lacs de Côme, Majeur, "belles montagnes qui jouent sur mon coeur"; tous droits protégés par mon colt. elevergois.com -- eric levergeois.

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17 janvier 2016 7 17 /01 /janvier /2016 05:19

Il y a trois notes qui prennent leur envol léger dans l'air de pur diamant, dans la substance liquide de l'aurore et qui donnent au monde la chanson amoureuse d'un réveil. Et voici Genève recréée. Ces notes paraissent enflammer un ciel derrière les brumes orangées du matin, elles dessinent dans l'esprit l'image des clochers, des places, des rues et des fontaines qui reçoivent le jour; elles sont comme des pointes délicates de l'aube qui s'avancent dans un halo, et plus loin, glissent dans un murmure de source qui semble tombé du ciel. C'est le début d'une sorte de ballade dont l'écho se divise infiniment pour dessiner dans le ciel du printemps des sentiers d'ombre et des pensées très tendres qui volent au rythme amoureux du vent crispé. Comme le trille de l'oiseau pétille tout à coup dans un souffle du matin, comme des rires éclatent à mi-voix sur des bosquets éloignés, ces petits colliers de bruits entourent la ville, et lui font un rythme qui la berce et l'anime. Ces notes liquides des cloches de Genève par Liszt sont la lisière de tous les bonheurs à imaginer, et les trois coups sont frappés pour le retour du monde à la vie. On voit le haut d'une église petite comme un jouet apporter la jouvence et la joie avec ces minces notes fragiles semées dans l'éclat premier des nuages, du lac, des rives, des jardins. Et puis soudain le bruissement n'est plus vagabond ni secret, il est clair comme un billet écrit par un poète. De murmure qui paraissait s'amenuiser, la phrase lisztienne prend corps, coupe franchement l'air avec sa force de carillon dansant et rythmé, elle se gonfle, comme souvent, d'une folie mesurée mais conquérante qui veut gagner tout l'espace, l'errance du premier rayon sonore et souple part à la conquête de tous ces jardins, de ces rivages bleus, de ces collines et montagnes proches pour tout agiter en cascades, en miroirs, on sent qu'il y a des graines de tonnerre qui vont bientôt s'ouvrir. L'orage du bonheur pourrait bientôt éclater, mais Liszt prend son temps, la partition évoque des aveux,  et nous dit encore quelques fables avant de proclamer sur son clavier démesuré ces sursauts de pierre battue, ces éclats de cascades, ces tonnerres qui naissent dans les vallées pleines de tempêtes, et que le compositeur masque encore comme un magicien masque ces cartes. Alors, restons un instant encore au bord de ces bonheurs inespérés, grandioses, terrifiants et regardons si la petite plainte a déjà dessiné sur le ciel bleu du premier matin le signe d'une rêverie, le signe d'une prière, car un songe du silence d'été vient à peine de toucher la paix de marbre de la nuit.

 

 

Texte publié par la revue Europe en 2008 grâce aux soins de Jean-Baptiste Para est dédié à Pierre et Elizabeth de Montvallon, en signe de profonde affection et d'amitié -- (écrit à la Grange de Meslay lors du concert "Richter" par Gregory Sokolov dans les belles années) -- par l'amateur stendhalissime des lacs italiens - eric levergeois -elevergois.com.

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27 décembre 2015 7 27 /12 /décembre /2015 18:21

 

 

 

