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17 janvier 2012 2 17 /01 /janvier /2012 04:21

 

 

On fêtait cette année le bicentenaire de Théophile Gautier, ce qui nous a procuré dans les écuries du Parc de Sceaux, une exposition brève mais mise en scène dans une épaisse ombre rouge qui lui va très bien. Car le Théo, comme l’appelait son ami de collège et d’élection Nerval, fut de tous les voyages lointains possibles dont il devait tirer des feuilletons et des récits pour la presse; d’ Espagne, d’ Italie, de Russie et même cette Egypte qu’il avait rêvée pour le Roman de la Momie -- bref, bref l’orfèvre (écrivant «avec la rêverie continuée d’un peintre" comme le proclama Baudelaire) dut «tourner la meule du feuilleton» comme une bête de somme, toute sa vie, ou une bête de trait à la ligne, avec le style et la perfection que l’on sait.

 

 

Ecrivain-peintre, prosateur raffiné ne dédaignant pas le style bretteur de cet insaisissable Siècle de panache, de révolte et de sonnets dit siècle de Louis XIII (cf son livre des «Grotesques» où défilent Saint Amand, Théophile de Viau, les Cyrano de Bergerac et autres figues picaresques à la Jacques Callot), d’où devait sortir un jour son «Capitaine Fracasse», Gautier fut toujours un errant, un exotique, un bohème, opposé rageusement à la modernité au nom d’un idéal classique, marmoréen, et digne de l’Antique, mais qu’ éventuellement il faut savoir prendre par les hanches, et plutôt deux fois qu’une, comme en atteste, à présent sur la toile, l’orgie intitulée lettre à la Présidente, (la même Apollonie Sabatier qu’aima Baudelaire) dont nous ne mettons pas le lien par tact, et du reste l’exposition scéenne nous en prévient par une carte signet qui porte ceci: «J’en préviens les mères de famille, ce que j’écris n’est pas pour les petites filles dont on coupe le pain en tartines.» Aussi êtes-vous prévenus...

 

Alors, naturellement, l’amateur de beautés trouvera dans cette rouge et sombre atmosphère d’alcôve -- où se promènent d’intéressantes figurines de chats en trompe-l’oeil (bien vu!) -- des beautés en peintures à manger du regard. Sous les vitrines s’alignent de nombreuses éditions originales sous un jour maigre d’aquarium, émouvantes, et les éditions des ballets (Giselle, évidemment, de même que la Péri et Sacountala, pour ne pas parler du reste) l’ensemble nous rappellant un trait bien honorable de la pensée de Gautier -- le désir très bohême de créer autour de lui cette famille composite de danseuses, Ernesta Grisi la mère de ses filles, soeur de Carlotta Grisi, la muse et la divinité inaccessible et puis et surtout, nous relèverons  cette croyane -- fort légitime à nos yeux -- qu’un Indien,  un Grec, un Turc et leurs femmes sont mille fois plus beaux dans leur costume local, bien mieux liés à l’horizon bleu qui les entoure que nos costumes sans vraiment beaucoup d’attraits spectaculaires, à peine costumes, qui sont un vaccin contre la recontre de l’Orient, de l’Asie,  et contre la spendeur locale des pays qui se couchent dans l’azur. Gautier se proclamait «Turc, et turc D’Egypte» et il représente par son bric--brac d’armes courbes, ses tenues, ses calumets, ses coiffures,  ses  trophées de voyage, ses rencontres, et l’abondance intarissable de sa production, une pyramide pas toujours bien visible au coeur de notre histoire littéraire.

 

Comme cette expostion s’apppelle -- ou plutôt s'appelait «Théophile Gautier dans son cadre», alors, prenons garde que l’immense Théophile ne descende la nuit du cadre des portraits et des photos par Nadar, et n’aille retrouver, comme dans ses nouvellles fantastiques, les fantômes des nuits de Sceaux errant dans le parc où seraient présents, assurément,  Emilie du Chatelêt, Voltaire, la pétillante duchesse du Maine, ses jeux, ses énigmes ses rires et ses folies. Pour vous en assurer, rien ne valait mieux que de diriger vos pas vers le parc et de guetter l’ombre de ce grand et magnifique passeur de civilisations.

