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2 septembre 2007 7 02 /09 /septembre /2007 17:18


                                    EN VOYAGE SANS LIVRE, A LA GUERRE SANS MUSIQUE




Je ne suis pas de ceux qui partent en vacances après avoir scrupuleusement vérifié que ma valise contenait l’essentiel des vêtements d’été, les sandales de plage, le costume de soir à la mode, et autres babioles qu’on fourre scrupuleusement dans les poches secrètes de ses bagages à triples fonds si pratiques et si inutiles. Mon angoisse de voyageur situe ailleurs: quels sont les livres - ceux qui m’accompagnent en général dans la vie- que je vais emporter cette fois, et quels sont ceux que je vais laisser là, comme les enfants qui ne font pas partie du voyage. Je souffre en effet d’une maladie apparentée à celle du bibliophile, du bibliolâtre même, dont les symptômes se manifestent par le manque subit et vertigineux d’un livre, accompagné de crise nerveuse, d’éclats d’impatience odieux pour mes proches, dès lors qu’un beau site - sans même, parfois, qu’il y ait un site - m’a mis en humeur de relire un passage de Stendhal, de Proust, de Rilke, et je vous épargnerai bien sûr la liste au grand complet. Étant donné que prochainement notre maison va s’écrouler sous le poids des mille et une versions de ces mêmes œuvres débusquées à des heures imprévisible partout en France,(et pas seulement en France…), le moment de chaque départ ne va pas sans une épreuve difficile: celle du Choix, l’implacable Tri. A tout seigneur tout honneur, je fourre dans ma malle les aînés d’abord: une garde rapprochée de Balzac, les grognards du meilleur bataillon stendhalien , quelques Shakespeare en sentinelle pour les soirées un peu froides, du Faulkner l’arme au poing pour les matinées brûlées de soleil ou les lieux sauvages, en bref tout ce qui peut parer l’improviste l’arrivée d’une attaque. Puis vient la sélection du rayon obscur,  de mes soleils levants intimes, la face cachée de toutes ces planète gravitant autour de mon univers: les textes de la divine Poésie! A première vue, ils  semblent moins urgents à reprendre et à compulser frénétiquement en plein désert, mais ce sont les plus fourbes d’entre tous. Imaginez-vous arrivé dans un raidillon du haut Limousin ou dans les rases lavandes des Basses Alpes, sirotant  tranquillement l’apéro ou le pastis du coin, et vlan! À l’instar du cardiaque qui fait sa crise, me saute dessus une envie irrépressible et compulsive d’un passage d’Eluard, de Goethe, de Breton que ma mémoire prise en défaut ne peut finir… Il se crée alors en moi un état de vide infini, sidéral, intergalactique. On l‘a prouvé, le mal poétique chemine par des voies plus intimes qu’une page de roman bien troussée, il distille sa chimie, infuse dans les fibres profondes, et une fois lancé  il est quasiment sans remède. Ma femme, qui malgré ou à cause de son amour angélique pense à tous les minces détails d’une équipée un peu lointaine, a pris l’habitude d’annoncer aux portiers d’hôtels avec les ménagements qu’il faut à leur susceptibilité de commerçants qui proposent « tout le confort moderne et la télévision dans les chambres » que « son mari pourrait avoir besoin de livres. Savez-vous s’il y a dans une ville pas trop loin une librairie, une vraie librairie remplie de livres, pas seulement ceux des meilleures ventes, qui bien évidemment ne l’intéressent pas ». Et je passe invariablement pour un fou. Car aucun grand sportif connu ne se prénomme Dante, et l’équipe de foot d’Hamlet n’est pas près de marquer. « La première grande ville à proximité est Rodez, à deux heures de route, tu veux que j’y appelle un ou deux libraires? » Je fais « non » de la tête, mesurant l’épreuve de stoïcisme et d’abnégation dans laquelle je serai contraint de moisir si une panne d’Eluard me fauche en rase campagne. « Tant pis » fais-je en refermant la porte de mon bureau-bibliothèque, et je me remémore les heures douloureuses que Giono dut vivre dans les tranchées, pendant quatre ans, avec pour unique secours son volume de la Chartreuse. (première partie)
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26 août 2007 7 26 /08 /août /2007 17:59


                                      JE VOUS SOUHAITE UNE BONNE JOURNEE


(cet article doit être réécrit car ayant reçu un coup de fil au moment où j'allais le terminer, une boîte dialogue d'overblog m'a empêché de continuer et même m'a offert la possibilité inespérée de tout
perdre, après deux heures de rédaction - c'était un papier d'humeur assez drôle, je le referai mais
pas aujourd'hui,  je n'appelle  pas sisyphe!)
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24 décembre 2006 7 24 /12 /décembre /2006 15:54


Extrait de Hommage à La Noue:


Parmi toutes les maisons qu'il m' a été donné de connaître, ce manoir de La Noue près de Tours a réalisé toutes les promesses de ma vie secrète de liseur impénitent. Car il doit bien arriver, finalement ce jour où le bagage infini et disparate de nos lectures trouve sa preuve irréfutable et sa confirmation, ce jour où l'on sent que les choses qui nous entourent acceptent aisément d'être lues et considérées avec l'attention qu'on accorde à des oeuvres d'art ou à des pages d'auteur. Et alors, notre accord avec le monde, que nous croyions par excès de simplicité transitoire et fragile, devient semblable à cette géniale atmosphère d'ivresse que nous comuniquent les tableaux, les vues d'intérieurs silencieux où l'esprit chemine à loisir, les natures mortes ou les portraits dont nous avons fait une collection mentale, faute de pouvoir les emporter ou les acheter. Nous ne les possédons pas, mais ils nous possèdent, parce qu'ils ont le pouvoir de nous suggérer des vies multiples, et d'ouvrir pour notre imagination des paradis. Et lorsqu'on apprend que le charme  distingué de la demeure est l'oeuvre d'une vraie Magicienne, il naît un plaisir plus précieux que les autres et qui consiste à voir  les objets simples, les immenses bouquets de fleurs séchées, les paniers d'osier remplis de pommes, comme dans un conte, organisés pour tisser les uns avec les autres de subtils rapports toujours créateurs de poésie discrète et d'enchantement. Ne hante pas sa maison qui veut, a dit le poète, c'est une affaire de magnétisme et d'ententes sécrètes. Mais pour qui sait les déchiffer, ces sortes de mirages sortis des moments les plus simples, créent un monde où la vie rêve d'elle-même, se pense et s'infinise, se multiplie pour nous plaire, et nous comprenons  alors distinctement qu'il faut vivre au rythme de cette maison magique, comme on écoute attentivement un nocturne ou une barcarole, où chaque note a des effets de découverte capitale.

e. levergeois ( tiré de Homage à la Noue,  textes en prose inédits -droits déposés)


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