Il était une fois un cendrier abandonné à la postérité par Tchekhov, qui a dit qu’il serait même capable d’écrire une nouvelle sur un cendrier tant il avait de facilité pour faire un récit. Il est vrai qu’Anton Pavlovitch se sentait peu fier d’aborder, à tant la ligne, n’importe quelle brouille de famille, de beuverie ou de propriété que cela lui semblait parfois bien banal. Posons donc le cendrier devant nous sur la table, méditons un peu, et remplissons la page. Le cendrier d’aujourd’hui est comme la vie d’un professeur qu’on a jeté à la porte de son institut de musique prestigieux, et qui regarde les cendres de son passé. Il pourrait y ajouter quelques poussières grises, mais il n’a même plus assez de sous pour acheter un cigare. Donc il se souvient, pensif, devant le tas de cendres froides. L’objet qui les contient est allé de table en table, il connaît les heures consumées à ne rien faire, celles passées à lire de longs chapitres, et surtout celles que l’homme assis a consacrées à des femmes, temps plus qu’un autre destiné à finir en poudre. Il est difficile, au milieu de tous ces instants brûlés, de séparer la bonne cendre de brûlis qui féconderait la terre, de la mauvaise qui est la suie grise de toutes les vies. Malgré tout, à cause de sa sensibilité amie des moments perdus, le professeur observe le petit tas de cendres comme d’autres ont observé le petit pan de mur jaune. Dans cette espèce de sable, on doit pouvoir retrouver le sourire d’une certaine Elena, son châle bleu qui se perd dans la nuit, et le parfum d’automne de ses baisers ; on devrait aussi revoir la stature du professeur de contrepoint et ses cours sur les sonates , et peut-être même la cour de l’ancien lycée, et pourquoi pas des visites de musées, des soirées au théâtre, d'anciens examens de droit – mais comment trier dans tout cela ? A force de contempler l’amas gris piqué de taches plus claires, à la manière des enfants somnolents qui trouvent des images de tigres dans le dessin d’un tapis, le professeur finit par voir une forme distincte. Pas celle de l’oiseau phénix qui renaît, mais plutôt une tablée joyeuse qui rit, boit et chante au bord de l’eau, un peu comme une estampe au pochoir que des dessins vagues griffent sur un vélin jauni. Cela ressemble bien à la vie de famille à la campagne. Il y manquait la lampe à pétrole, mais elle s’allume bientôt et des voix d’enfants qu’il reconnaît parviennent du jardin. Comme toujours, le charivari de toutes cette marmaille l’amuse mais aussi l’agace prodigieusement ; il voudrait s’enfuir, se boucher les oreilles, mais il continue à écrire au milieu du bruit. Et pendant ce temps, par un mystère inexpliqué, la cendre brille de petits points rouges. Le professeur qui était tenté de la souffler d’un coup pour la jeter hors de sa coupe, met sa main au-dessus, et il se chauffe les doigts. Il ne va pas la jeter dans l’âtre ou dans la terre d’un pot de fleurs. Au contraire, il la regarde développer toutes ses petites figures, et il pourrait presque éteindre la lumière pour mieux voir mais c’est bien ainsi : il laisse le cendrier plein à sa place, il n’y touche plus, il se demande si Anton Pavlovich aurait mis le mot « fin » à cet endroit, mais lui le met sans tarder, pendant que les cendres rallumées sont encore chaudes. Et voilà la nouvelle terminée. Et posée devant la statue d' A.P. Tchekhov.

 

 

par l'amateur des lacs italiens elevergois -- eric  levergeois -- mise en page sur un ordinateur de 1898...

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24 novembre 2015 2 24 /11 /novembre /2015 03:29

                               

                                LE POULPE  

                                   

                                     (poème en prose)

 

C'est sur une poussière de corail que se déploie cet animal lent comme un agave fixé sur une roche lumineuse des profondeurs. La tonalité du rouge orangé crée non pas une réserve d'eau pour l'imagination, mais un paysage splendide et tranchant sur nos attentes d' abîme, car l'eau vibre et renvoie nos songes vers un foyer brûlant. Mais ce poulpe qui joue et qui pose, prend ses attitudes mesurées de plante en grand désir d'offrir des vibrations de mollusque convaincant. Par les boucles calmes qui terminent chacun de ses bras souples, l'une après l'autre répétant le même accent courbe, la même pointe retournée de pétale élégant dans un jardin, l'animal se joue de sa parure. Docile à quelque ordre de poser sous nos regards, il se pare de toutes les beautés florales comme pour se comparer. Mais on le sent encore impatient de finir tous ses mouvements de ballet, et une tension vive créée par l'orange flamboyant contre le vert glauque, nous retient devant cet instant d'équilibre qui est loin d'être statique. Il est là et il va partir ; il ne nous donne que l'instantané, et c'est par les touches fines et contrastées des deux espaces mouvants, l'un de lumière rouge, l'autre d'animal vert inquiétant, que l'artiste a créé cette pose d'un instant qui est surprise, moment de passage et pure création d'équilibre.

