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24 mars 2008 1 24 /03 /mars /2008 18:17

                                             L’ETUDIANT QUI SAIT TOUT

 

 

Autrefois, dans les vénérables Années de papa qui fit la Révolution de 1968 contre les institutions, les facultés étaient dominées par les Professeurs qui Savent Tout. C’était extrêmement rageant, parce que si par extraordinaire on avait lu un petit bout de Bachelard ou une bonne dizaine de tomes de l’œuvre de Michelet ou encore plus, au moindre commentaire personnel venant des bancs de la salle, la réponse du professeur expert et omniscient nous clouait sur le banc de l’amphi, avec la rumeur montante et les ricanements de copains qui insinuaient un : « tu aurais mieux fait de te taire » dont les yeux ravis de malice pétillaient. Il faut reconnaître que l’Université de l’époque, pour bloquée qu’elle ait été, restait malgré tout un temple du savoir ou les Raymond, Pommeau, et autres Jankélévitch ne prenaient pas la parole pour ne rien dire. La révolution structurale et post structurale n’était pas encore là, mais pour qui savait s’en donner la peine, il y avait matière à réflexion. Immense matière, même. Soyons justes, de temps en temps, un de ces grands profs, intrigué par la précocité ou le désir de savoir d’un de ses auditeurs, l’invitait à faire un exposé, car ces hommes qui étaient des continents de savoir possédaient aussi le don charitable de l’attention à la « bonne remarque », à condition qu’elle ait été pensée et repensée, et que ce ne soit pas un de ces ragots piochés dans un recueil de corrigés impies comme il s’en vomit à longueur de presse, délayages de délayages inconsistants où on trouve tout et son contraire, puis le contraire du contraire, puis le vide sidéral de fameuses et fumeuses « grilles de lecture », que j’aurais tendance à comparer à des passoires pour les nouilles. J’ai bien dit « nouilles », ce par quoi j’entends les gogos et les ignorants savants. Ainsi, étant intéressé par la peinture d’une façon presque maladive ou du moins obsessionnelle, et l’ayant fait savoir avec toutes les précautions d’usage à mon professeur d’esthétique, M. Henri Lemaître, admirable éditeur des textes sur l’art de Baudelaire et peut-être l’équivalent français du célébrissime Roberto Longhi, au beau milieu d’une série de cours consacrée à Valéry et Claudel écrivains d’art, je fus amené a prendre la parole sur l’écrivain qui est resté mon dieu et mon maître pendant des décennies : l’immense et merveilleux Marcel Proust. Encore bien jeune à l’époque, je me limitai aux allusions concernant les cathédrales, fis une immense digression sur Vermeer – j’allais voir ses quelques rares tableaux au Louvre trois fois par semaine, si ce n’est plus – et je terminai (je l’ai bien sûr compris depuis lors, à force de luttes et de recherches qui sont la somme de toute ma vie) hélas, sans mentionner les œuvres de Ruskin. Grave lacune, mais Henri Lemaître savait reconnaître la fougue et la passion émerveillée pour les arts, et il ne m’en tint pas rigueur. Je n’avais pas encore visité Florence, ni Venise, ni le Mauristhuis de La Haye, et il eut la gentillesse, la prévenance et la délicatesse de me dresser une liste complète des œuvres à contempler en Europe pour mieux asseoir mon credo et mon confiteor d’esthète proustien se croyant omniscient. J’avais oublié de me lancer dans un panégyrique de Whistler, et là, il faut bien le reconnaître, c’était un très grave oubli, peut-être même, j’ose le dire carrément une faute. Les semaines passant, je m’aperçus rapidement que les professeurs du calibre de Henri Lemaître étaient d’immenses metteurs en scènes inspirés, quasiment incollables, souverains, et je me tins coi jusqu’à la fin de ce cours qui est sans doute le plus beau que j’aie jamais entendu (mis à part ceux de Jankélevitch, où nous allions par pure curiosité et transis d’admiration devant la virtuosité et l’agilité divine du maître des maîtres – dont pour le plus grand bonheur de la Raison, France Culture a rediffusé un immense choix d’extraits au cours de l’été 2003.)

Puis le structuralisme et tous ses prophètes plus ou moins bien formés arrivèrent en bataillons serrés, et il ne fut plus jamais question de grands et magnifiques cours sur l’art, mais de déconstruction laborieuses et tristes, les tableaux devinrent aussi traversés d’axes de lecture et de points de vues croisés qu’il y a de routes et de chemins vicinaux sur une carte Michelin. Une sorte de langue de bois à base de psychanalyse mal décongelée s’empara de tout et de tous. Le paysage de la peinture hollandaise, anglaise, italienne, française, devint un réservoir de signes pour les singes, connotant, dénotant, et au bout du compte il devint hautement risqué d’évoquer le mot « art » dans les cours sur l’art. Un « novlangue » s’empara de tous les esprits, et l’on coucha toutes les œuvres sur un immense divan, sommées de dire la vérité sur leurs marges, leur contexte, leur sous-texte, leur paratexte, et l’astre nommé Paul Ricoeur n’ayant jamais été nommé devant moi, je devins vite (voir un texte précédent) un rebelle qui par dépit, alla jusqu’à passer 20 et même 25 Unités de Valeur par année universitaire. Je continuai mes études dans les musées italiens en mourant de faim à peu près constamment, avec un Dante complet dans la poche gauche, et un Virgile dans la poche droite. Il devint donc inutile d’être ou de jouer le personnage de l’Etudiant-qui-sait-tout , parce que les nouveaux assistants de l’Université, il faut bien dire la vérité, ne stimulaient pas nos élans mais les freinaient du mieux qu’ils pouvaient. On se mit à noter en A, B, C , D , E (certains  méritaient des Z, à mon avis) mais une douillette ignorance s’installa sur la question des « Grandes Œuvres » -- réputées surévaluées, « bourgeoises », comme un écho lointain mais très reconnaissable des convictions marxouillardes de nos chargés de TD qui étaient tous des émules plus ou moins avoué de la révolution de Mao, et dont le message inspiré arriva aussi dans nos cours. Un monde venait de disparaître. Je ne m’en souciai plus car j’arrivai rapidement à rejoindre ma première vraie « équipe de rédaction » où, n’en ratant jamais une, je me fis connaître par un splendide (mais sans doute imparfait) article sur huit colonnes pour célébrer Ezra Pound. (prière de lire l’ « abc de la lecture » dudit Pound avant la fin des haricots, s. v.p .) et je devins chroniqueur expert pour pas mal de temps.

Vingt années s’écoulent. Ce curieux mot d’ « échec scolaire », brutalement, fait toutes les unes des bons journaux. En 2004, intrigué par cette catastrophe lancinante, je m’intéresse au sort de mes charmantes nièces ; on ouvre Diderot, elles se taisent. On ouvre Voltaire, et elles se taisent. On m’apporte parfois quelques pages très belles en beaux caractères d’imprimerie, mais qui ne sont que du copié/collé informatique piqué je ne sais où. Bouleversé, j’apprends qu’on peut accéder à la terminale sans plus avoir grand chose. Et je finis, comme vous tous, par apprendre les calculs politiquement corrects qui permettent à ces 80 % d’une classe d’âge, comme on dit, d’avoir le bac. Alors, comprenant que tout ou presque se joue avec des dés pipés, je débarque dans le monde des « forums informatiques » où, en cette année 2008, les candides candidats au bac de ce millésime doivent plancher entre autres choses sur l’immortel chef d’œuvre intitulé Roméo et Juliette. Du même William Shakespeare, qui lui, n’a pas changé. Je relis le texte, les larmes aux yeux, tout me paraît mille fois plus beaux et plus délicat et plus sublime que ce qui se promenait dans mes souvenirs. je compare trois ou quatre traductions (avec les 6000 bouquins qu’il y a ici, les réserves ne manquent pas), je fais un tour dans mon gros Oxford Dictionary (en anglais il n’y a qu’un seul « n »), je potasse un peu pour mettre à jour du haut de mon demi-siècle d’âge et je me lance bille en tête dans un des forums scolaires où les élèves attendent qu’on leur explique des sujets (parfois un peu limités) que leur ont donné leur professeurs -- ceux qui ont pu se faire entendre et qu’on n’a pas encore poignardés ou persécutés jusqu’à l’arrêt maladie renouvelable ad libitum sur vingt ans. Et aussitôt le revoilà, il est là, il est intact, il n’a pas changé, il est aussi fier que moi à son époque, il est absolument incollable et pire que le riz Uncle Ben’s en personne…qui ça ? Mais l’ETUDIANT QUI SAIT TOUT., voyons ! Il y en a bien un, encore un, si, si, planqué derrière sa grille de lecture à triples barreaux, et tirant sur tout ce qui bouge. Le jeu m’amuse un moment, et je récidive avec une nouvelle grosse tartine d’esthétique littéraire et de panorama express de l’ère elizabetaine. En plus, l’anonymat des forums le permettant, il est infiniment poli (c’est une antiphrase, bien sûr). Je ne veux pas accabler ce jeune et zélé opérateur culturel en savoir toutes mains, mais voici quelques perles de ce « détenteur de connaissances » du dernier cri. Je le cite : « tu n’as rien compris : la pièce commence avec le prologue » , c’est juste, elle commence même avec la couverture sur le titre, en étant très équitable ; ensuite : « mais non, on pouvait parfaitement éteindre le grand incendie de Londres », c’est vraiment un grand malheur que les contemporains ne t’aient pas connu, cher ami ; et puis il me dit, du haut de sa science implacable : « tu m’exaspères à la fin ! » à propos de quoi, déjà ?(…) ah, oui, ma fresque romancée de la période élisabéthaine exaspère ce gentil et courtois intellectuel du savoir-presque, et puis ceci : « les plantes et la Foi guérissaient des grandes pestes et autres maladies » -- je termine par celle-ci : « comment le mot « intemporel», ça veut dire ça pour toi ? « ce n’est pas ce qu’il y a dans le Petit Robert ! » et le reste à l’avenant et toujours sur le même ton autoritaire dont on parle à un faquin dégoulinant d’ignorance crasse. L’ETUDIANT QUI SAIT TOUT existe bien encore. Il ne rêve pas du sublime, ne songe pas à immortaliser sa chambre d’étudiant par de sublimes pensées, et déclare pour finir, (attachez vos ceintures) que Roméo et Juliette « meurent par sottise ». Ca, ça m’en bouche un coin, par exemple, ils meurent par sottise…ils meurent par sottise…tiens donc ! En écrivant ces lignes je réentends au fond de moi les accents terribles de Berlioz dans le passage intitulé Roméo au Tombeau, je pense aussi à Prokofiev, je pense à Laurence Olivier dans Richard III et sa façon si spéciale de jouer ce personnage contrefait en criant à tous les démons de la terre pour avoir un cheval, « my kingdom for a horse » et les fantômes de tous ceux à qui il a voulu tant de mal  qui lui murmurent: « despair, and die ! » « despair , and die ! » Alors se recompose dans mon esprit tout cet océan de vie, de fureur, de crimes, cette lande magique et hors de ce monde où ce merveilleux théâtre se meut, surnaturel, éclatant comme un sardanapalesque Delacroix aux dimensions géantes, divin Shakespeare ! divines muses qui avez mis sous la plume de cet Amazone de langue qui repousse tout dans sa spire et foule aux pieds tout ce qui n’est pas ton pur et éternel et sublime discours, alchimie de mots volés au ciel du tragique…Bon, il faut que me calme. Une troupe bariolée avance vers moi, hurlant jusque tard ce soir , comme dans une sarabande qui tient le milieu entre Rubens et Jerôme Bosch: « Roméo et Juliette meurent par sottise », « Romeo et Juliette meurent par sottise » « par sottise ou de sottise ? » -- je sens que si je ne me verse pas un scotch tout de suite, brrrrr...  ça va m’arriver à moi aussi. (elevergois – chroniques impubliables – droits déposés)

