Ce n'est pas une plaisanterie même si ça en a l'air: si la France relisait davantage ses classiques, la population en général s'en porterait beaucoup mieux. Le simple fait d'échanger son sort avec celui des héros et des héroïnes de roman, rendrait bien des maux de la vie supportables, d'abord en nous soustrayant à cette machine "satanique" (nous utilisons le terme dans un sens baudelairien, c'est-à-dire, qui empêche l'homme de penser à sa part de sacré ou de génie) qu'est la télévision. La lecture d'un livre important, c'est comme une escapade dans les forêts vierges de l'âme, dans les oubliettes les plus sombres du remords, de la honte, de la tolérance excessive à l'égard de ses propres erreurs, dans les destinées inévitables qui attendent les êtres qu'un destin fatal doit broyer. La littérature n'a jamais été écrite pour les écoles, autrement ça serait franchement nul. La littérature consiste à mettre les hommes dans des situations invraisemblables et à vous les faire vivre comme un parcours hallucinant rempli de mille et une question lacérantes comme le fer barbelé -- croyez-vous qu'on sort de La Peau de chagrin de Balzac en étant resté le même? Non, une fois qu'on l'aura lu, ce livre vous hantera toute la vie, ce sera comme une brûlure au fer rouge, avec mystères, signes indéchiffrables, alchimie, amours fatales, destinée brisée. Ne mettez pas derrière ce livre trois ou quatre étoiles et un code barre qui correspondent à la vente -- marchands de cette terre, le monde ne vous appartient pas! -- mais quatre ou cinq flambeaux servant à désigner le danger couru et la libération qui en découle. Il est atroce, et parce qu'il est atroce et imaginaire, il est justement l'épreuve morale et physique qu'il vous faut, et sans tarder. Et voilà qui nous fait des milliers de dépressions nerveuses dûes a l'ennui, qui n'ont plus besoin de traitement trop long. Voulez-vous aller un cran plus haut dans la terreur? procurez le Moine de Mattew Gregory Lewis, ou Melmoth de Mathurin, dans l'édition rouge de Pauvert, avec la préface de Breton, et là vous verrez que ce n'est pas de la grenadine, chers amis. Cent mille boites de tranquillisants annulées du même coup. Car la lecture vous "met dans le coup" pour transformer une des hypothèses d'un grand sémiologue italien, vous vivez l'histoire que vous lisez, et dans une langue -- hein, vous, les jeunes, qui allez finir par ne plus savoir écrire votre nom si ça continue, vous me suivez? --une langue débridée, splendide, furieusement travaillée,, qui est faite pour vous élever dans les cieux de la beauté. La Beauté n'est pas la beauté qu'on croit, elle est souvent la beauté qui ne pardonne pas à celui qui a osé la regarder! Comment, vous n'entrez pas dans votre classe de littérature en ayant une trouille pas possible? Je vous plains: vous ne savez pas encore lire, je ne dis pas lire des mots, je dis se frictionner la tête avec l'eau gelée des mares qui sont au pied des haies dans les Chouans de Balzac (encore lui? direz-vous, mais faudrait pas trop rire de lui) ce fut un authentique génie, et chacun de ses livres est un mélange d'alchimie, de sciences occultes, de paysages visionnaires, de tumultueuses saisons d'amour et de folie violente comme un ouragan qui vous décollera du quai venteux où vous irez aller le chercher."On ne fait pas de la bonne littérature avec des bons sentiments" a dit André Gide, et il avait diablement raison: on fait de la bonne littérature avec ce qui vous fait du mal, vous saoûle, vous enivre, vous étouffe, vous libère enfin après avoir espéré la libération, le succès triomphal du héros ou de l'héroïne, et vous voilà, refermant votre livre, tout en larmes, décomposé mais aussi reconstruit et régénéré. En pleine forme!! Enfermez-vous avec un de ces bon vieux "poche" (il y a un site pour les bouquins d'occasion sur internet, le prix descend jusqu'à deux euros, hein? deux euros, pour les Misérables, les égouts, Jean Valjean, ou les Mystères de Paris, (pires encore!), deux euros? deux euros! papa ou maman ne les a pas? allons, allons, qu'est-ce que vous me chantez-là, deux euros pour faire le tour de la terre et plonger au fin fond du cosmos avec un seul bouquin, c'est trop cher payé? La science dans quoi plonge la littérature c'est la science de votre âme, de votre conscience, de vos rêves, de vos dédains, et suprême théâtre gratuit et cependant à portée de la main, le monde de vos amours! -- excusez du peu, mais je vous souhaite à tous d'aimer comme on aime dans les romans classiques, c'est -à-dire jusqu'à l'épuisement et à la folie, d'y fondre et d'y rencontrer l'absolu divin comme dans Dante ou dans Shakespeare! Et voilà des listes de gens qui étaient prêts à consulter des milliers de médecins et qui d'un seul coup y renoncent! Une belle pièce de théâtre, un conte moral d'Ibsen (tiens, Maison de poupée, par exemple)vous fera tenir