 

 

 

 

ce texte renvoie au site de l'artiste et plus spécialement à ce lien vers lequel vous orientons tous nos  lecteurs pour découvrir cette artiste si attentive à créer un monde personnel enchanté, toublant, curieux, traversé de douceurs et d'inquiétudes, et dont l'ensemble (ou presque) de l'oeuvre peut être connue (et achetée sous forme d'estampes pour environ trente livres, ce n'est pas de la pub, car la majorité des toiles originales a été naturellement vendue au fil des années, ce qui n'empêche pas un instant d'émerveillement) en attendant la grande exposition de Suisse l'année prochaine --- le lien vers le site est celui ci:  http://www.cristina-rodriguez.com/essays/eric-levergois poulpe.php pour voir l'image de cet extraordinaire petit animal de rêve -- car il est préférable de laisser les gestionnaires du site avec tous leurs droits, copyrights, etc, pour ne pas autoriser ni commettre des infractions. sinon, aller vers cristina gonzales art co uk où l'on peut voir des centaines de "prints" différents et tout aussi magiques, minutieux et mystérieusement élégants. pour le site général cristina.rodriguez.com et  http://www.art.co.uk/gallery/id--a774275/cristina-rodriguez-prints.htm

 

Par m'amateur des lacs italiens, habitant  des montagnes de la Stendhalie éternelle -- elevergois.com eric levergeois.

 

 

 

 

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4 novembre 2015 3 04 /11 /novembre /2015 20:25

 Les toiles que nous avons passé des années à scruter dans les galeries avaient souvent un petit air complice des modes qui courent, et qui s'arrêtent quand les modes prennent fin. Habitués à ces incertitudes conceptuelles sur lesquelles il faut composer des papiers lumineux, nous avions pris l'habitude de broder au petit point des paragraphes d'alchimiste bien abstraits. C'était comme une houle qui ne porte pas loin, des courants qui ne font jamais quitter la côte, qui ne donnent jamais le mal de mer ni le mal des cimaises. Puis arrivèrent les hardis tapageurs de la figuration libre, d'autres trublions non cotés en bourse, et ce fut comme un coup de tonnerre salutaire. A côté de nos grands sanctuaires de toujours: les Piero della Francesca ou les Hélion, les Magnelli, et naturellement les Klee et les Kandinsky – mystérieux, galactiques, surhumains, par qui on respire la pensée. Et puis, ô surprise, il y eut encore un jour et il y eut encore un matin. Et il y eut encore des arbres, et encore des poissons et encore des fonds marins, car cela ne suffisait sans doute pas à cette créatrice qui rivalisait d'audace avec toutes les inventions de la vie et son apparat de couleurs. La première et bizarre rencontre avec Cristina Rodriguez s'est faite autour de Moussorgsky et ses  célèbres Tableaux d'une exposition. Nous avions eu, personnellement, l'idée de refaire une transcription littéraire du thème qui carillonne tout au long de cette pièce (écouter la version Richter, Sofia) – et voilatipa que nous trouvâmes qu'à l'âge des premiers essais, une artiste avait réalisé toute jeune un étourdissant coup de maître à partir des ces "tableaux". Les vues des fameuses kartinka russes avaient été brillamment recommencées par elle, dans les années quatre-vingt, et la Porte de Kiev, (le tonnerre des mille claviers de la fin) fut une vraie surprise ; mi-réaliste mi-fantastique, d' une manière libre, inventive, attirante comme un décor de scène. Dans un style dégagé, aux teintes très vives, avec des ellipses de formes très habiles, l'artiste prouva d'un coup qu'elle était un vrai peintre. Par la suite, de nombreuses expositions suivirent. L'auteur de toutes ces toiles, avec des sujets animaliers, un environnement curieux et lancinant de plantes, de sous-bois ambigus, de fonds marins remplis d'histoires, d' animaux en apparence un peu "naïfs" mais pensés avec des inventions saisissantes et mythologiques-- il y en a même  sur le site de la BBC -- imposa sa marque raffinée et son monde enchanté. Cristina Rodriguez a vécu installée à Londres pendant des décennies, et elle a déjà plus de cinq cents toiles à son actif.Venue d'Amérique Latine, londonienne d'adoption et d'un tempérament plutôt globe-trotter, elle enrichit le monde de patientes vues très denses, sans doute inspirée par ces pays tropicaux pleins d'arbres irréels, surréels, de fleurs qui doublent de taille en une nuit, de beautés d'une rareté très explosante-fixe, (!) qui semblent se doter chaque jour de tenues nouvelles, comme des fleurs-mannequins du Museum en essayage perpétuel. Sombre également, l’œuvre est attirante par une mélancolie qu'on sent parfois assez amère, et la surface qui dessine et fait vivre ces sujets, possède en filigrane des notes graves. Les peintres qui font vivre l'art et qui en vivent sont peu nombreux. Cristina Rodriguez, elle, a vécu en vendant ses toiles et en travaillant sans cesse – on trouve sur son site, fort heureusement, un très grand choix de reproductions de haute technologie (d'ailleurs plutôt abordables). La ville de Genève lui consacre au printemps prochain une grande exposition dans un lieu de prestige. Après celles de Londres, de Paris, Belgique, Afrique, et bien d'autres lieux, comme on le constatera sur le site illustré et bio-bibliographique très complet et très documenté de cristina-rodriguez.com où tout est présent. La peinture qu'on dit naïve elle aussi est bleue comme une orange, et quand on s'en approche, on peut l'entendre chanter et pétiller comme les soleils qui nagent sur l'eau des sources.