 

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24 mars 2008 1 24 /03 /mars /2008 14:37
Comme mon navigateur Firefox ne veut pus faire de copier /coller, j'ai tapé le texte dans l'éditeurr de texte overblog et j'ai recorrigé des espaces -- pour un ancien (et toujours pimpant) journaliste, c'est pénible à voir. J'accepte tous les conseils et je supplie overblog de me donner un tuyau pour corriger cette horreur! Help! Help!
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24 mars 2008 1 24 /03 /mars /2008 12:29



                                              JE NE SUIS PAS GENETIQUEMENT PROGRAMEE POUR CA


Voilà ce qui m'arrive et  que  voudrais, si  possible,  communiquer  au doux  pays  de France où il y a des femmes
battues et des drames de couples à la une  (j'allais écrire "à la hune") des journaux de toutes les couleurs. Ce matin j'étais en train de laver sagement le sol de la cuisine avec des détergents biologiques , et je frottais comme
une bête -- je ne sais pas travailler autrement, avec rage et ardeur - quand tout à coup je me suis aperçu que ça ne
 me gênait plus. En l'absence  de  Marie-Adélaïde, avant notre  Pacte  de  Non  Agression  Mutelle  sur  les  Tâches
Ménagères (PNAMT, si vous préférez), je pestais comme un putois. "Oui! voilà, qu'est-ce que dirait ma mère si elle
me voyait!" disais-je sans sourciller "elle qui a  toujours  fait  tout  pour  ses enfants! il a  fallu que  je me marie pour
mettre les mains dans l'eau de vaisselle, et  je range mes propres chemises! quelle galère insensée! c'est tous ces trucs-là qui ne sont pas   dans   le   Code   Civil, qu'on découvre trop tard, qui nous gâchent la vie...." Et puis des
phrases et des phrases de   ce  genre, bref, ça disjonctait dans notre couple trois ou quatre fois par semaine. Pire:
dans le silence des nuits  où  le  sommmeil  semble é tale comme une  mer d'huile,  des pensées d'insomniaque
monstrueuses remontaient à la surface de ma conscience: "Enfin, aucun de tes grands  modèles  n'a eu cette vie!
Est-ce que Baudelaire, Stendhal, Proust, et autres grands hommes se sont mariés?  pas  si bêtes! c'est une vraie
galère cette histoire, on ne va en sortir que par une catastrophe!" et je  ruminais  sans fin, en attendant le sommeil
entre des visions de produits de nettoyage, de brosses, d'aspirateur, etc. qui dansaient la sarabande autour de moi
comme dans l'Apprenti  Sorcier de Dukas dans la version Mickey - que vous connaissez tous. Puis un jour, Marie-Adelaïde   qui   fait   des   phrases   historiques    comme    les  reines  de  France et de Navarre, m'a lancé celle-ci,
particulièrement adaptée au moment historique que nous traversions: "Est-ce que tu crois que je suis GENETIQUEMENT PROGRAMMEE POUR TOUT FAIRE DANS LA MAISON?" C'est plus fort que moi, j'aime les phrases  historiques  qui  changent le destin d'un pays ("La France a perdu une bataille,  etc."  ou "Je vous promets
de la sueur, du sang et des larmes, etc." , ou encore "C'est avec le rêve de mes soldats que je gagne mes batailles" - et je  vous passe la liste complète. Et là, dressée devant moi et aussi haute que l'Empire State Building
et la Tour Eiffel, j'en avais une, de phrase, de celles qui ne sont pas faites pour tomber dans l'oreille d'un sourd. Je suis parti dans un autre pièce pour déguster en silence "ma" phrase historique. "Je suis pas génétiquement programmée..." J'écarte tout effet psychanalytique à deux euros cinquante, mais j'eus l'impression de me retrouver en   classe    de     latin avec  un  professeur  régalant  toute  la classe  d'une traduction  de  Cicéron complètement
baclée qui,   en    classe de troisième, m'avait mortifié pour le restant de mes jours. "Je ne suis pas programmée..."
C'était incontournable, imparable, même en utilisant les arguments les plus tordus. J'ai mis un instant ma toge imaginaire d'avocat intérieur et j'ai tenté une plaidoirie désespérée devant ma conscience qui était déjà acquise
à la déclaration implacable du Procureur de la République familial -- qui au fond de moi avait déjà opiné du chef et
rangé tout le jury de son côté." Mesdames et Messieurs, mon client est un artiste, un auteur en instance d'inspiration, un poète délicat qui aime les fleurs et les beaux nuages de Touraine, c'est un être exquis et généreux qui survole les accidents mineurs de la vie avec des attentions de rêveur impénitent. Il surnage au-dessus des petites réalités, il ne les voit pas. Est-ce sa faute, si ce contemplateur de ciels et d'étoiles, ce Chopin de l'écriture - les avocats doivent toujours en rajouter des tonnes, bien sûr - n'accorde qu'une importance secondaire, infime même, à ces futiles réalités? Je vous le demande à tous, qui êtes ici réunis, peut-on demander à une nature d'artiste hypersensible comme la sienne d'écrire la nuit, le jour, et même les jours hors du calendrier - comme dans Marcel Aymé - de mettre les mains dans la triste mélasse et le cambouis du quotidien? Mesdames et Messieurs, s'il existe une Muse des travaux de la masion dans la mytthologie, je vous prie de la nommer!" (ça c'était pas mal trouvé, ça, mon avocat intérieur est un finaud, bravo cher Maître!). Le président du tribunal a souhaité poser une question: "puis-je demander au prévenu qui faisait les travaux du ménage dans sa famille: sa mère ou son père?" J'étais coincé: j'ai balbutié: c'était ma mère, monsieur  le Président". "Et votre père n'assumait rien, il n'aidait jamais?" "Si, il assumait les travaux lourds,mais généralement, c'est maman qui faisait tout, ai-je dit  d'une voix presque inaudible..." Et bien voilà, a tonné le Procureur: En voilà une, de ces femmes héroîques taillées sur un modèle ancien: des esclaves consentantes,humiliées, outagrées, persécutées!" (je me suis rappélé : ciel, c'est comme de Gaulle devant Notre Dame en août 1944,cette déclaration qui me fait pleureur toutes les larmes de mon corps:"Paris outragé, Paris persécuté, Paris martyrisé,mais Paris libéré! libéré par son peuple (.../...) c'est à dire de la France qui se bat, de la seule France, de la France éternelle!" Je me suis rassis sur le banc des accusés en baissant la tête. La cause était perdue. Oui, sans doute, ma chère mère en avait beaucoup trop fait, elle avait beaucoup travaillé, beaucoup trimé, comme on dit, et mon cher père n'avait pas été toujours excessivement reconnaissant - "mais mon père était un très brave homme!" a dit encore une voix intérieure. Et une voix a répondu: "Et bien soyez aussi un brave homme, et regardez  le monde autour de vous: les femmes ne sont plus des esclaves qu'on ne paie pas! La vôtre n'est-elle pas une splendide artiste, une incroyable experte en cuisine, en bricolage, en voyages en Amérique, en fresque, en peinture, en dessin, croyez-vous qu'en plus vous devez la regarder sans rien faire sous prétexte  que vous êtes "un homme"et elle "une femme"? Vous pensez qu'il s'agit d'un être inférieur à qui on peut tout demander? Ce sont des manières d'un autre âge, archaïques, aujoud'hui déshonnorantes, vous vous prenez pour un artiste ou pour un roi fainéant?!" Au bout de longues minutes de silence, j'ai pris mon courage et mon éloquence à deux mains, et j'ai dit:"Messieurs les jurés, monsieur le Président, j'ai compris. Quand ma femme m'a dit: "Je ne suis pas programmée génétiquement pour les tâches ménagères, j'ai été frappé  par  cette  remarque  comme si j'avais entendu Descartes en personne me parler et me
dire "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée".  Désormais,  les  choses  du  ménage  seront aussi
partagées. je ne veux pas être comme le bonhomme Chrysale des Femmes Savantes, je ne veux pas passer à la
postérité de mon quartier comme une espèce de tyran. D'ailleurs, si je le  faisais,  non  seulement je n'oserais plus
me regarder en face, mais elle me mettrait à la porte en me disant: retourne chez ta petite mère qui fait si bien le ménage! Ma femme est un être admirable: la preuve, nous nous sommes presque rencontrés et accordés devant
les fresques de Fra Angelico et mon article  (introuvable  aujourd'hui  à  cause de me mauvais rangements, hélas!)
sur la peinture de Pierre Bonnard. C'est "Le"contrat de mariage muet et inspiré qui nous a unis,le vrai, le seul. En plus, j'ai commis, grâce à Madame Roudy et à son assistante, un projet de livre sur "les Femmes de pouvoir et d'influence" (écrit et signé par Madame Coquillat) qui a même connu un passage à Apostrophes. J'ai fait toute la documentation, j'ai rencontré même la présidente des femmes patrons au CNPF (le Medef de l'époque) et je sais parfaitement que les femmes ont d'énormes difficultés pour être les égales légales des hommes, bien que souvent elles nous dépassent de plusieurs longueurs dans beaucoup de domaines. Je vais même ajouter ceci pour ma défense: je crois que c'est PARCE QU'ELLES SONT DEVOUEES ORGANISEES ET SUPERIEURES que nous choisissons médiocrement de nous la couler douce. Femmes de France, vous avez devant vous le Raskolnikov de la serpillière, le Saint François de l'aspirateur, le Saint Augustin des petits travaux ingrats , amabam
errare sine organisatio.... " "Bon, n'allez pas en rajouter quand même, le jury appréciera. Ce jury se retire pour délibérer!" - Je m'en suis bien tirer. Nous avaons signé ce pacte sur les tâches ménagères que j'accomplis de mieux en mieux jour après jour. Je ne rechigne plus devant ce qui m'est demandé, et mieux, je devance quelquefois l'appel, en me rendant compte de qui ne va pas. Tout va bien. Je m'en souviendrai: "JE NE SUIS PAS
GENETIQUEMENT PROGRAMMMEE POUR LES TACHES MENAGERES". Je m'en souviendrai longtemps. Tout va pour le mieux et nous sommes très heureux. (je vous le dis en murmurant et en cachette: je me demande parfois
qui faisait le ménage de Chopin....(mais c'était peut-être lui, après tout, sûrement pas George Sand! ) -