 

Parc de Sceaux, entrée 5 euros et tarifs réduits, catalogue, livres, souvenirs,  jusqu’à la mi-janvier. C'est donc à présent passé, mais le  virus du Beau Idéal peut être doux à ruminer par la suite sous les grands arbres -- elevergois@aol.com -- blog elevergois - avec un salut complice et stendhalien à mes beaux lac italiens, comme il se doit.L'article a paru dans d'autres colonnes, je l'adresse avec une brassée de souvenirs toujours refleurissant à Jean - Emmanuel

C.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 19:10


 

Comme vous l'avez peut-être déjà remarqué, vos voisins et vos amis reviennent  toujours des congés qu'ils passent avec amour "toujours dans le même coin". Il est souvent impossible de savoir où se trouve le coin en question, de le calculer avec le carré de l'hypoténuse ou un compas nanométrique sur une carte d'état-major, mais enfin, qui n'est pas rentré "dans son coin" pour deux jours, ne fait pas franchement identité nationale, terroir et rillettes. Avoir son coin, c'est un must,  c'est protégé, écolo, loin des hordes et des Mc Do, avec plein d'ancêtres, de  lapins, de tartines, et tout et tout.  Ca ne s'invente pas, c'est générationnel, pluri-séculaire, et on y retourne dès qu'on peut.

 

 

Vous pouvez toujours essayer de soulever la roche de Solutré ou les pins des Landes un par un, de mettre une ligne à haute tension autour d'une cabane en planches, ça ne fera jamais un "vrai" coin. Demandez donc aux gens du coin, ils vous répondront que vous n'êtes pas de la région et ils vous enverront promener. Avec en prime un sale regard en coin. Et n'imaginez pas que vos amis vous révèleront comme des nigauds ce lieu mystérieux loin du monde et qui n'existe nulle part ailleurs, vous risqueriez cette réponse : "C'est ça, je vais te dire où est notre coin, et le lendemain tous les c... de la planète vont s'y mettre. Ca va pas la tête?" Bonjour l'accueil fraternel. (et la tronche en coin)


 

Les coins, c'est un truc franchitudinal et génétique;  on se les transmet de grand-père en petit-fils, on les attache solidement contre les marées du mois d'avril, on les astique, et on en ferme la porte à double tour aussitôt qu'on les quitte. Un coin c'est tout. Et en un sens, je crois que les gens n'ont pas tort de conserver ces secrets-là plus jalousement que les autres. Car il suffirait d'un seul mot échappé au coin d'une table, et hop, c'est terminé:  votre coin paradisiaque ignoré même de Google Earth, de la grippe, de la Zoombox Internet et de la ligne de chemin de fer qui rouille, se retrouverait transformé en coin-cuisine-douche-lave-vaisselle, avec plein de détritus laissés dans tous les coins au milieu des canettes de bière. Beurk-plage, si voyez ce que je veux dire.

 

 

 

Alors, prudence ralentir, je ne parle de mon coin qu'aux heureux peu nombreux, ou alors torturé par l'odeur d'un bourguignon mal cuit, ou  éventuellement par nostalgie au cas où une part de fromage local arriverait par hasard sur la table - et encore, pas sûr!  Parce celui qu'on fait par chez nous, c'est pas pour dire, il est quand même sacrément meilleur. Et c'est où chez toi? C'est comme a dit le monsieur qui est professeur à Sciences-Po:  c'est comme qui dirait un peu partout en France, mais pas où les autres se l'imaginent. Plus vous cherchez à pister en tenue de spéléologue ou en uniforme kaki où est le coin  mystérieux, et plus il s'échappe à la vitesse supersonique du facteur de Jacques Tati en train de galoper sur son vélo.

 

 

Mon coin à moi, c'est du rendement tranquillité à quatre pour cent garanti pour l'éternité. C'est quelque part entre "Bretagne-pas-touche", et "Z'êtes-nouveau-à-Saint-Jean-de-Luz?", et tandis que vous vous rongez la cervelle en conjectures sur le lit trop dur d'un gîte d'étape sans patrie ni famille, ni  chaussons du coin, vos amis se régalent. Bercés par le roucoucou laurentvoulzié des vagues mourant sur la grève, face au coucher de soleil plein de nuages éclatant au loin d' une rougeur de  sweet Home arthusbretrandisé, ils dégustent, eux, ils s'en mettent plein les poumons, ils respirent le parfum éternel de leur sacré coin. Un coin grand cru classé, et peut-être même classé défense (d'y toucher). Laissons donc les bons coins français préservés rester en l'état, et puis si vous le voulez bien,  arrêtons-nous là. Inutile d'enfoncer le coin!

 

 

Copyright :[elevergois.coin.com] pour cette fantaisie dont Depardon, Doisneau, mille bardes grattant la lyre à une seule corde  (eux, absolument sublimes  naturellement),  et plus tard  en son genre  l' exceptionnel Jacques Tati, ont tracé les lettres de noblesse, en attendant qu'un brillant auteur nous ponde le dictionnaire de la franchouillardise au sourire en coin.-- mettons un lien pour Tati -- elevergois.com -- eric-jean levergeois pour fesse-bouc.

