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20 juillet 2011 3 20 /07 /juillet /2011 10:11

Vous les connaissez sans doute, ces venelles vidées de toute présence humaine où même la vitalité de l'air ambiant semble avoir été aspirée comme pour en faire des décors de maisons qui n'existèrent peut-être jamais. Ce sont des visions qui donnent une prise sur des landes de nostalgie. Clochers, toits ou rues pavées deviennent alors des êtres singuliers, qui ne sont pas si éloignés des coquilles blanchies usées par le sel et la mer où vit le génie du Silence qui ,livré à tous ses caprices, côtoie une sorte d'Abandon allégorique – cela n'est pas sans rappeler que la Belle du conte de Perrault dormit cent ans pendant lesquels les bois et les gens prirent des poses de statues. Cette rue aux gros pavés vidée de tout et qui longe le domaine, un matin d'avril pétrifié et d'un gris de vieux vitrail usé, c'est une photo d'Eugène Atget prise à Sceaux. A bout de ressources ou d'invention, les derniers propriétaires  aristocrates du terrain des jeux de la duchesse du Maine quittérent  en 1923 le grand vaisseau: bois, allées, château, statues tourmentées qu'on dirait retrouvées sous le vernis d'une toile de Watteau oubliée dans un grenier , tout cela allait être sauvé dans les Années  Vingt, mais, en attendant, c'était encore et toujours l'épave d' une forêt. Dans l'album qui présente ces clichés, apparaît plusieurs fois un escalier aux dégrés disjoints, aux marches longues et plates, et majestueuses bien qu'effritées comme leur lointaine époque; ces marches sont un sujet de rêve, de nostalgie, un poème du temps. Un escalier qui se survit sous l'eau opaque de l'impression photographique est un spectacle à lui tout seul. C'est une sorte d'escalier fait comme un clavier, chaque pas qu'on y devine rallume des rêveries, et puis, puisque nous sommes dans une année où l'on fête Lizst, réveillons cet escalier en forme de chute de dominos surréalistes par les notes qui commencent la Sonate en si mineur – le tocsin isolé de la première note surtout, une note tirée d'E.T.A. Hoffmann ou du diable lui-même, frappée dans l' infini des sons graves. Croyez-vous aux muses, aux fées, aux apparitions, aux mythologies qu'on prétend disparues ? « mortels enivrés de moteurs » comme écrivit Pierre-Jean Jouve, regardez bien cette page où triomphe un escalier de parc un peu monumental, que les arbres laissés à la vie sauvage protègent encore. Si vous regardez longtemps, vous trouverez la lyre du poète abandonnée, l'embarquement pour Cythère-- et peut-être aussi le baiser de la fée.

 

Page de carnet retrouvée à propos de l'exposition Atget à Sceaux, qui eut lieu en 2008, dans un décor idéal pour une projection d'un film du genre de ceux de Cocteau --  premier des textes , fait de notes, esquisses, brouillons pianotés  et autres traits  fugaces pour "tableaux pour une exposition" – elevergois – eric levergeois

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