 P.S. Femmes de France humiliées, si vous avez un problème, ralliez vous à ce mot d'orde magique: "JE NE SUIS PAS GENETIQUEMENT PROGRAMMEE...etc" ça marche très bien. -- (elevergois chroniques impubliables - droits déposés)


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18 mars 2008 2 18 /03 /mars /2008 16:27
                                                                      



                                              NOUS ACHETONS UNE VOITURE  (2)



Donc, avant de laisser partir l’argent dont nous disposions dans mes continuelles orgies de livres qui grèvent le budget autant que des achats d’orchidées à la tonne, nous avons fini par l’acheter, cette voiture. Oui, la voiture neuve métallique horrible et si semblable à toutes les autres ! « Il faut qu’on se dépêche parce que je sens que tout cet argent va nous filer entre les doigts » m’a dit Marie-Adelaïde. Alors, plutôt que de demander où mettre l’argent à un Jérôme Kerviel – pas encore célèbre, on l’a échappée belle – on a mis l’argent tout simplement dans l’achat du véhicule. Marie-Adelaïde s’est laissée convaincre par l’idée qu’il y avait un porte-bicyclette qui se déplie sous la plaque arrière (« tu fais de la bicyclette même entre deux visites de musée à Florence, avoue que comme ça ce sera plus pratique pour la transporter, non ? ») , et moi je me suis laissé convaincre par une réplique d’un vieux film américain qui peut se traduire ainsi : « t’es aussi menteur qu’un vendeur de voitures, vieil ananas! ». Parce que le discours sur la supériorité du véhicule envisagé me faisait hurler (intérieurement) de rire : les merveilles de cette marque conçue par plus fort que Léonard de Vinci au minimum, on s’en fichait complètement. On voulait l’acheter ce samedi après-midi, épuisés, on était fatigués d’avoir vu tous les concessionnaires de la terre, et comme on dit, on était arrivés dans ce show room avec cette seule idée : prenez nos sous et donnez – nous une voiture passable, ou on va faire une syncope. Et c’est tout. Point barre. Sinon on va faire des bêtises avec l’argent, mais cette remarque-là on l’a gardée pour nous, bien sûr.  Donc, on a dû subir, un peu comme pour notre mariage,  (mais là, on avait triché : j’ai dit que j’avais fait la « préparation religieuse » en Italie aux Français, et aux Italiens, j’ai dit que je l’avais faite en France…) donc subir, dis-je, la « Préparation à l’acquisition d’un véhicule neuf » avec extraits de la Bible du Vendeur d’automobile, référencés comme dans la vraie Bible, parce que le vendeur ne connaissait pas tout, et – ça peut paraître idiot, comme ça – mais on pose toujours les questions qui gênent, et donc l’homme de l’art avait le guide technique de mille pages dans la main (pleine de sueur) et ça a été aussi simple pour lui que dans un procès d’assises. C’est normal, après tout : outre ma passion pour les livres, j’ai construit ma première voiture-moulin-café-récyclé sur 220 volts à l’âge de huit ans, alors j’ai des questions que les autres gens n’ont pas. Et ma douce moitié, qui passe son temps a redessiner des parcs pour des well to do qui meurent d’avoir son talent de peintresse aristocrate jusqu’au bout des ongles, elle, est spécialisée dans les questions qui donnent envie de changer de métier. « Dites-moi, ces dessins du tissu qui recouvre les sièges, vous avez dû vous donner beaucoup de mal pour y arriver? » « Et pourquoi, Madame ? » « C’est un cauchemar, on dirait une bouteille d’encre qui se renverse…enfin, je vous dis ça en termes de goût, peut-être que c’est plus « actuel ». Et vous avez remarqué comme c’est dur dessous ? on dirait qu’on se pose sur l’accoudoir d’un fauteuil club. La couleur, vous n’y êtes pour rien, mais cette dureté des sièges… » J’avoue que j’ai eu pitié du vendeur, et que j’ai jeté l’argument absurde dans la balance, genre homme politique bardé d’évidences : « c’est pour qu’on fasse des pauses plus souvent, parce qu’on a envie de descendre tellement on a mal, le confort trop mou est une des premières causes d’accident, si, si, si, – de plus le conducteur reste bien en éveil, et dans mon cas, par exemple, je quitterais la voiture et je sauterais immédiatement sur mon vélo pour faire un tour dans la campagne, par exemple, tu saisis ? C’est un peu machiavélique, mais c’est bien pensé, je t’assure ! »


Regard éperdu de reconnaissance du vendeur et mutisme de Marie-Adelaïde qui sentant qu’on sort de ses limites d’expertise, range son glaive et n’offre plus que la divine politesse française estampillée d’époque, aux sons charmants comme du Couperin. Peut-être aurais-je dû m’abstenir de demander où il y avait du métal dans la carrosserie, car ça nous a pris pas mal de temps, en effet, en laissant des traces de doigts partout, pour savoir s’il y avait par hasard encore un peu de métal –  j’aurais dû  mettre un aimant dans ma poche, c’est stupide – mais en tapotant ici et là, on a finalement trouvé quelques particules de métal qui ne sont pas parties en Chine ou qui en sont déjà revenues. Bref, c’était neuf, c’était un machin avec quatre roues appelé « automobile », et ça en avait aussi peu le goût que les tomates irradiées et les yaourts fraise au vrai parfum de fruit élaboré en usine. Et je n’ai vu ni le moteur, ni les roues, et même pas goûté la musique des pistons et des bielles. Mais : « ca ne se fait pas, Monsieur, d’ailleurs maintenant tout est si compliqué et électronique que ce sont des plaisirs dépassés. Au moindre accident, on change quasiment tout, maintenant. » On a signé trente six mille papiers qui prouvent que nous sommes solvables, pas repris de justice, et on a réussi a subtiliser dans la confusion le guide technique et une semaine plus tard  --  j’avais dit à tous mes amis : j’achète neuf, je suis le dernier des idiots, mais c’est une tradition chez les Dupuy de Ravieul de Chantignon, il faut que je m’incline – je prenais le volant d’une splendide voiture neuve tirant à droite dès le premier passage sur autoroute. Côté sensations, c’est tout simple, il n’y en a plus une seule. J’attendais une direction assistée comme un miracle, et je me suis senti, dans ce modèle-là, en tout cas,  tourner une grande cuiller en bois dans une motte de beurre en train de fondre. Les roues tournent dans le sens où on veut, la question n’est pas là, mais la sensation physique d’accrocher la route a disparu. Envolée, volatilisée. On a acheté un jouet, mais en plus gros, et avec des sièges durs. J’ai ruminé cet achat fait peut-être un peu hâtivement pendant quelques semaines, puis, une nuit où je ne dormais pas après avoir longuement pleuré sur l’ancien modèle  -- les plus érudits d’entre vous se reporteront à « Regrets sur ma vieille robe de chambre » de Diderot, disponible sur la toile, sur site canadien – la vérité m’est apparue. Lumineuse, avec de grandes ailes d’ange déployées devant moi (comme à Florence où j’ai tellement pleuré devant tant de fresques que je fais de la bicyclette sur les collines à la recherche du divin message ) et elle m’a dit : « par cette voiture, tu n’auras plus le goût des machines à quatre roues. Tu deviendras écologiste tellement tu seras écœuré. Et en ne roulant plus, tu pourras sauver ta vie et celle des enfants et des vieillards qui n’osent plus respirer, etc. etc. » Finalement, c’est juste. On a l’air d’avoir une voiture, on a l’air d’en être contents, on a l’air d’avoir l’air et c’est toute l’époque qui est comme ça. De rage, j’ai collé une petite statue Bentley en plastique sur le garde-boue de ma bicyclette de course « version ville » (la bicyclette « femelle » comme dirait délicieusement l’auteur de la gorgée de bière, car je n’oserais pas le faire à mon vélo de course « mâle », bien sûr) et je roule à 20 – 30 kilomètres heures pour la moindre course, sous les yeux des vélibistes éberlués, avec casque, sonnette, en évitant les couloirs ad hoc réservés aux poussettes, au déchargement des courses, aux cageots des marchés et aux idiots qui traversent de partout. Et puis, un soir, Marie-Adélaïde qui n’en loupe pas une m’a confié son sentiment le plus intime de juge experte : « Mon chéri, j’espère que tu ne vas pas te fâcher, mais avec tout ce que tu racontes sur ce modèle et tout ce que j’ai glané un peu partout, j’ai trouvé la clé du mystère : nous avons acheté une voiture de « petite bourgeoise »! Cette auto est mesquine à un point que tu n’imagines pas. Mais reconnais qu’on avait besoin d’en changer, alors pourquoi pas celle-là ? » Mon sang n’a fait qu’un tour : «  Et tu supportes ça, toi ? ! » «Mais mon chéri, tu ne comprendras jamais le plaisir que « nous » éprouvons, de temps en temps, à faire comme tout le monde, c’est si rare. » En attendant, la  petite nouvelle n’a pas quitté le sous-sol depuis trois mois. Je n’avais jamais réfléchi au fait que le moins polluant c’est encore de ne jamais rouler. (eric levergeois – droits déposés – chroniques impubliables, -- la version papier sera dopée de jeux de langage supplémentaires, sans doute plus drôle, mais je n’ai pas le temps actuellement )

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9 janvier 2008 3 09 /01 /janvier /2008 08:09
                                                                 MAMAN AUSSI S’APPELLE CARLA !