 


 

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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 09:52

 

 

 

Nul ne  peut  reprocher aux âmes bienveillantes d’assister les voyageurs qui ont enfin trouvé la voie discrète et bordée de saules, le sentier couvert de feuilles d’automne qui conduit à la maison-poème, à la maison-souvenir, à la maison-bibliothèque du grand écrivain.  Nul ne peut reprocher non plus à l’amateur qui a puisé  chansons, poésie, renouvellement et orchestrations du monde chez l' écrivain, d’arriver sur les lieux avec l’offrande de ses souvenirs, avec un peu de l’essence même de la poésie qui l’a conduit ici. En franchissant simplement la porte, voilà notre visiteur récompensé. Certes, il pourra s’interroger sur  l’état glissant et peu entretenu des pavés de la cour, s’étonner que le froid humide mange l’appentis et les bancs apparemment depuis des années, mais nous sommes en octobre après tout,  et cela fait partie du climat. Et cela fait écho à la  mélancolie des poèmes qui lui reviennent en mémoire.  La maison a des airs d’auberge ou de relais de poste des anciens temps, elle offre dès le premier instant son mystère, son caractère fixe qui se refuse de sombrer au fil du temps. Devant ces frondaisons d’été tardif et ces arbres couverts de petites mains jaunes aux tons très poussés,  tremblant légèrement dans  le vent,  le voyageur s’est embarqué sur son rêve qui rime avec des temps qu’il n’a pas connus, mais dont l’écho lui parvient sous forme de musique discrète. Il pousse  une autre porte avec une poignée que sans doute les amis, les familiers, les auteurs, toutes les gloires disparues ont fait tourner, mais aussi une poignée simple qui fait l’humilité, comme a dit un grand chanteur,  une poignée faite pour la main du facteur qui apporte chaque jour son paquet de lettres et laisse entrer le parfum de la forêt  et  celui des jours qui se suivent.  Voici les premiers pas du visiteur dans la maison dont il a repoussé la visite si longtemps. A la vérité, il aimerait bien jouir du silence, ne pas entendre les conversations des couples qui échangent des propos de circonstance comme devant les tableaux des musées (ou qui parlent de la coqueluche du fiston), mais il voudrait rêver d’une humanité tout simplement à la hauteur d’une sorte de silence de source infiniment respectueux. Un silence de prieuré, de chapelle au fond des bois; mais en échange des efforts de qui a transformé ces lieux et les entretient, il apprend qu’il ne pourra visiter l'intérieur qu’en subissant le discours du guide, du conférencier expert -- laquelle commence à telle heure précise. Quand on est venu de loin, déclare-t-il sans hésiter, quand on a trouvé le chemin pour venir jusqu’ici, c’est peut-être parce qu’on a choisi d’apporter son dialogue personnel avec tout ce qui peut-être ressenti, ce qui exerce sa présence, ce qui palpite comme tout trésor d’archive littéraire, mais sûrement pas pour recevoir comme une prescription médicale une instruction qu’ il possède déjà -- et qui à coup sûr le videra de ses beaux songes.  Il est bien normal qu’on empêche des étrangers de voler ou de souiller les lieux, il est bien normal de faire des étrangers qui viennent,  des êtres étrangers à la poésie..., mais qui sait?  ce n'est peut-être pas. l'ojectif.  Notre visiteur s’est contenté d’acheter le volume qu’il préfère dans la maison de l’auteur, il dit à la préposée diligente et gentille (mais surprise devant cet animal curieux) qu’il en lira des pages comme une prière dans la cour, ce qu’il fait, et il monte en lui-même sur la grande houle des vers,  entend une mélodie de guitare, de pleurs, de harpe et de vent d’automne.  Plus agréables à son oreille que la voix des conférenciers -- comme dans les livres où il ne lit pas les notes mais le texte seul, et lui étant  resté seul dans le texte, il s'en va perdu, désemparé, désorienté, sans guide mais ravi.

 

Précisons que nous serions bien injuste et bien ingrat de ne pas remercier cette organisation d'un itinéraire dénommé Route des Maisons d'Ecrivains -- principalement à l'ouest de Paris, et plus  avant si entente --que nous signalons aux amateurs qui ignoreraient son existence. tous droits elevergois (eric levergeois).