 

Se référer au site cristina-rodriguez.com pour un panorama de la vie de cette artiste, et dans l'attente de l'exposition qui aura lieu à Genève à "La Cité du Temps" -- l'ile au milieu du Rhône pour ceux qui connaissent -- au printemps prochain. (par l'amateur des lacs italiens -- elevergois eric levergeois)

 

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1 novembre 2015 7 01 /11 /novembre /2015 21:35

Quel élan merveilleux dans cette statue ! la puissance légère et le balancement intérieur de tous ces mouvements qu’on ne voit pas et qu’on ne voudrait pas voir, d’ailleurs, sont en action pleine, mais ils sont comme clos sur eux-mêmes, et dans l’attente de quelque immense libération qui révèlera ce qu’ils sont. Il y a une majesté des formes ici qui délicatement se concentre et rentre en soi-même pour mieux nous faire participer à une expression de la Beauté du monde – qui est toujours chez Maillol, comme dans une série de signes du zodiaque où lire des paradis, le monde de la femme. Intense et sublime beauté parce que parfois, comme ici dans cette jeune fille marchant dans les vagues, elle met en place autour d’elle non une scène de marine ou de plage foulée par un corps aux formes jeunes, mais bien plus sûrement l’univers d’un instant élevé et comme un monde d’intensités reproduites par la démarche, un mouvement tel qu’il est représentable en sculpture, c’est à dire ouvert sur les rêves d’un grand artiste. Car, quitte à nous brouiller avec notre amour de la critique baudelairienne qui résonne en nous comme un bourdon de cathédrale, nous osons dire que la sculpture elle aussi a son alchimie. Et par conséquent ses échappées vers des mondes concentrés, divers, et tant d’horizons où rêver. Oui, Maillol fait rêver, et de statue en statue, on surprend en soi un désir de s’envoler, de parcourir des lieues dans un ciel où tout passage serait aisé, car c’est autant le contour amoureux d’un corps de femme que sa calligraphie inspirée qui nous tient en respect. La densité qui pourrait banalement signifier la marque de fabrique de l’artiste, n’est qu’une première étape, et au-delà, il serait surprenant qu’on ne trouvât pas quelque sérénité légère et fluide dictée par l’humeur de l’artiste, par qui le nu féminin, s’associe au monde pour en devenir une sorte de sonate, de fugue, où se décline la merveilleuse puissance d’exister. Aimer Maillol n’est pas si simple : les statues quelquefois sont lentes à passer sous nos regards, elles sont puissantes, elles dominent, mais il suffit d’en être charmé, au coeur de la pensée de ce qu’elles souhaitent nous dire. Lorsque Maillol affine une taille, donne ce mouvement de branche neuve et fleurie à son œuvre, celle-ci nous chante les moments les plus précieux de la joie d’être au monde – et qu’elle recommence, et qu’elle poursuit. Ces statues nous disent la vie inlassablement, car en chacune d’elle semble palpiter une source, une jouvence surhumaine, toujours jaillissante dans le même mouvement de révélation qu’elles portent toutes. Pour ces joies, pour les multiples bonheurs frais qu’il nous arriva un jour de découvrir sans les comprendre – mais tout ce qui nous parle un langage surnaturel se fait comprendre, comme pour les êtres, quelquefois des années plus tard lorsque les paroles méditées s’éclairent – et aussi pour sa vaillance, sa ténacité, le discernement et la vraie autorité d’âme dont elle fit preuve toute sa vie, nous aimerions dire, en mémoire de cette femme extraordinaire que fut Dina Vierny, dont l’élan hante et traverse bien des statues, un mot léger, alors, pour elle, délicatement nous déposons devant le piédestal d'éternité cette page de poésie.