Au risque d’étaler ma vie privée à la manière de tartines de Nutella dégoulinantes et grasses,je vais faire cette confidence : elle s’appelle aussi Carla, ma maman. Donc, direz vous, elle est ou était italienne à un moment de sa vie. C’est exact. Jusqu’au moment où le destin de la famille de maman a basculé, parce que mon grand-père italien – que je n’ai jamais connu parce que des Français l’ont tué – qui était une sorte de Jean Valjean pour la force et un Caruso pour la voix, n’a pas beaucoup aimé que des types en chemise noire lui disent qu’il fallait qu’il se « comporte désormais comme un Vrai Italien fier de la Grande Nation de notre Duce… » Il paraît, c’est même plus que sûr, qu’il en a envoyé valdinguer quelques-uns dans le fond d’une vallée avec un beau coup de pied au derrière, comme dit Voltaire dans Candide – mais évidemment, c’est pas de cette façon que les choses s’arrangent. Un jour il en a boxé carrément une quinzaine à lui tout seul, et alors après, il lui a fallu quitter le pays. Il parlait déjà français, parce que les Italiens du Piémont le parlaient à l’époque. (Même dans les années soixante les personnes âgées le parlaient avec grâce, avec fierté, c’était classe d’être de France en ce temps-là.) Et puis il avait voyagé, mon grand-père, il en avait fait des vertes et des pas mûres au volant de grosses voitures, car il aimait les bolides : le sien était jaune, une Diatto. Donc quand mon père – un Normand pur jus du style Gabin, plutôt héros calme et posé,  mais gare à vous. Faut pas aller lui marcher sur les pieds, ni arriver en France avec des tas de soldats qui portent un uniforme vert de gris, par exemple,  car il est de la race de ceux qui disent non tout de suite – est arrivé dans le beau pays de ma mère, il s‘est retrouvé avec un sobriquet. Il avait épousé « La » Carla, comme on dit « La » Callas, « La » Tebaldi, et dans les villages, et donc, comme on désigne les gens par leur prénom, lui, il était « le mari de La Carla », la fille de Pietro et Teodolinda (c’est le prénom ancien de la reine des Lombards, tout aussi ancienne, et comme ça faisait bizarre on disait souvent Lina, « La Signora Lina »).

Dans cette partie de l’Italie, comme dans bien d’autres, on était « La Signora » machin chose pour se différencier du petit peuple qui se courbe naturellement devant les grands et assumer jusqu’à la lie sa petitesse. Souvent, ça faisait enrager mon père qui est un républicain à tous crins, un enfant de la laïcité glorieuse et des hussards de la République, qui doit tout à Jules Ferry, à Hugo, à son culte pour l’égalité et les grands principes. Mais dans notre Italie, ça n’était pas comme ça : les Italiens, ils s’arrangent entre eux, et ils saluent presque encore chapeau bas les « Signori », comme dans un roman de Stendhal qui ouvrirait ses pages à l’improviste devant vous. Enfin j’exagère un peu, mais les distinctions sociales n’ont rien à voir avec notre république aux seins nus conduisant le peuple à la façon du tableau de Delacroix. Rien de tout ça, parce qu’elle date d’un vote de 1947, cette jeune République italienne, et que les traditions sont encore bien ancrées. Bref, enfant, j’avais cette possibilité merveilleuse d’aller pendant les vacances  dans un pays où il a du soleil, des azalées magnifiques, des jardins, un lac grand comme une petite mer. Et je changeais de langue à la frontière comme on tourne le bouton d’une radio, sans y faire attention. Inutile d’utiliser mon prénom non plus, je disais dans le village pour me présenter à ceux qui le savaient pas encore : « je suis le fils de la Carla », et les gens disaient : « laquelle ?…ah, oui, la Carla Française ». Parce que maman n’était plus une Italienne cent pour cent, elle avait pris une teinture d’égalitarisme et de respect de certaines choses, en bref elle n’avait plus l’esprit du village, elle s’était émancipée au contact d’un monde moins fermé, et son père – mon grand-père, toujours lui --lui avait dit : « tu vas à l’école et tu respectes ce pays qui t’a accueilli sans rien te demander ». Partie en 1930 et des grosses poussières, revenue en 1950, elle avait  acquis des réflexes différents de ceux des Italiens du coin, et c’était irréversible. Dieu merci d’ailleurs. Bon, mais revenons à ma vie privée qui vous inquiète tous : enfant, on me demandait après mon prénom une seule et unique question qui préoccupait apparemment tous mes copains italiens : « Tu soutiens quelle équipe de foot, en France ? » Je ne savais pas. Chez nous, le football, c’était juste un lointain souvenir des exploits de Just Fontaine, mais soutenir une équipe bec et ongles dès l’enfance, je ne sais pas si j’ai connu des copains français qui faisaient ça. Je ne répondais pas et ça paraissait décevoir. Quant à parler le français, il fallait que je le prouve : « allez, tu racontes des bêtises, t’as même pas d’accent, vas-y un peu pour voir ! » Et alors je récitais une poésie de l’école communale française avec le ton, et tout et tout (mon père adorait ça, la poésie, je crois même qu’il nous a communiqué le virus, d’ailleurs, on écrit tous les quatre, the father et les trois frères, la rage de la plume) parce que c’était une religion chez lui : savoir des poèmes, des textes, aller apprendre, revenir avec de bonnes notes, etc. et les autres en restaient bouche bée. « T’es français mais à moitié, alors ? » allons pour la moitié, ça dépend des jours, on va pas chipoter.

Maman avait une phrase qui exprimait tout sont caractère explosif , c’etait « Aussi vrrrrai que je m’appelle Carla ! ! !… » avant de dire qu’elle allait faire un éclat ou voler dans les plumes à quelqu’un. Elle a toujours envoyé des remarques incroyables à bout portant, sans prévenir, et c’est certain que de ce côté là elle est restée très italienne, réactive, rebelle, comme à peu près tous les gens qui ont souffert de la guerre et qui ne s’en laissent pas compter face aux accidents de la vie. « Carla », c’est un beau prénom. Pourtant, je ne disais pas ce nom-là, ou du moins j’hésitais si on m’interrogeait sur le prénom de ma mère, à l’école, parce que dès les premiers essais – en France on adore cataloguer– on me lançait :« ah, t’es italien toi… » ce qui signifie toujours un tantinet, surtout dans ces années-là,  « pourquoi vous êtes venus manger le pain de … » et autres gentillesses. Sauf une fois où l’Italie, pendant la Coupe du Monde de foot de 1982 en Espagne (mes parents étaient en Italie à ce moment-là), l’Italie est devenue le pays qui devait laver Notre Honneur. On s’était fait rouer de coups par des Allemands pas très fair-play et on allait être  vengés par les Azzurri – c’est à dire un certain Paolo Rossi + dix autres joueurs, soyons justes. Situation ultra-délicate pour mon insconscient. Les coups de téléphone on plu à la maison, un vrai Déluge, et là tout le monde s’est lâché : « allô , je me suis souvenu que ta mère est italienne… » « allô, excusez-moi, votre père n’est pas là ? votre mère non plus sans doute… » et une voix en plus pur style seizième arrondissement laine et cachemire qui se lance : « bon, enfin on espère que l’Italie va sauver « notre » honneur, parce que quand même, ils nous ont frappés …» « excuse-moi, si je t’appelle mais tu sais, je souhaite comme tous les Français que l’Italie gagne ce soir… » Moi, ça me faisait bizarre de porter tout cela, mais évidemment j’étais pour l’Italie. Et ils-on-eux-nous-vous-je avons gagné ! (bon je sais que  récemment ça a été plus délicat, ce n’est pas mon meilleur souvenir, mais sur tele globo, qui avait une video de face j’ai bien lu sur les lèvres du joueur italien les ordures qu’il disait,  mais c’est un cinglé de première celui-là, et la bêtise c’est une supra-nationalité universelle. Même maman s’est fâchée contre les Italiens, c’est rare, mais dans des occasions « historiques » comme celle-là…). Alors voilà, ma petite mère qui s’appelle Carla, (à condition bien sûr que le Président épouse la sienne de Carla) elle va rayonner de joie. « Tu te rends compte « Carla », comme moi ! » me disait-elle hier. On va me dire en Italie : « Ah, ma anche Lei si chiama Carla ! com’è bello ». Voilà : j’avais une merveilleuse famille avec une mère qui m’a pour ainsi dire apporté sur un plateau le soleil, un art de vivre, et puis Florence, Dante, Rome, Fellini dans le texte, choses si importantes pour ma sensibilité, après les désastre de la guerre, et maintenant, les aléas de la paix vont faire qu’on va trouver ce prénom charmant. Voilà.. . euh, j’allais oublier le plus important : maman aussi était chanteuse, elle chantait divinement les cantiques à l’église et elle ajoutait des vocalises à n’en plus finir qui effaraient le curé du village de Normandie. Plus tard, mon père a fait l’impossible pour qu’elle passe des auditions, mais rien à faire. Seulement, quand un ténor passait à la petite radio qu’on avait, ou à la télé, maman regardait dans le vide, plongée dans un vieux souvenir qui a été son chemin de croix toute sa vie,  elle disait, à condition que ce soit superbe bien sûr : tu vois, mon père chantait comme ça, peut-être même mieux) –et quelquefois elle sortait de la pièce pour pleurer.

Ma mère n’en veut pas exagérément aux Français, mais mon père, ça l’a tellement outré qu’on assassine un Italien, le père de sa femme, et tellement fasciné que cet homme ait été un mythe pour toute sa province, qu’il en a fait un livre, qui là-bas est devenu celèbre. Il a dit à la télé : « La justice, quelquefois, il faut attendre longtemps pour qu’elle se fasse, alors, comme ça ne venait pas, j’ai enquêté pendant trente ans, et je l’ai faite moi-même la justice, quelquefois ça vaut mieux. » Brutalement, j’ai découvert toute la vie de mon grand-père, ses folies, ses courses en voiture, le village d’il y a bien longtemps, dans les moindres détails. Tout le monde dans la salle avait les larmes aux yeux. C’était donc ça, un homme marqué sans doute par le destin, un ouragan d’homme incroyable …bon, je ne suis pas là pour étaler nos histoires de famille. N’empêche que si une femme nommée Carla devient première dame de France, ma petite mère va être secrètement très heureuse, j’en suis sûr parce qu’elle a bon cœur. Et là, pour les coups de téléphone qu’elle va recevoir de tous les parents et les amis, ce sera pire que pour la Coupe du Monde  de 1982!  (elevergois-chroniques impubliables –droits déposés.)