 


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20 juillet 2011 3 20 /07 /juillet /2011 10:11

Vous les connaissez sans doute, ces venelles vidées de toute présence humaine où même la vitalité de l'air ambiant semble avoir été aspirée comme pour en faire des décors de maisons qui n'existèrent peut-être jamais. Ce sont des visions qui donnent une prise sur des landes de nostalgie. Clochers, toits ou rues pavées deviennent alors des êtres singuliers, qui ne sont pas si éloignés des coquilles blanchies usées par le sel et la mer où vit le génie du Silence qui ,livré à tous ses caprices, côtoie une sorte d'Abandon allégorique – cela n'est pas sans rappeler que la Belle du conte de Perrault dormit cent ans pendant lesquels les bois et les gens prirent des poses de statues. Cette rue aux gros pavés vidée de tout et qui longe le domaine, un matin d'avril pétrifié et d'un gris de vieux vitrail usé, c'est une photo d'Eugène Atget prise à Sceaux. A bout de ressources ou d'invention, les derniers propriétaires  aristocrates du terrain des jeux de la duchesse du Maine quittérent  en 1923 le grand vaisseau: bois, allées, château, statues tourmentées qu'on dirait retrouvées sous le vernis d'une toile de Watteau oubliée dans un grenier , tout cela allait être sauvé dans les Années  Vingt, mais, en attendant, c'était encore et toujours l'épave d' une forêt. Dans l'album qui présente ces clichés, apparaît plusieurs fois un escalier aux dégrés disjoints, aux marches longues et plates, et majestueuses bien qu'effritées comme leur lointaine époque; ces marches sont un sujet de rêve, de nostalgie, un poème du temps. Un escalier qui se survit sous l'eau opaque de l'impression photographique est un spectacle à lui tout seul. C'est une sorte d'escalier fait comme un clavier, chaque pas qu'on y devine rallume des rêveries, et puis, puisque nous sommes dans une année où l'on fête Lizst, réveillons cet escalier en forme de chute de dominos surréalistes par les notes qui commencent la Sonate en si mineur – le tocsin isolé de la première note surtout, une note tirée d'E.T.A. Hoffmann ou du diable lui-même, frappée dans l' infini des sons graves. Croyez-vous aux muses, aux fées, aux apparitions, aux mythologies qu'on prétend disparues ? « mortels enivrés de moteurs » comme écrivit Pierre-Jean Jouve, regardez bien cette page où triomphe un escalier de parc un peu monumental, que les arbres laissés à la vie sauvage protègent encore. Si vous regardez longtemps, vous trouverez la lyre du poète abandonnée, l'embarquement pour Cythère-- et peut-être aussi le baiser de la fée.

 

Page de carnet retrouvée à propos de l'exposition Atget à Sceaux, qui eut lieu en 2008, dans un décor idéal pour une projection d'un film du genre de ceux de Cocteau --  premier des textes , fait de notes, esquisses, brouillons pianotés  et autres traits  fugaces pour "tableaux pour une exposition" – elevergois – eric levergeois

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27 juin 2011 1 27 /06 /juin /2011 00:03