le coup contre les maux de gorge et une toux légère, c'est garanti. Ca n'a pas été nécessairement écrit pour être lu ou vu dans le confort moral le plus absolu, mais ce médicament de deux cents pages (un peu moins peut-être) vous remettra sur pied en une ou deux séances de lecture, c'est garanti. Vous pensez que je rigole? pas du tout: la littérature est faite avec ce que vous avez de plus sombre et de plus beau en vous, par des gens qui le voyaient comme on voit la lune et les étoiles en plein jour -- des gens extralucides qui poussent leurs lecteurs dans des abîmes de réflexions, pour que vous en ressortiez en vous écorchant les mains à toutes les aiguilles des rochers. Et après, blessé, nu, abandonné à votre sort vous aussi, dites-vous que ce n'était qu'une fiction et que vous êtes indemne, mais ne vous voilà pas un peu méditatif et songeur, déjà?...ah, je le sens, vous commencez à philosopher à part vous même, vous vous demandez pourquoi l'héroine fait ça plutôt qu'autre chose, et oui, c'est étonnant n'est-ce pas? Vous voilà en route vers les insondables mécanismes de votre âme la plus profonde, en apnée dans une espèce de Grand Bleu du corps et de l'esprit -- bien loin de ces âneries d'hommes peinturlurés en bleu avec des ailes de chauve-souris que vomissent les écrans des cinémas ces temps derniers. En vérite, je me permets de vous le dire: si vous ne lisez pas, vous serez illisible vous-même,et inaudible par la suite, parce que sans langue, sans langage amoureux, religieux, délicat, passionné, vous ne saurez résister à aucune affection légère au début de l'hiver, car la littérature vous conforte, et vous rend bien plus fort par rapport à ce qui vous domine. Et voilà encore des tonnes de médicaments économisés. Et surtout ne me dites pas: oui, tout ça c'est loin du monde, ça n'a aucun arpport avec l'époque à la quelle nous, nous vivons. Pas plus tard qu'avant hier, j'ouvre mon La Bruyère, (un type qui donnait des leçons aux fils de nobles, un éternel petit job d'été, pas trop bien payé, quoi, mais qui lui a permis de prendre des petites notes sur la vie qu'il a appelées "Caractères") (en Folio). Et qu'est-ce que j'y trouve, vous n'allez pas me croire, au chapitre pouvoir: "La carrière d'un homme politique ne serait jamais si complète ni si réussie, si le peuple, dans sa passion d'être soumis à quelque chose ou à quelqu'un, ne faisait pas la moitié du chemin pour lui obéir". ET BOUM! pas mal pour un truc qu'on est censé lire à école. De la dynamite. Approchez-vous, oui, plus près... parlons-bas, plus doucement, là,...vous voyez cette page, oui, là, à gauche, en bas...là, ici, oui... ça parle un peu comme qui dirait des traders d'aujourd'hui, des gens à fric pour qui tout ce qui se vit se résume au fric, y compris votre misérable vie et la mienne, enfin celle de tous -- et bien lisez plutôt, et après ça vous n'aurez plus besoin d'une montre Rolex, ça je vous le jure:"Il y a en ce monde des hommes remplis d'affaires, de papiers, de procès, de stratégies, qui n'ont pas de famille, pas d'amis, pas de frère, pas de liens avec les autres, qui n'ont rien qui soit humain, âpres, laids, féroces, et au sujet de qui on peut se demander,à les voir faire, s'il est resté quoi que ce soit d'humain en eux, et si même ils appartiennent même à l'espèce humaine: ces gens-là ont de l'argent." Et RE-BOUM!!! Ce La Bruyère, moi, il me console et il me donne le moral. J'espère qu'il vous fera du bien à vous aussi, c'est un véritable antidépresseur qui ferait gagner des millions d'économies aux systèmes sociaux. Et puis il écrivait au temps de Louis XIV, on ne peut pas l'accuser d'avoir été un dangereux révolutionnaire, n'est-ce pas? Allez, prenez-en une dizaine de pages tous les soirs pendant trois mois, vous verrez, c'est un excellent reconstituant quand vous sentez que tout fiche le camp. Y a du Platon et de l'Aristote, dedans, deux merveilleux antioxydants, je vous garantis des effets dès les premières prises, et revenez me voir pour un autre livre si jamais ça ne va pas mieux! bonnes fêtes de Noël quand même, et bonnes lectures!
elevergois -- je dédie ce texte bien amicalement à mon ancien camarade de lycée, G.J. qui fut longtemps directeur de la Sécurité Sociale et toujours très actif dans cette branche, au cours des vingt-cinq dernières années, et à mon autre camarade de lycée, mon meilleur copain de cette époque, qui est actuellement President de l'amicale des Anciens de l 'IEP J.E . C. en leur adessant par l'intermédiaire de cette page tous mes voeux, en leur présentant mes excuses pour n'avoir pas imaginé que les trésors de la littérature réduisent et éliminent bien des maux moraux, et même physiques -- et donc peuvent contribuer efficacement à la réduction des déficits-- elevergois -- (texte protégé partout, et surtout au bord des charmants lacs que j'aime tant -elevergois - eric levergeois)