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7 janvier 2008 1 07 /01 /janvier /2008 22:58
                                                            NOUS ACHETONS UNE VOITURE


Après avoir tiré au delà du pensable  sur  les  ressources de notre ancienne guimbarde – qui
a encore de l’allure, il faut le dire – voici que se pose à nous le délicat problème d’acheter une voiture neuve. Ou quasiment : un vaisseau roulant sans bruits de carrosserie, sans chuintements, sans hoquets ni grincements, avec des sièges confortables, bref, nous allons franchir la frontière qui séparait notre ancienne torpédo de « la » modernité , la vraie, la récente, celle que tous les conducteurs connaissent depuis des lustres. La direction assistée me fera l’effet d’un voyage en TGV sur pneus, le freinage à disques sur les quatre roues bloquera la gomme aussi fort que des trains d’atterrissage, et nous survolerons bientôt les Alpes au lieu de les gravir roue par roue,  derrière les cyclistes, dans l’essoufflement du châssis,  et des pistons calés sur  le contre-ut ostinato de la seconde vitesse poussée à plein régime. Plus d’angoisse d’exploser en altitude !plus de peur de rater une courbe en descente ! En somme c’est la vraie joie, le paradis à portée du carnet de chèques. Seulement voilà : nous avons un gros défaut qui nous poursuit depuis pas mal d’années et ponctué de brouilles avec nos meilleurs amis. Nous ne savons pas ce que nous voulons, mais savons exagérément ce que nous ne voulons pas. Je résume ce profil : quelque chose qui serait comme «artiste-un-tantinet-docteur-ès-tout-et--très-baroudeur-voyageur-et-qui-se-veut-très-personnel-et-loin-du médiocre-avant-toute chose», ce qui signifie parfois : vivant sur une autre planète.

En gros : nous sommes on ne peut plus éloignés du style tous publics, avons une sainte horreur pour la banalité, le snobisme, le tape-à-l’œil et tout ce qui ressemble à Monsieur Tout le Monde, et last but not least,  nous préférons les couleurs à la grisaille. Ca ne va donc pas être facile. A la première plongée dans les catalogues rutilants, d’emblée une déception nous a frappés de plein fouet : toutes les bagnoles de cette décennie sont gris métal, bleu métal, violet métal, n’importe quoi métal. L’horreur ! La voiture de nos rêves, dans cette forêt de profils bien astiqués et mornes, brille (si j’ose dire) par son absence. Les seules qui ne le sont pas (métalliques) sont jaune vif style Porsche ou Ferrari, du style : hé, visez un peu mon bolide, je roule en super GT , z’avez pas vu la classe ? Naturellement, cette classe là, ce n’est pas la nôtre. Cet étalage de luxe clinquant nous ferait presque penser que nous sommes tombés bien bas, dans le plouc chic et le monogramme  Louis Vuitton sur tous les bagages, comme les touristes de lointains pays en rapportent de Paris par container entiers. Pas franchement notre genre. Comme on n’achète pas sa voiture – celle qui est aux normes, bien sûr – chez les antiquaires, nous avons décidé de les regarder passer dans la rue, dans la vie, au hasard des rencontres sur les routes, ou derrière la fenêtre d’un bar donnant sur une avenue passante. Catastrophe ! Un long ruban de métal pailleté de soleil ou de fines d’éclaircies défile sous nos yeux, et la différence d’une voiture à une autre relève, pour ce qui est des formes, d’une minuscule audace dans le tracé des feux rouges, ou bien des phares, par ailleurs standardisés jusqu’à l’écœurement. Les Renault, ma femme n’en veut pas, question de fidélité à une autre marque réputée plus solide, laquelle marque ne fait que du laid. Des crapauds à roues ou presque. Marie-Adelaïde ne s’y trompe pas, elle qui est un peintre d’une rare finesse : « tu ne nous imagines quand même pas là-dedans ? » fait-elle d’une voix lucchinisée en observant plus intensément le crapaud en question. Non, pas vraiment. D’ailleurs ces voitures font petit retraité debout sur son livret d’épargne, du solide pour du solide. Or, l’aspect solide n’est pas notre priorité. « pouah, ca fait rentier enragé ou pire,  vendeur de chaussettes qui a réussi, tu ne trouves pas ? » insiste-t-elle.
Effectivement, moi aussi, je trouve, je trouve…mais les mois passent et à force de les trouver plutôt  comme si ou comme ça, je ne trouve plus rien. Sinon que retaper l’ancienne auto nous coûterait les yeux de la tête en rapport qualité prix – puisque nous voulons l’abandonner à son sort. Allons donc voir du côté des étrangères : le monochrome y est aussi de rigueur, avec une variante : ou tout noir, ou tout blanc. Ca ne vaut guère mieux, et ça laisse espérer que l’Inde et Bollywood se lanceront un jour dans le marché pour égayer ce long jour de deuil. Nous pourrions essayer « bleu » avancé-je prudemment. « Ah, non, tu ne sais pas ce que c’est que le bleu, mon cœur, eux non plus, sinon ils n’oseraient pas faire des trucs pareils – si seulement ça ressemblait à des volets portugais, mais même pas ! regarde-moi ça, quelle laideur ! » Côté couleur, les peintres, qu’on se le dise, ont toujours raison. Alors, courroucé, je suis allé m’acheter une nuancier dans le premier BRICODECO, et j’ai potassé le sujet couleurs. Subséquemment , j’ai appelé le siège d’une grande marque en demandant --puisque nous avons fait les enduits de stucco nous-mêmes à la maison--si on ne peut pas livrer tel modèle (qui n’est pas complètement moche, pour une  fois) nu et sans sa couche de vernis façon module spatial européen, et commander une peinture à partir d’un nuancier. « Ah, non, monsieur, mais je ne vois pas ce qui vous gêne, le métallique c’est tout ce qu’il y a de plus tendance, on se les arrache vous savez ? » rétorque le vendeur. Nous, c’est les yeux qu’on s’arrache, tant pis. Et nous voilà repartis. Cela fait bientôt trois mois.
J’ai raté en Suisse l’exposition Chagall au profit du concessionnaire Ford de Martigny (canton du Valais), car « on sait jamais, c’est en s’arrêtant au hasard que les choses rares t’arrivent, tu sais ? » je le sais maintenant trop bien. Nous ne visitons plus l’Italie, le Cantal, la Côte d’Azur ou l’Espagne pour leurs musées, nous visitons les dépositaires d’automobiles de toute la planète…et nos itinéraires autrefois rectilignes prennent des allures de serpentins. Puis, tout à coup, l’idée « écolo » nous est venue. Rapide, fulgurante comme un virus. En plus, c’est l’urgence absolue, le Grenelle du piston : ne voit-on pas des gens qui roulent au tournesol, au colza, à l’huile de friture, à l’alcool de canne, à l’éthanol de betterave, au méthane, au gaz, à l’air comprimé, à je ne sais plus quoi ? Voilà une idée qui nous forcera la main, nous qui justement l’avons verte. Et nous voilà repartis dans des élucubrations infinies sur les beautés « naturelles » des carburants diesels. Et vers la perspective de contraventions archi salées pour défaut de  TIPP. « On pourrait essayer d’abord avec une ancienne, on adapterait le moteur comme en Allemagne ou aux USA, et puis on serait au moins déchargés du poids moral de polluer la planète de nos enfants et arrière petits-enfants , pas vrai ? » Non, pas vrai  a dit le Ministère des Finances. Les numéros de revendeurs d’huile (je ne précise pas, par prudence) de la Région Parisienne, s’échangent en grand secret comme les tuyaux des courses. Ecolo, passe encore, mais conducteur clandestin et traqué, sur le qui-vive en permanence, non merci. Et si je la faisais immatriculer en Allemagne chez ta belle-sœur, non ? Ou en Italie, chez ton grand-père ! Non, tout ça paraît franchement trop compliqué. Nous traversons les rues en guettant les voitures. Et les carrosseries de métal continuent de défiler. Mes parents qui m’ont trouvé une petite mine m’ont questionné. « On voudrait changer de voiture » ai-je répondu l’air penaud. Mon père a pris le masque ironiquement avec l’air de penser : « si tu avais voulu être fonctionnaire, comme on te le disait », mais je l’ai stoppé net. Ce n’est pas une question d’argent, ai-je répliqué, pas du tout, mais elles sont toutes pareilles, grises, métalliques, cauchemardesques, orwelliennes !. On en dort plus ! on compte les voitures, tu saisis ? !
Hélas, oui : en est maintenant au quatrième mois et on a toujours pas accouché d’une idée. Pire : on ne regarde plus que cela dans la rue. On ne rate plus un supermarché sans errer dans les allées du parking entre ces gros insectes à carapace toutes brillantes, à la recherche (désespérée) de la voiture papillon de nos rêves qui s’envolerait sous nos yeux. On connaît tout par cœur : marques, moteur, cylindrée, tout, TOUT.  Forcément, organisés comme nous le sommes, plus un seul détail ne nous échappe. Mais rien ne se profile à l’horizon. Enfin, si, depuis deux jours, j’ai une petite piste : j’en ai parlé à mon médecin, et il m’a donné un numéro : celui d’un bon psychanalyste. Bon sang ! en voilà une idée, peut-être qu’on va se débloquer, comme ça. Je ne croyais pas en arriver là, mais après tout pourquoi pas : aller chercher sa marque de voiture sur le divan du psy, ce n’est peut-être pas si bête, hein ? et ce refus du métallique, d’où ça vient, un traumatisme infantile peut-être, une brillance sur la cuiller d’huile de baleine ?….L’homme de l’art  ouvrira sa porte d’un air sévère, très stylé, pas le genre vendeur d’auto, mais alors pas du tout, l’air plutôt absorbé et contrit, et d’une politesse discrète un peu vieille France…C’est décidé,  aussitôt j’appelle. « Allô, mademoiselle, je voudrais prendre rendez-vous avec… » --quoi ? non ! pas possible, « deux mois d’attente au moins… » j’avais déjà tendu le bras pour raccrocher quand j’ai eu une illumination :… « vous permettez que je vous pose une petite question ? – Je vous en prie.- Et bien voilà : pourriez-vous me dire quelle est la voiture  que conduit le docteur Schmollberg, s’il vous plaît ?… » (elevergeois. Chroniques Impubliables – droits déposés)


 
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29 novembre 2007 4 29 /11 /novembre /2007 08:14
                                                                      LA PLACE DU CHEF



L’autre matin, sans doute à cause du froid, je me suis glissé jusqu’à la place laissée vide par ma femme, qui m’ a semblé un endroit du lit laissé douillet et tiède comme le recoin secret d’un nid. Et puis, petit à petit, une sensation d’étrange bien-être m’a gagné, une sensation mêlée d’une forme de supériorité, de satisfaction, bref l’idée que j’étais, comme dans les automobiles, à la place du chauffeur – c’est à dire de celui qui conduit – s’est emparée de moi. C’était clair : d’ici, le point de vue était meilleur, panoramique, et d’invisibles leviers de commandement attendaient que je dirige toute la maisonnée. Au bout d’une demi-heure, plus aucun doute : la place du capitaine était bien celle-là, et par un mouvement bien innocent à la recherche de la douceur câline d’un îlot béni et doux comme un tapis de pétales de roses, je me suis retrouvé dans le poste de pilotage du véhicule familial. Tous les cadrans étaient allumés devant moi, si j’ose dire. Certes, j’ai senti que je n’étais pas à la bonne place, pas à la place de l’homme moderne qui doit jouer son rôle de brute et de barbare en sourdine, et compenser des siècles d’esclavage intense – oui, c’est vrai, quand je pense à ma propre mère, ça n’a pas dû être drôle – et se cantonner le plus possible dans la repentance et le mea culpa ad vitam eternam. Mais, curieux de nature, j’ai persévéré pour observer les détails du panorama de responsabilités que j’avais sous les yeux.