Autrefois, comme aurait dit Giono, les routes étaient modestes, elles rampaient sous le soleil entre deux champs de belles parcelles de blé qui les regardaient de haut. Le vent qui souflle sur une route, ça ne donne rien. Mais celui qui souffle sur la campagne, tiens! oui celui-là, c’est vraiment du vent qui carde les plus petites herbes, qui leur ôte  leur parfum comme sur le manteau d’une fée, et le transporte bien loin jusqu’à  nous faire  tourner la tête. Elles ne faisaient pas les fières, ces routes, elles faisaient ce qu’on leur avait dit de faire: elles montaient tout doucement vers Paris, et encore, pas toujours. Elles prenaient le temps de la rigolade, de la pause et du casse-croûte au coin du virage. Elles allaient leur petit bonhomme de chemin. Il y en avait qui étaient en terre et en cailloux, comme celles de Simiane jadis, oui, et celle de mes amies les Mimi de Banon, qui habitaient la maison à côté de chez le berger qui faisait son nougat lui-même. C’est la vérité: il faisait son nougat et j’en ai mangé en me cassant les dents, presque, c’était lui ou ma mâchoire qui céderait dans la lutte. Enfin, c’était bien bon. Mais maintenant, les routes sont devenues grandes; elles ne sont pas restées des routes, elles ont pris une allure monstrueuse. On pourrait même risquer de dire que les routes vont grand train de nos jours.. Ce qui roule dessus, on ne voit plus vraiment ce que c’est, vu que les voitures qui passent y volent à des vitesses de fusées à roulettes. Ceux qui sont au bord n’ont plus le temps de les voir, et ceux qui sont dedans doivent faire attention pour ne pas se coller contre une barrière en fer ou se retourner sur un terre-plein. Ca arrive quand même de temps en temps. Et puis la race des paysans est en train de s’éteindre: on leur a trop demandé de grossir, de grossir, si bien que comme dans la fable de La Fontaine, ils ont éclaté entre les dettes, la surproduction, et la fatigue de produire, semer, traire,pour presque rien,  pour des hommes de l’achat en gros qui fixent les prix comme les inquisiteurs de Torquemada, à ce qu'on dit: si tu me vends pas le prix que je veux, tu seras brûlé. Je te les prends, tes tonnes de pommes, et estime toi heureux que je les vende à huit centimes, tu as compris?! Il paraît que ça arrive plus souvent qu’on ne pense. Alors les routes, avec tout ce monde désaxé, elles se sont mises à aller en sens inverse, elles vont vers les villes où tout se passe. Les routes et les autoroutes y courent à toute allure. C’est là qu’est la vie maintenant, et naturellement, comme ils sont un peu nostalgiques, peut-être même un peu honteux, les habitants des immeubles de trente étages s’installent un jardinet d’un mètre carré sur leur balcon, comme ils disent, pour avoir encore une petite idée de la nature. Mais peut-être que les routes changeront de sens un jour, et qu' un  autre  jour, une tomate poussée au cinquantième étage d'une tour illuminée, comme les graines poussent entre les dalles des prisons, aura envie de s’évader, et de prendre une route, une route qui s'en va loin vers le soleil ,et qui ne revient pas de là où elle part. En attendant, les gens des grandes villes regardent la campagne comme un terrain de jeu, et les continents lointains sur l’écran de la télévision; ils rêvent de voyages en avion chez les peuples pas très riches et pittoresques.  Et nos paysans qui luttent dans les campagnes, meurent à petit feu pour une bonne part. Si Giono avait pu connaître cela, il n’aurait pas été très heureux. Lui qui disait qu'on ne se gêne pas pour raser des forêts de chênes qui ont connu Sully, pour y plaquer le goudron luisant d'une nouvelle autoroute.Autrefois, comme aurait dit Giono, les routes étaient modestes, elles rampaient sous le soleil entre deux champs de belles parcelles de blé qui les regardaient de haut. Le vent qui souflle sur une route, ça ne donne rien. Mais celui qui souffle sur la campagne, tiens! oui celui-là, c’est vraiment du vent qui carde les plus petites herbes, qui leur ôte  leur parfum comme sur le manteau d’une fée, et le transporte bien loin jusqu’à  nous faire  tourner la tête. Elles ne faisaient pas les fières, ces routes, elles faisaient ce qu’on leur avait dit de faire: elles montaient tout doucement vers Paris, et encore, pas toujours. Elles prenaient le temps de la rigolade, de la pause et du casse-croûte au coin du virage. Elles allaient leur petit bonhomme de chemin. Il y en avait qui étaient en terre et en cailloux, comme celles de Simiane jadis, oui, et celle de mes amies les Mimi de Banon, qui habitaient la maison à côté de chez le berger qui faisait son nougat lui-même. C’est la vérité: il faisait son nougat et j’en ai mangé en me cassant les dents, presque, c’était lui ou ma mâchoire qui céderait dans la lutte. Enfin, c’était bien bon. Mais maintenant, les routes sont devenues grandes; elles ne sont pas restées des routes, elles ont pris une allure monstrueuse. On pourrait même risquer de dire que les routes vont grand train de nos jours.. Ce qui roule dessus, on ne voit plus vraiment ce que c’est, vu que les voitures qui passent y volent à des vitesses de fusées à roulettes. Ceux qui sont au bord n’ont plus le temps de les voir, et ceux qui sont dedans doivent faire attention pour ne pas se coller contre une barrière en fer ou se retourner sur un terre-plein. Ca arrive quand même de temps en temps. Et puis la race des paysans est en train de s’éteindre: on leur a trop demandé de grossir, de grossir, si bien que comme dans la fable de La Fontaine, ils ont éclaté entre les dettes, la surproduction, et la fatigue de produire, semer, traire,pour presque rien,  pour des hommes de l’achat en gros qui fixent les prix comme les inquisiteurs de Torquemada, à ce qu'on dit: si tu me vends pas le prix que je veux, tu seras brûlé. Je te les prends, tes tonnes de pommes, et estime toi heureux que je les vende à huit centimes, tu as compris?! Il paraît que ça arrive plus souvent qu’on ne pense. Alors les routes, avec tout ce monde désaxé, elles se sont mises à aller en sens inverse, elles vont vers les villes où tout se passe. Les routes et les autoroutes y courent à toute allure. C’est là qu’est la vie maintenant, et naturellement, comme ils sont un peu nostalgiques, peut-être même un peu honteux, les habitants des immeubles de trente étages s’installent un jardinet d’un mètre carré sur leur balcon, comme ils disent, pour avoir encore une petite idée de la nature. Mais peut-être que les routes changeront de sens un jour, et qu' un  autre  jour, une tomate poussée au cinquantième étage d'une tour illuminée, comme les graines poussent entre les dalles des prisons, aura envie de s’évader, et de prendre une route, une route qui s'en va loin vers le soleil ,et qui ne revient pas de là où elle part. En attendant, les gens des grandes villes regardent la campagne comme un terrain de jeu, et les continents lointains sur l’écran de la télévision; ils rêvent de voyages en avion chez les peuples pas très riches et pittoresques.  Et nos paysans qui luttent dans les campagnes, meurent à petit feu pour une bonne part. Si Giono avait pu connaître cela, il n’aurait pas été très heureux. Lui qui disait qu'on ne se gêne pas pour raser des forêts de chênes qui ont connu Sully, pour y plaquer le goudron luisant d'une nouvelle autoroute.