 

A l'occasion de l'exposition Maillol et les photographes à banuyls-sur-mer cet été -- par l'amateur des lacs italiens, toujours par monts et Chartreuse à la poursuite de quelque bonheur stendhalien, come s'intende -- elevergois -- eric levergeois -

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13 octobre 2015 2 13 /10 /octobre /2015 19:49
"UNE LIGNE SOUPLE GLISSANT A L'HORIZONTALE"... ANDRE BRETON -- ARCANE 17 --

"UNE LIGNE SOUPLE GLISSANT A L'HORIZONTALE"... ANDRE BRETON -- ARCANE 17 --

Comment dire ce qui de l'esprit devient territoire d'allées perdues, voix de fées, mares où fume le brouillard au lever du jour, lorsque la mélancolie comme une dérive luxueuse d'oiseaux tous très blancs nous laisse, pareil aux statues, cherchant dans des pensées qui aspirent à l'isolement ce qu'on attendait.

 

L'amateur des lac italiens de retour sur ses rives d'origine, et contemplant le passage des derniers passants -- un soir en Stendhalie près du golfe où passent des barques -- elevergois.com -eric levergeois.

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6 octobre 2015 2 06 /10 /octobre /2015 16:50

Avoir toujours le sentiment d'une urgence de vivre passionnée et intense qui s'attache à tout détail d'esthétique, à la rencontre fortuite d'un visage au centre d'un tableau, à cette plaine où flotte comme un vaste étang une étendue de lumière diffuse. Avoir cette attention infinie pour le détail d'une cour, tirée d' une vue d'intérieur hollandais, par exemple, avec les murs faits de touches crayeuses, humbles, humaines, et toujours au centre ce personnage affairé, sorte de métronome de vie aux gestes apaisés. De si loin dans le temps, la rêverie et le soupir des heures réapparaissent intacts, épargnés par le flux rapide qui nous bouscule, et ils sont là comme une sorte d'accès embrumé par où il faut entrer : ici, l'heure commencée et qui s'écoule n'en finit pas, un calme immense se creuse et nous attire, la peinture se déroule dans un silence de lecture. On repensera certes, au texte de Claudel, mais le lire n'annule en rien cette expérience d'aller visiter de tels tableaux où l'on recherchera des vies, des rires, des paroles tendres, certes pas figées dans un silence terne, mais enfin retrouvées sous leur aspect intact et curieusement parlantes – presque audibles à force de présence secrète. L'intimité si souvent célébrée de ces toiles attend encore et toujours qu'on y surprenne la vie – une autre forme de vie – sous une apparence féconde, sans geste exprimant le moindre excès, sans déploiement d'émotion, sans exagération de théâtre. Tout y survient sur un mode inversé, reflété, dans une accalmie tombant sur toutes les agitations, pour réaffirmer une poétique interne d'espaces sans pesanteur. Pareils à ces coquilles que la mer rejette sur le sable, il suffit pourtant de les approcher de soi pour y entendre des concerts de voix, des confidences, des comptines ou des mots d'amitié – tout ce qui peut se dire de secret s'y élance à des hauteurs inconnues. Tout étant perceptible en suivant les accents d'une musique dont les plaisirs se goûtent en suivant des promontoirs où l'immobilité cache la force vive.