D’abord, une pendule, une sorte d’horloge chronométrant toutes les activités de la semaine et même du mois (peut-être de l’année ?) faisait son tic-tac discret autour de ma tête. C’est vrai, les femmes assument dans le temps; pas un temps vague et diffluent comme celui des hommes, eux qui disent : « oui, j’y vais » et attendent un siècle avant d’agir sous mille prétextes existentiels, nerveux, poétiques, littéraires, comparatistes ou autres, non, le temps à utiliser comme énergie et sur le champ. Ah ! quel point de vue ! quelle merveille ! D’ici, je voyais déjà les vacances de 2010, la réussite au bac de notre fille qui a 15 ans, (donc dans trois ans) et même le changement de la voiture qui est prévu un peu plus tard. Franchement, je ne voudrais pas insister, mais quelle position enviable, tout de même ! En concentrant mon regard, j’ai même pu apercevoir la fin de l’emprunt de la maison : moi qui pensais que c’était vers 2012, je m’étais trompé d’une année. Et puis sont arrivés les comptes en banque : nets, en gros chiffres, au centime près, avec bien sûr toutes mes dépenses de cravates oubliées et mes frais d’élégance dont j’oublie les sommes modestes mais qui, de semaine en semaine, finissent par faire un chiffre à plusieurs zéros. En parlant de zéro, j’ai vu le zéro en maths de notre fils – c’ est bien étrange, parce que moi, je l’avais déjà passé par profits et pertes – mais non, ici il était visible, grand, énorme, aussi grand que la grande roue de la Concorde. « Ca c’est excellent, me suis-je dit , il faudra qu’on en reparle parce qu’en ce moment notre petit Emmanuel est sur la mauvaise pente. Et moi qui lui ai fait un cadeau hier soir pour le consoler ! » Il va falloir corriger cela : un peu de rigueur tout de même, il y a vraiment trop de laisser aller paternel dans cette famille. Je survolais des espaces construits et organisés comme dans les jeux video où on organise des cités découpées au carré bloc par bloc, au-dessus desquels brillaient des enseignes : banque, impôts, traites, aides au WWF, aux ONG que nous soutenons, et il y avait aussi des lumières au rouge qui clignotaient. Malgré la pénombre, je me suis concentré : ce mois-ci, il y a quatre dîners, et deux réceptions à l’extérieur, dont une…ha, mais oui ! les du Rang ont déménagé pour s’installer dans le Périgord, ça je l’avais oublié, donc, il y a un voyage. Complètement oublié : j’ai tendu la main vers un stylo et une feuille de papier (sans doute à l’intérieur d’un volume de Balzac ou de Flaubert) et j’ai griffonné en hâte : du Rang – Périgord. Quelle chance, pour une fois, si j’étais resté à ma place j’aurais été pris de court comme d’habitude. Et j’aurais accueilli le sempiternel : « tu sais que demain nous ne sommes pas à Périgeux ? » en ouvrant des yeux grands comme des soucoupes : « Pardon, pas à paris ? » « mais bien sûr mon chéri, puisque tu le sais depuis un mois !… » Ca c’est vrai, je le sais depuis un mois. Je ne serais même pas opposé à ce qu’on me le redise quelques jours avant, histoire de me préparer, mais bon, ici, je suis à la place du boss, et de la mienne on voit moins bien, c’est évident. Et quoi d’autre peut-on vérifier de cette place étonnante ? Les notes de toutes courses au supermarché, les réunions de parents d’élèves, les vêtements à aller chercher au pressing, ma réunion de travail en milieu de mois – ça je le savais, quand même, merci ! – mais quelle forêt amazonienne de responsabilités, de rendez-vous, de tactiques, de stratégies, de rencontres avec le dentiste, le psy, le podologue, l’ostéopathe, l’homéopathe…Nom d’une pipe, ça ne doit pas être facile d’occuper cette place-là , me suis-je dit avec une légère angoisse qui commençait à me monter dans le bout des doigts. Voyons ce qui se passe au chapitre des vacances : Chloé va à son stage d’anglais en Irlande, et Manu à son stage de voile en Bretagne et …qui ? quoi… moi ? ah, oui, c’est moi, pas de doute possible, c’est moi qui vais réparer le toit de la grange. Ciel, quelle surprise désagréable ! Mais pourquoi est-ce souligné de deux traits ? Ah, oui : il est vrai que j’étais opposé à ce stage de voile, parce notre Manu, je le trouve encore un peu trop jeune pour ça, mais bon, laissons faire ceux qui commandent, ils doivent avoir un instinct infaillible pour ça. Au total, au bout d’une petite heure dans ce poste réputé « douillet », j’ai commencé à avoir mal à la tête et à crouler sous des tonnes de responsabilités. Une sorte de plan quinquennal si vous voulez. Sans une erreur, tout est prévu, y compris l’imprévisible.

Les réunions de famille étaient au rouge aussi, d’autant qu’on pouvait voir distinctement que la visite chez les beaux-parents tombaient au beau milieu des quinze seuls jours de vacances du début d’année. Là, apparemment, il n’y avait pas de solution prévue…donc, ce devait être parce que les parents l’emportaient de toute façon. Finalement, j’étais orienté vers une info ultra confidentielle classée « secret défense familiale ». celle-là, elle me pique u vif et je ne risque pas de l’oublier ! Mais la nervosité a monté jusque dans mes épaules en électrisant entièrement l’avant-bras gauche : ce n’est pas une sinécure que d’être à cette place là, je vous jure. Voyons encore si Marie-Adelaïde m’a pardonné la réparation tardive du lave-vaisselle : non, ce n’est pas marqué et ça ne clignote pas…bizarre, bizarre. Ca, ça signifie qu’au premier verre banal mal lavé par moi et qui ne reluit pas comme du cristal, il va y avoir une explication houleuse. C’est bon à savoir, il me reste quelques cours du soir de mise à niveau du rangement domestique au CNAM, et j’ai tout intérêt à ne pas les rater. On ne sait jamais. Encore un petit coup d’œil sur les dettes en cours, mais là, le dossier est bouclé à triple tour : on ne voit que les miennes, et rien d’autre. Dans les plannings, finalement, c’est tous ces espaces laissés en blanc qui font flipper. Est-ce que je ne ressens pas comme un curieux mal de tête à présent ? Si, et quand ça commence à monter derrière la nuque, ça me fait très mal. Je ne sais pluss où sont les aspirines actuellement, alors je regarde une dernière fois de cette place responsable : « dans le dernier tiroir de la commode de grand-mère en haut à gauche ». Là, je demande respectueusement pardon mais est-ce « ma » grand-mère, où « ta » grand-mère, car il y a deux commodes. Pas commode, tout ça, mais enfin puisqu’il n’y en a que deux, ce sera facile.

J’allais me déplacer tranquillement pour regagner mon coin paradisiaque où règne une paix nonchalante, quand tout à coup mes narines sont attirées par une immense odeur de brûlé. Je me précipite dans la cuisine : hélas, catastrophe, le délicieux bouillon déjà préparé pour demain soir vient de faire brûler la cuisinière. J’éteins, je contiens tant bien que mal les ravages, j’essuie, je nettoie, je frotte, et en une demi-heure il n’y a plus aucune trace de rien du tout. La paix du manége – pardon, du ménage – et sauvée. Il fait encore un peu nuit, et comme il reste encore dix minutes avant la sonnerie de mon réveil, je me verse un peu de café et je retourne paresser au lit. A quelle place ? Mais la mienne, bien entendu ! je laisse celle du pilote bien lisse et défroissée, et je contourne le doux territoire du sommeil pour aller vers mon coin : plein de livres, de revues, de notes de travail, de « choses qui ne se font pas dans une chambre » et que tel le rebelle, le Spartacus domestique, je reviens occuper avec un brin d’amertume. Il se trouve que l’autre soir, un amie spirituelle a lancé en plein dîner à l’une de ses amies : « les hommes ? pour moi, ils servent à conduire la voiture et à porter les paquets trop lourds pour nous. Pour le reste, maintenant, tu sais… » Moi aussi, je sais : j’ouvre mon volume de Baudelaire et je commence très lentement à faire monter les idées qui me serviront pour mon cours de ce matin. Je m’y perds comme un nageur s’abandonne à la houle et se laisse transporter au large, tel le rêveur impénitent – ou pénitent, ce matin ? – que je suis. Inutile, vaincu, presque décoratif à force d’erreurs masculines accumulées depuis des siècles. A cette place-ci, en tout cas, à force de lire, une vague somnolence me gagne : allez, il va bientôt être sept heures et demie, accordons-nous encore un moment d’insouciance oisive et irresponsable, et avant de clore la paupière gauche, je lorgne une dernière fois vers le poste de commandement où le chef de famille a passé sa nuit de DRH familiale. Pas facile, comme boulot ; on pourrait peut-être partager, non ?(e.levergeois – chroniques impubliables- droits déposés – 2007)
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25 novembre 2007 7 25 /11 /novembre /2007 08:36
                         



                                    REPASSE TON BAC D’ABORD !