 

Carnet stendhaliens interrompus un instant, en espérant que x y et z qui les lisent seront heureux de savoir que les textes italiens feront l'objet d'une publication dans peu de temps -- elevergois -- eric levergeois--

 

 


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19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 08:43

 

En écoutant Liszt, chacun le sait d'expérience, on se représente des paysages limpides traversés d'averses ou de brumes, des murmures de sources ou bien de grandes tempêtes, des accents très doux tirés de la nature qui raconte ses fables, comme la chanson de la pluie ou la colère de l'orage, et qui sont soudain doués d'une voix propre, d'une voix personnelle qui s'élève du fond des sanctuaires et des chapelles votives que l'artiste crée à volonté, au fond d'une vallée ombreuse ou sur un sommet éclairé par l'aurore. Rien n'est plus précieux que cette vision élargie, cette création d'un oratoire naturel qui soudain s'ajoute au détour de la promenade poétique que nous accomplissons au moyen de la rêverie du piano qui chante, avec son humeur souvent fiévreuse, souvent emportée, mais aussi parfois infiniment recueillie, et qui nous remplit d'une attention presque religieuse. Nous voilà tout à coup en paix à l'écoute de ce flux et ce reflux, et enchantés de savoir que certains lieux lointains et inconnus ont une destinée qui s'élève dans un intervalle de quiétude où la douceur nous raconte la solitude champêtre au cœur des brumes, des aubes, dont le compositeur tire l'essence comme on retire le sel de la mer. Les racines de ces chants qui imitent le son d'un clocher qui s'éveille dans un matin frileux et hésitant, peuvent se transporter de Genève vers tout autre clocher dont on connaît le son par cœur, et qui nous apporte ses heures vagabondes, ses chapelets de notes incomplètes et toujours perçues à mi-parcours, pimentant l'air de leur trace musicale et de leur bavardage. On est souvent surpris d'être rejoint à contre-temps par la petite phrase lancée dans l'air par les marteaux battant les cloches, et l'on doit toujours, dans notre village où la petite église et le temps s'oublient par habitude, réécouter pour bien comprendre que l'heure annoncée nous concerne. Pourtant, comme dans la poésie du compositeur, ce n'est pas le décompte des notes qui indique l'heure qui nous intéresse, mais ces petites perles de son qui résonnent qui nous émeuvent par leur gravité songeuse qu'on avait oubliée et que la fantaisie des vents nous rappelle. Certes, il y a ici deux clochers qui s'occupent de ce métier d'horloger ponctuel -- hormis ceux qui sonnent ici et là pour des messes particulières et servent de gazette -- mais je veux parler de ce chapeau de métal brun un peu rouillé et pointu comme celui d'un docteur de théâtre, celui qui est caché parmi les sapins et dont on entend distinctement le ressort se détendre, et de sa musique lisse au vol d'oiseau qui s'élève en traversant les branches des pins avant de fuir au gré des vents. C'est le clocher du hameau proche de la rive, celui qu'on appelle P..., que je veux évoquer : l'ami du soir qui bat ses coups aigres et un peu fêlés, l'arpenteur d'obscurité, le gardien des heures tranquilles de la nuit qu'il sonne sans en manquer une, comme des gouttes de temps, pleines d'une beauté irréelle lorsqu'on contemple une nuit de lune sur la lac et où elles viennent se fondre lentement comme tombées d'un clavier qui accompagne ces paysages d'argent. A cette heure là, l'artisan précis et infatigable se transforme lui aussi en musicien, et il nous joue la musique infiniment émouvante des heures perdues. Et avec lui sonnent les heures cachées, les heures oubliées, soudain seules et livrées au caprice d'un artiste devenu pianiste lui aussi, et qui, soliste mélancolique, joue ce qu'il veut d'une main délicate. Il passionne les profondeurs du silence en les ornant de paysages magiques, et lui aussi, d'un thème de trois ou quatre notes – précisément, comme le début les « Cloches de Genève » enchante les profondeurs de la nuit par son pèlerinage d'artiste et sa méditation.