 

 

 

 

Après une visite au tableau de Pieter de Hooch -- comme souvent -- par l'amateur des Lacs italiens qui se recréent sans cesse sous le vent plus ou moins gris de ces jours-ci. elevergois. eric levergeois -- en attendant de prochains voyages en Stendhalie -- (le texte de l'auteur cité est l'introduction à la peinture hollandaise)

 

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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 15:24

Rêver au bord d'un lac veut dire rêver de voyages qu'on n'a jamais faits, qu'on accumule en pensée en regardant l'eau battre les rives, et cultiver ce désir de voyage sans avoir la moindre envie de se lever. L'important est de rester là pour goûter l'instant présent. Devant soi, sur la table, il y a un carnet noir ou un roman, et un stylo qui va déposer le trésor de cette minute. Tout autour s'étend une vue de carte postale, avec des massifs de fleurs, des camélias, des hortensias, des magnolias, et des feuillages qui luisent de soleil au point parfois de devenir rouge de flamme, ou jaune citron très violent, ou d'un mauve qui enivre. A côté, il y a, comme des châteaux, les tours des belles maisons d'un siècle ancien, et des allées bien soignées brûlantes de soleil. On a pas habité ces maisons, il eût fallu y naître ou passer tout son temps à les acheter: ceux qui écrivent ne sont pas toujours ceux qui possèdent. Pour ces voyages impossibles, il faut s'équiper : un café maintenant froid, un cigare toscan, et puis l'attente de la petite phrase en mode mineur indispensable, cette pensée quasiment impossible à atteindre, mais qui viendra à la surface. Enfin elle arrive, là voilà, on la transcrit d'un seul mouvement et sans en perdre une seule lettre. Alors, tout a le sens absolu de l'instant qu'il fallait vivre, parce que tout n'a de sens que par la poésie de cet immédiat perpétuel que le lac silencieux nous a donné.

 

 

 

 

 

elevergois - l'amateur des...italiens, des quoi? bon des choses jolies pleines d'eau, avec de belles montagnes autour et Stendhal qui écrit après tout ça La Chartreuse de Parme -- vous y êtes? do you get it? there is a nice picture which I took with my campari, my books and all, but can't figure out how to put it.

 

 

 

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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 08:36

 

Vers le milieu de la nuit, la belle lune que nous avons ici était venue colorer les eaux tranquilles. Elle avait substitué au lac une grande route parsemées d'éclats dansants, avec les lampes des pêcheurs, les vagues qui brillent, des clartés d'une prairie de sable où poussent des pierres rares. Une lumière douce tirait le contour des rives hors de leur sommeil, et le regard suivait cet enchantement de deux ciels profonds glissant l'un sur l'autre. La fluidité des eaux avait pris cet aspect irréel si puissant que le centre de toute vie était à présent le lac doré, le lac enchanté, le lac qui nous parlait sa langue des soirs d'été avec le chant rythmé de la mince petite vague, celle qui revient toujours soupirer ou pleurer. Nous avions pris le large en pensée, et nous dérivions nous aussi, emportés par ce spectacle qui eût pu être partout à la fois composé de toutes les couleurs intimes de la peinture, pourpre éclatante, jaune d'argile rare, violet de fleurs dont la tension varie jusqu'à quelque centre intime où foisonnent nos grands souvenirs. Entre les lances des grands sapins s'agitait une vie qui n'était plus élan terrestre, mais cascade et sauts d'un réveil au dehors de soi vers un autre, puis un autre saut, puis un autre encore. Comme à portée de main s'offraient les ondes de parfums admirablement limpides, un air inquiétant paraissait accorder les sons d'un instrument créant cette vie d'une substance plus pure que celle du jour. Quelle est la puissance qui agit ainsi au cœur du pays des rives, des vallées chaudes, des fontaines isolées, lorsque nous sentons que nous nous abandonnons à elle sans retour? De quels discrets messages la nature enchantée dispose-t-elle pour nous soumettre alors à ses volontés de légende quand elle étend en nous son inépuisable enchantement ? Comme délivrés de toutes les passions humaines que nous aurions échangées contre le séjour d'un pays exotique et brûlant, nous descendîmes par les chemins de cailloux jusqu'à la frontière liquide, pour écouter la chanson murmurée par les rives.

 

Par l'amateur des lacs italiens, repassant par les routes de Stendhalie au cours d'un été brûlant de désert - elevergois - eric levergeois -le dormeur tient éveillés autour de lui tous les pays de livres - comme ici La Chartreuse (excusez les fautes de l'auteur...) 

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