Sachez, passants qui  vous  moquez  de la  vénérable  institution  qu’est l’Education Nationale, que même  si quelques éducateurs héroïques y meurent quelquefois en combat au corps à corps au détour d’une explication de Stendhal, que les hautes sphères de ladite institution ne plaisantent pas. Surtout au moment du bac et du choix des sujets. Et comme je possède, par alliance interposée, une kyrielle de neveux et de nièces qui – comme tous les autres enfants de leur âge -- traversent comme un courant d’air la littérature, les arts, les langues sans en retenir un iota, fatalement,  des murmures de couloir pleins de honte finissent par bruire au loin, avec les premiers lilas, les jonquilles et les roses, de galères annoncées et de catastrophes à prévoir. Et qui n’a pas son bac de nos jours, vu les éditoriaux assassins de certains quotidiens (mensongers, bien sûr !) ne mérite même pas de l’avoir même gratis. A date fixe, donc, un « j’vais rien savoir, au secours ! » choral s’élève de la bouche en cœur de l’ignorance adolescente et absolue en signe de désespoir : aussi, à l’approche de l’été, Marie-Adelaïde et moi sommes-nous de « corvée de bac ». Et indisponibles sur notre portable, notre minitel, note internet, notre i-pod, notre blue-tooth, bref, tout l’attirail communicatif sophistiqué qui ne sert à rien de rien. Nous mettons notre habit de French Doctors des provinces françaises éloignées de tout – mes beaux-frères sont tous plus ou moins châtelains, ils ont des fermes ou des hameaux forteresses à rebâtir et jamais  finis… – et le casque sur la tête (pour les travaux, bien sûr ), nous allons  évangéliser et faire de l’exégèse de terminale au milieu des lapins et des animaux de basse-cour, des lamas andins ou des chèvres algonquines --  mes belles sœurs sont toutes dans un trip du style « protégeons l’ours Truc-Chose à tout prix », avec un zest de poterie locale, de médiation zen au grand air, et de collections d’animaux à sauver de la sauvagerie humaine, qui ne supportent de toute façon pas le climat et meurent  « entre de bonnes mains, quand même ! » dans leur cage à bobos du Périgord. C’est ainsi que l’on part. Notre guimbarde est pleine d’anti-sèches sur les sièges, nous avons tout révisé, et le coffre est plein de livres qui « résument » (nous avons tous connu ça) les œuvres au programme. Car, parfois, les heureuses provinces ne reçoivent pas même pas le Figaro frais du jour, alors pensez donc ! un résumé de Giono ou une paraphrase de Benjamin Britten en 50 pages, si vous le demandez au libraire du coin, vous n’avez pas fini de chercher le livre pour le bac 2004 que le  bac 2005 sera déjà là. Bien plus facile, of course, de demander aux oncles et tantes « réputés érudits » et plutôt pédagogues de débarquer en trombe pour une opération « restore hope » N° 2 dans les déserts intellectuels. On les comprend. Et, à la surprise du lecteur-lectrice (c’est comme ça qu’on dit maintenant)  qui découvrira ces lignes , on les approuve mille fois. Parce qu’il faut dire que certains millésimes bacheliers sont succulents.

L’année 2004, par exemple, a été absolument délicieuse : j’en rêve encore, elle m’a laissé un souvenir impérissable côté musique, notamment à cause de la Page Spéciale consacrée par France Musiques (grâce à Anne-Charlotte Raimond, une fée !) qui avait tout mâché le boulot avec des liens, des sites, et en bonus une émission téléchargeable qui reste un modèle du genre. C’était tout simplement merveilleux. Quel bonheur que des adultes fins et soigneux utilisent l’internet pour fournir de telles richesses pendant que les destinataires se repassent en boucle des videos de You Tube. Imaginer que ce monde où sévit la chasse et les guerres puisse leur procurer un accès électronique au savoir les dépasse. Mais pas nous. Je me souviens : il y avait cette année-là les « Nuits d’été » de Berlioz, sur des poèmes de Gautier (Théophile) et un Cantus à la mémoire de  Benjamin Britten et une explication sur les « tombeaux musicaux » de la Renaissance fourmillante de détails, avec de délicates explications raffinées qui m’ont mis au bord du syndrome de Stendhal : un Vrai Rêve ! Côté littérature, pas mal non plus, c’était ce diable d’homme que fut l’immense Jean Giono. A la quatrième ou cinquième page du bouquin au programme, je découvris avec exaltation et tout exultant de joie, la fameuse page sur L’ARBRE. Ce fameux hêtre qui monte , explose, fourmille, éclate, réverbère toute une joie du monde en délire. Je l’avais entendu lire sur France Culture mais personne ne n’avait donné la référence. Quel bonheur ! Quelles rasades de désertiques scènes paysannes,  que de landes cruelles de Giono homérique aux silex brisés par le froid, et de lavandin étranglé par la main maigre et cruelle de l’hiver ! et la neige, la neige ! et le bonhomme Giono, comme il venait de loin, avec son Odyssée, son « Homme qui plantait des arbres » !Premier résultat des révisions : c’est cet été-là que j’ai décidé de devenir écolo…Ecolo littéraire, naturellement, tendance Faulkner dans certaines pages d’Absalom, tendance Thoreau, dans Walden, avec cette prose qui roule feuilles et ruisseaux, attrape au passage galets et coulis de vent fureteurs, bref toute la joie. Et puis, chacun le sait, le lecteur éduqué traverse le texte par habitude, le moud, le laboure,  l’égraine entre ses doigts et le tient longtemps au chaud au creux de sa main, palpitant comme un être d’une espèce nouvelle, primordiale, presque biblique.  Et dire que le Purgateur Suprème de l’après-guerre (Sol-Partre, pour les lecteurs de Boris Vian) avait réussi à le coller en taule pour propagande « tendantiellement vichyssoise », quand on y songe, ça laisse rêveur. Le matin, entre les œufs frais et le Figaro de la veille, je partais mentalement battre la campagne à la suite de Giono, mon bol de café bio-équitable tiédissant doucement entre mes doigts fébriles. Je touchais de mes phalanges tremblantes de lecteur ébloui, l’un des plus grands bonheurs de liseur, tandis que ma nièce Rose peinait sur le sujet donné la veille au soir au coin de la chaudière à bois : « page tant à tant, relève comment l’auteur te fait ressentir la vie de la nature, relève les verbes sur le vent, l’eau, l’air, et tout ce qui anime le pays d’alentour comme un être vivant et un personnage ». Bien sûr, je ne vous dis pas que Jean Giono est l’écrivain absolu de l’avant-guerre, mais quelles claques sévères à la pollution, quel éloge à la pureté  des rivières, quel flux de terres soulevées de joie et de misères austères dans un pays qu’il s’était créé à lui tout seul, quel barde inégalé des arbres et des fluides mystérieux qui irriguent la terre que le pétrole d’aujourd’hui et autres chimies tuent à petit feu ! J’ai tout lu. Cet homme avait la vie de la planète chevillée au corps. Evidemment banni de tous les programmes au début des années Soixante-Dix, je l’avais raté à l’école, et c’est ainsi que j’ai pensé : si Rose a le bac, moi qui penche plutôt depuis l’âge de déraison vers Dante et Shakespeare, que m’arrivera-t-il si ce fameux bac est obtenu du premier coup en juin ? Il me faudra repartir, loin des lamas, des œufs du jour, sans interlocuteur gionisant, vers mes chères études de langue italienne et d’anglais, sans pouvoir revisiter ma jeunesse amputée d’un Giono découvert à l’âge idéal de l’éblouissement. Que faire ? Inventer le bac à point comme le permis du même nom, que l’on repasserait vers la quarantaine pour cause d’inculture de l’âge mûr ? Difficile à mettre en place. Surtout que les parents attendent la fameuse « collante » le couteau entre les dents, et que si leur rejeton ne l’a pas, ce fameux bac, les enseignants risquent un blâme et un mauvais coup . « Repasse ton bac l’année prochaine ! chère Rose, rate-le, afin que nous ayons un auteur aussi beau et aussi oublié l’an prochain !» pensais-je chaque nuit. Qui sait quelles beauté l’Education Nationale nous prépare pour l’an prochain ! Pour la musique, le bac 2004 m’a offert sur un plateau, Arvo Pärt, Benjamin Britten – je suis allé jusqu’à écouter les Quatre interludes marins – quelle merveille, quelle joie, quels cieux ouverts ! Et quelle extase d’écouter les commentaires de la grandiose Anne-Charlotte Raimond  sur France Musiques, dont Rose et tous les autres ont bien sûr ignoré les conseils et les recommandations. Belle cuvée 2004 pour les oncles et tantes « réviseurs de bac » : ni Giono ni Arvo Pärt ne quitteront désormais mon panthéon le plus secret. Il n’y a plus de doute, le bac enrichit énormément les adultes qui  aiment les lettres. Evidemment –  (hélas ?) – Rose a obtenu son bac, a fugué avec un gourou de l’âge de son père qui fait de l’élevage de lamas dans les Ardennes, en a eu un fils nommé Guarnerius ; elle se drogue modérément, souhaite fonder un centre de thérapie à base de flûte des Andes, bref, elle est devenue une jeune adulte de son époque. Il me reste à présent deux neveux et nièces et après ce sera tout. Je me régale à l’avance d’avoir à faire « réviser » et approfondir ce grand poète et esthète (cuvée 2007) qu’est ou qu’a été Yves Bonnefoy. Quelle chance, encore une fois, d’avoir à potasser un tel programme ! Mais après ? on verra bien : la preuve est faite que le bac est vraiment très soigneusement pensé par des Inspecteurs d’académie (ou d’autres) qu’ils  n’oublient pas les adultes en mal de « relectures » qui révisent à la place des jeunes écervelés, si semblables à ce que nous fûmes. Au fond c’est tout ce qui compte, après tout. (copyright e. levergeois – droits déposés).




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7 novembre 2007 3 07 /11 /novembre /2007 16:26
      (LETTRE OUVERTE A ALAIN REMOND   ---   AUX BOINS SOINS DE MARIANNE)



Cher Alain Rémond,

Vous n’imaginez pas – mais pas du tout, d’autant plus que ma lettre sera au bas d’une pile de cinq cents autres du même style – la félicité surnaturelle où votre avant-avant-avant-dernier article sur les niveaux de langue et le point de vue de l’auteur, etc. a plongé les mauvais génies de mon espèce qui ont dû souffrir et  languir d’impatience sous la férule du tout-linguistique durant leurs études. Cette maladie parente de la psittacose et du kouachnorkor commença à sévir, je crois, vers le premier tiers des années Soixante-Dix. Tous les chargés de cours étaient atteints de cette douloureuse pandémie, et, même s’ils n’en mouraient pas tous, comme dit le bon La Fontaine, ils la transmettaient entre eux, et la transmettaient à d’autres. Soutenue par la psychanalyse, qu’on avait vue venir de loin (mais jamais je n’ai entendu parler de Bachelard avant la fin de mes études, c’est curieux, maintenant que j’y pense…), appuyée par la vague structuraliste et confortée par le délit de conformisme bourgeois honteux de « trouver beau » un texte littéraire, les adolescents que nous étions passaient directement de la Terminale au Terminus Structuralo-Lingustique, pour apprendre les arcanes fantasmées de la « déconstruction » des œuvres et la « reconstruction » du sens des dites œuvres. Pour ça on ne nous donnait pas de critères, mais des « outils », équivalents délicieux et métaphoriques des pinces, tournevis, perceuses, et surtout marteaux pour taper sur une œuvre, passez-moi l’expression, jusqu’à ce qu’elle en crève. Que de vénérables ouvrages n’avons-nous pas « déconstruits » et « reconstruits » à l’époque !  c’était le plein emploi dans ce secteur, et quand le bâtiment va... Bref, gonflés d’orgueil autant que des Le Corbusier, nos respectables chefs de chantiers nous regardaient souligner des pages et des pages avec des crayons bille de diverses  couleurs en fonction des racines des verbes « pouvant permuter » avec d’autres verbes, ce qui expliquait   mieux que tout pourquoi la Tristesse d’Olympio ou Hamlet sont intéressants et sans âme.