 

 

Autre feuillet d'un carnet de voyage en Stendhalie, de Côme à Novare, sans oublier la courbe de Belgirate ("Chartreuse") -- elevergois -- e.l.

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17 juin 2011 5 17 /06 /juin /2011 08:40

Certains soirs  où tout s’est apaisé au cœur de  cette eau argentée qui ne  remue plus entre les mains de la nuit , voici naître les montagnes d’un bleu sombre qui s’accordent au crépuscule: on suit sous les arbres de longs sillages d’ombre qui grandissent, c’est l’heure mélancolique qui crispe le geste le plus simple des présences magiques, et soudain tout se dérobe. La moindre barque attardée qui rentre vers un port glisse, lente et irréelle, mesurant à elle seule l’espace de toute une vie. L’attente exquise du monde qui s’efface étend sur les jetées une inquiétude, et  sur les plages qui n’ont ni bruit ni souffle, cette lueur mordorée de lampe prend un éclat bleu sombre de flamme hésitante sous un verre, lueur de cierge et d’argent mêlés.  L’intarissable richesse du jour remue dans l’âme. Avec toute la vaillance de la jeunesse qui s’ y insurge, qui gronde comme un  torrent prisonnier soudain brisé contre  des rochers froids,  elle qui aspire à mesurer sa force et son élan, elle voudrait tout bousculer, créer un autre monde, et même s’enfuir, s'enfuir, s'enfuir!... L’heure exquise de nos rives étend cependant ses magies: voici le long soupir des arbres, les îles au loin qui s’endorment, les chemins creux de toutes nos montagnes d’où descend une haleine chaude et parfumée. Puis l’air plus épais vient arrêter  toute vie.  C’est instant  suspendu sur l’abîme,  sur le fil des secondes où se murmurent des mystères. Aucun mot ne traduira jamais la beauté de cette voûte qui confine le monde dans son silence. Aucun mot ne dira la violence qui transforme alors toute la chaleur des jours en rêve de conquêtes, en instants de fatale attente, ni la profondeur de cette inquiétude où tout est plus vivant à l’instant même où tout meurt.  Bientôt sonnera comme une prière l’heure de la nuit au clocher; le paradis de toutes les fleurs s’effacera, et avec lui la chanson des vallées, et toutes les beautés des couleurs, et alors s’entrouvrira la porte qui conduit aux saisons éternelles.

 

 

passages et souvenirs de soirées mélancoliques en Stendhalie - elevergois - eric levergeois - copyright protégé par ma winchester-

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16 juin 2011 4 16 /06 /juin /2011 08:10

Autour de ce port fait pour un grand large miniature, toutes les nuances de bleus frissonnantes se froissent en bleus et en mauves intenses où éclatent des branches de magnolias frappées par le soleil, qui les consume dans une poussière de perles ou  de diamant. La vaste clarté de l’après-midi d’été chante sa chanson, celle qui paraît descendue avec les torrents, les légendes, les sources, par tous les sentiers où l’air dévale les pentes, enivré et léger. Quelle sensation de  splendeur et de vie forte qui soudain frappe la poitrine comme le son d’une note tenue de violon, étirée, lacérée, éclatante! Vient ensuite le zénith de cette vapeur bleue qui réchauffe et exalte le paysage, fait surgir les rives de galets pleins de points d’argent, et la petite baie qui signale notre village lacustre borné par des pins entourant des villas et leurs promenoirs presque de marbre, palais et jardins redeviennent un poème légendaire, et tous les lieux un promenoir où ce soir à pas légers passera quelque tristesse. Puis, dans le sommet des peupliers cliquetant comme une soie toute agitée de monnaie brillante au revers de ses feuilles, ce vent qu’on appelle le maggiore lève sa voile comme sur un vaisseau d’un autre temps. Et nous voilà embarqués sur le voyage lointain du soleil, sur la traversée de l’été, tandis que de légers coups de pinceaux blancs, esquisse de voiles qui sont au-loin, fait monter dans l’esprit comme une volonté lasse: le désir d’aller loin sur la mer, ou bien la langueur et l’extase de ne plus savoir quitter ce pays magique où  vibre la lyre des vents.

