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9 juin 2011 4 09 /06 /juin /2011 22:56

Chez Nerval, comme chez tout écrivain qui habite une langue et la hante, il y a toujours un enchantement, et pour lui une délicatesse et des nuances qui le relient à une sorte de XVIIIe siècle qui serait un lamento sombre et mozartien, une sorte de paradis perdu. Les vertus d’un monde amoureux mais défunt paraissent affleurer sous le texte -- ainsi, ouvrant ce soir un chapitre du Voyage en Orient, je trouve: : «Je causais avec la petite dame bleue; » et immédiatement est perceptible pour moi ce rubato, mot d’art pianistique qui veut dire en fait «volé», «dérobé», et qui semble bien rendre l’impression de conte de fées, de texte en suspension comme une brume qui enveloppe. Plus loin, cette phrase étonnante: «J’ai l’air à peine d’être là.» Quand le récit aborde la question si mystérieuse du choix difficile entre plusieurs beautés que le poète (et l’homme) voudraient courtiser, une discrétion magique s’installe, à quoi s’ajoutent l’impossibilité de communiquer dans une langue commune, et mille autre distances infranchissables qui désignent les dénivellations du sentiment. Quelques pages plus haut, il était question de rencontres à Vienne, de méprises, de gentillesses, de quiproquos funestes, et toujours de l’amour réalisé en espoir, enfin trouvé peut-être? non, et sa forme, celle d’une femme, s’est enfuie avant qu’on puisse aborder humainement le pays où les joies vives laissent place à un bonheur réel. Il est curieux de constater à présent dans les livres, et peut-être seulement là, que les hommes et les femmes sont faits pour s’aimer -- disons plus exactement que ces textes indiquent que le monde d’alors a conscience qu’il faut de l’amour sur terre, ce qui ne vient plus aussi souvent à l’esprit dans la langue de notre temps. L’amour réconcilie l’aigu et le grave, redit un grand philosophe, et ce qui est demi-ton ou demi-teinte chez Nerval -- à vrai dire je ne sais pourquoi l’exemple de «la petite dame bleue» m’a pris au collet -- est la trace de souvenirs, de vastes lectures qui peuplent ses palais imaginaires encombrés de légendes Louis XIII, de contes, avec des vues de Watteau, des pastels, --d’ailleurs, le chapitre suivant fait s’éveiller la Grèce et Cythère sous les yeux du poète, et il y a un tableau de ce peintre qui vient à l’esprit immédiatement -- ce qui est demi-réussite est comme une dissonance lointaine, un sommeil éveillé qui évite beaucoup plus qu’il ne saisit vraiment, peut-être parce que le magicien devance toujours l’homme, et le prévient. Mais il a suffi au poète d’aborder en Grèce, au chapitre qui vient, pour que tout change: au cœur du foyer des sentiments tous les messages des dieux et des légendes reparaissent, familiers, comme intacts et présents. La complicité du poète avec les fables antiques nous enlève comme dans les cercles d’ une nef peinte en trompe-l’œil, et Nerval s’entretient avec des divinités, il parle comme “le verbe intérieur” de Malebranche, sa langue infinie infusée de soleil.

 

 

Avec ou sans regard vers les lacs italiens , car parler pour Nerval c'est toujours un peu "prier"; (ne prie-t-on aussi à certains accents de Schubert?) -- elevergois -- eric levergeois.

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