Je ne dis pas œuvres « géniales », car ce mot était absolument exclu des débats. Armés d’axes, de toutes sortes de petits concepts « opératoires », et autres piolets pour comprendre qu’une œuvre littéraire est une série – je simplifie – d’opérations et de manipulations de ce qui n’est rien d’autre qu’un vulgaire « corpus » et un agrégat de signes qui pourrait absolument être autre chose, vu que linguistiquement parlant, c’est un pur effet du hasard des listes de lexèmes et autres babioles si Dante est Dante et John Donne est John Donne. Un point c’est tout. Hélas pour moi, un livre immense prêté par hasard par un de mes amis, vers  l’âge de 17 ans, m’avait révélé le paradis, et toute mon âme avait tremblé sur les deux rives de mes océans intérieurs : en un mot, les grandes œuvres littéraires m’émerveillaient. On allait nous bluffer de la même façon en troisième année, lorsque qu’un soir, à la télévision en noir et blanc, un jeune chanteur qui avait fait une célèbre chanson sur les tickets de métro parla d’un certain Ezra Pound (à l’époque, comparativement, la télé c’était très intello faut pas croire…). J’achetai l’œuvre citée dudit Ezra Pound dans un supermarché, (les supermarchés, très intello aussi à l’époque) où elle trônait sur un tourniquet en fer genre présentoir de cartes postales, et après cela,  je compris que l’imposture dont on nous gavait était bien exagérément tarabiscotée par rapport au véritable intérêt de la linguistique. Comme on ne cache rien  aux ados en matière de génie pas plus que sur la manière de faire des enfants, j’avais ma petite idée et j’entrepris un jour de clouer au mur un de mes assistants en lui demandant hypocritement et à brûle pourpoint le sens véritable d’une des Illuminations d’Arthur Rimbaud.  Point de réponse. Furieux, je me levai – j’avais soigneusement préparé mon coup – distribuai des photocopies, et entamai devant mes camarades éberlués un immense discours sur le vers romantiques et l’évolution de la poésie au XIX ème siècle jusqu’à Rimbaud. Il y avait certes des erreurs, mais je fus suffisamment bon, ce jour-là, pour décrocher le privilège de me faire saquer tout le restant de l’année par mon mentor attitré qui me donna les pires notes jusqu’ à la fin du semestre. En me penchant avec un sourire amer et doux vers ces années pas si lointaines, je remercie la faculté de m’avoir montré ce qu’elle allait devenir, une maison de correction pour amateurs d’art, et une machine à poser sur tous les textes une « grille » - la même  grille derrière laquelle vous vous êtes retrouvé, vous et votre texte donné à commenter en terre espagnole, avec des « consignes » de travail développées par vous d’une manière tellement désopilante que je n’ai pas m’empêcher d’en rire, puis d’en profiter pour vous écrire ce billet d’humeur primesautier. Au bout du compte, je crois pouvoir assurer que les années passant, au nom de la  liberté de dire pis que pendre des grands auteurs – bien inférieurs comme chacun sait à la littérature hopi et aux langues amérindiennes parlées jadis par les Comanches et les Sioux qui EUX sont authentiques, EUX, savent « être au monde », ne subissent pas l’agression des langues de culture d’ « oppression »  et de « colonisation » que sont l’anglais de Shakespeare, l’italien de Dante, le français de Hugo, etc – la mode a évolué.

 C’est si vrai que, il n’y a pas si longtemps que cela, une étudiante mexicaine venue assister à l’un de mes cours, m’a descendu mon Shakespeare et mon Corneille, au nom des valeurs « radicalement pures » de la langue complexe (et sans aucun doute pleine d’intérêt) qu’on parle dans son lointain microcosme surnaturel qui explique tout, et renvoie – mais alors là, plus loin que la lune et les étoiles, Racine et La Fontaine directement au panier des ultimes galaxies de l’Histoire ! J’en suis resté éberlué et sur les fesses tellement c’était militant et absolutiste, ce discours de ma mexicaine en pleine révolte ! Si, si,  les habitants de ce coin du Mexique, de la même façon que toute la musique est dans Bach pour certains, ont tout expliqué, et bien mieux que mes oripeaux de littérature « colonialiste », mes Corneille et autres Racine « racistes » « dominateurs » et carrément responsables de tous les maux . Il y a eu un silence gêné. Et très politiquement correct. Je me suis tu, respectueux de la belle langue dialectale de ce coin miraculeux qui explique que tout est dans tout, et dont l’essence éthique est « bien supérieure » à toute la culture occidentale « qui nous a fait tant de mal ». Le silence s’est fait aussi épais que les brumes de Londres.

Je ne savais pas comment continuer, surtout sans froisser la culture mystérieuse et universelle de ce coin du Mexique inconnu de moi, et d’ailleurs de tout le monde dans la salle. Puis, un étudiant venu d’Allemagne s’est permis une parabole hilarante, digne d’un scène de Groucho Marx et qui a remis les pendules à l’heure. « Vous savez, monsieur, c’est comme ces gens qui font des performances musicales, vous savez, à Berlin j’en ai vu beaucoup, ils vont chercher dans une montagne, naturellement sacrée (c’est lui qui a dit cette vacherie,  pas moi)  et alors, ils regardent longuement les deux pierres avec un air profond, ils les lèvent en l’air, et pam ! ils tapent l’une sur l’autre --  un silence, puis mon étudiant, sûr de son effet a poursuivi avec un faux air sérieux – « et donc, après ça, la personne qui tapé les pierres dit : « ça, (le bruit des pierres l’une sur l’autre, vous y êtes ?), et bien ça, juste « pam !», c’est plus grand que tout Mozart  ! » Tout le monde a hurlé de rire. Et puis je me suis dit que la mode, ce n’était plus le tout structural linguistique, mais la défense des minorités saignées à blanc par  le capitalisme et  les grands auteurs, la valorisation des langues minoritaires et la défense de la nature, la démonstration de la nullité des cultures moribondes et hautement toxiques et  inutiles pour les Indiens, et même dangereusement fascistes, dont la nôtre – si, si, creusez un peu, et vous verrez . Quelle brute épaisse ce Racine, quel goujat, quel monstre, et moi qui le prenait pour un auteur fréquentable ! Un vrai salaud, finalement, un tueur d’Indiens, peut-être même qu’il a fait de la traite, cet animal. A mort Racine, facho, négrier !– ( y a pas à dire, étudier ça permet vraiment de dire vachement  de trucs sérieux.) ------
Bien cordialement à vous, et avec tous mes compliments zémus pour vos billets qui mettent Marianne de si bonne humeur. elevergois.










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2 septembre 2007 7 02 /09 /septembre /2007 17:28

                           EN VOYAGE SANS LIVRE, A LA GUERRE SANS MUSIQUE (2)



Mais, puisque pour une fois nous n’allons ni à Tours ni à Saint-Malo, j’accepte le risque de bonne grâce et  comptant sur le nombre de volumes emportés - à peine cinquante, pour cette fois - je passe avec un « alea jacta est » mental, ma première vitesse dans les pignons du moteur qui nous font quitter les rives du périphérique, non sans une d’inquiétude devant le grand large. Et je me jette la tête la première au plus versatile des hasards, décidé à visiter l’Aveyron et les rives du Lot en ignorant avec superbe mon asthme de liseur.-- J’observe en passant qu’il est absolument scandaleux qu’un vieux pays littéraire comme la France ne possède pas une liste à jour des repaires de bouquins par département, y compris les plus poussiéreux, car ce serait un soulagement de savoir que Sainte Eulalie d’Olt ou tel hameau désertique de la Lozère recèle dans le fond d’une cave un Rabelais incomplet, un Corneille en morceaux, quelque épave scolaire jaunie, bref une partition d’auteur classique à consommer sur le champ. Je partirais plus tranquille. comme les amateurs de musique classique pourraient avoir un goût subit et impérieux d’écouter la Callas en traversant - et pourquoi non? - les faubourgs de Saint-Cirq-la-Popie ou les abords de Vierzon, mais c’est ainsi. -- L’inspiration de celui qui cite n’étant pas la même que celle qui crée sa propre prose, les paysages qui défilent sont déraisonnablement suggestifs et incroyablement pervers. Ainsi, l’été dernier, nous étions à des kilomètres de toute librairie imaginable, lorsque tout à coup je me suis senti pris d’un vertige de diction poétique oppressant: renfoncement de la poitrine, crispation des extrémités, tremblement des narines et pâleur profonde des joues. Obligation immédiate de stopper la voiture dans le premier fossé. Ma femme m’a regardé avec un intérêt tout spécial, car le frémissement des narines lui était inconnu. Pour une fois, son intuition féminine calait devant ma face cireuse et mes dents serrées. « Veux-tu que j’aille chercher un volume dans la malle, mon chéri, m’a-t-elle susurré tendrement, comme on rassure les cardiaques sur la présence de leurs pilules ». « Tu nous fais une petite poussée de Racine? » « Non, ai-je articulé comme à bout de forces: je fais une crise de… » Je voyais tellement distinctement les poèmes et leur musicalité divine sans pouvoir en dire un seul. « C‘est pire que tout, je crois bien que je  fais une crise de Pas..." "quoi mon amour: Pascal?...non?..alors Pascoli?...lui non plus, mais qui, mon chéri, réponds-moi! " "C'est grave, je sens que je fais une crise de Pas..ternak! » « Mon Dieu, Pasternak! et toi qui as refusé d’installer le G.P.S.! »Elle s’est jetée sur la carte, a identifié une ville digne de posséder une librairie, et un pôle universitaire à moins de 200 kilomètres. Courageusement, elle a pu me conduire jusque là, et par miracle une belle librairie possédait un exemplaire de : Ma soeur, la vie que j'ai pu lire et relire pendant trois heures. Ouf, sauvé!" (cpright eric levergeois)
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