 

 

Toute ressemblance avec un hommage aux lac italiens est purement et résolument volontaire - elevergois - eric levergeois- Voyages en Stendhalie - 2011 -

 

 

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9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 22:56

Chez Nerval, comme chez tout écrivain qui habite une langue et la hante, il y a toujours un enchantement, et pour lui une délicatesse et des nuances qui le relient à une sorte de XVIIIe siècle qui serait un lamento sombre et mozartien, une sorte de paradis perdu. Les vertus d’un monde amoureux mais défunt paraissent affleurer sous le texte -- ainsi, ouvrant ce soir un chapitre du Voyage en Orient, je trouve: : «Je causais avec la petite dame bleue; » et immédiatement est perceptible pour moi ce rubato, mot d’art pianistique qui veut dire en fait «volé», «dérobé», et qui semble bien rendre l’impression de conte de fées, de texte en suspension comme une brume qui enveloppe. Plus loin, cette phrase étonnante: «J’ai l’air à peine d’être là.» Quand le récit aborde la question si mystérieuse du choix difficile entre plusieurs beautés que le poète (et l’homme) voudraient courtiser, une discrétion magique s’installe, à quoi s’ajoutent l’impossibilité de communiquer dans une langue commune, et mille autre distances infranchissables qui désignent les dénivellations du sentiment. Quelques pages plus haut, il était question de rencontres à Vienne, de méprises, de gentillesses, de quiproquos funestes, et toujours de l’amour réalisé en espoir, enfin trouvé peut-être? non, et sa forme, celle d’une femme, s’est enfuie avant qu’on puisse aborder humainement le pays où les joies vives laissent place à un bonheur réel. Il est curieux de constater à présent dans les livres, et peut-être seulement là, que les hommes et les femmes sont faits pour s’aimer -- disons plus exactement que ces textes indiquent que le monde d’alors a conscience qu’il faut de l’amour sur terre, ce qui ne vient plus aussi souvent à l’esprit dans la langue de notre temps. L’amour réconcilie l’aigu et le grave, redit un grand philosophe, et ce qui est demi-ton ou demi-teinte chez Nerval -- à vrai dire je ne sais pourquoi l’exemple de «la petite dame bleue» m’a pris au collet -- est la trace de souvenirs, de vastes lectures qui peuplent ses palais imaginaires encombrés de légendes Louis XIII, de contes, avec des vues de Watteau, des pastels, --d’ailleurs, le chapitre suivant fait s’éveiller la Grèce et Cythère sous les yeux du poète, et il y a un tableau de ce peintre qui vient à l’esprit immédiatement -- ce qui est demi-réussite est comme une dissonance lointaine, un sommeil éveillé qui évite beaucoup plus qu’il ne saisit vraiment, peut-être parce que le magicien devance toujours l’homme, et le prévient. Mais il a suffi au poète d’aborder en Grèce, au chapitre qui vient, pour que tout change: au cœur du foyer des sentiments tous les messages des dieux et des légendes reparaissent, familiers, comme intacts et présents. La complicité du poète avec les fables antiques nous enlève comme dans les cercles d’ une nef peinte en trompe-l’œil, et Nerval s’entretient avec des divinités, il parle comme “le verbe intérieur” de Malebranche, sa langue infinie infusée de soleil.

 

 

Avec ou sans regard vers les lacs italiens , car parler pour Nerval c'est toujours un peu "prier"; (ne prie-t-on aussi à certains accents de Schubert?) -- elevergois -- eric levergeois.

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8 juin 2011 3 08 /06 /juin /2011 07:51

Le petit port et ses bateaux au repos qui ne sont ici que des barques pour naviguer  sur une musique de quatuor limpide, étend son môle et  ses fins piliers de bois noir sur le tissu des vagues. Le  vent qui pousse les brumes d’un après midi trop chaud glisse lentement vers le soir. Tout un  chœur  de chansons  venu des vallées résonne,  donnant  à  la  clarté  lisse du ciel des éclats de cloches  errants qui sonnent dans l’air bleu au milieu des lueurs d’ardoise ou d’ailes d’oiseau. Le passant qui rêve de croisières au milieu de ces eaux vertes, de ces eaux de violet intense surmontées de feuillages de pins,  d’arbres vibrants de soleil, de fleurs blanches qui tremblent ou de camélias, regarde au loin comme pour guetter des astres tombant à même le jour. Ce rêve où dorment les barques, ce rêve sans profondeur où tout semble écrit d’une douceur preste d'aquarelle, et où toutes les formes se lient, est le vrai zénith des journées d’été tranquilles, quand les lointains sur le lac jouent au grand large de la mer. Tenir près de soi ces apparitions magiques rend presque incapable de distinguer la nature intime du paysage doré, la splendeur des rives de galets brillants déroulés sur quoi penchent les vallées, et la métamorphose invite à l’infinie sensation d'un bonheur lumineux qu’on respire comme une haleine d’amour profond.

 

 

 

 

 

elevergois - eric levergeois -- grands aveux de bonheur stendhalien près de nos lacs si splendides.

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