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8 juin 2012 5 08 /06 /juin /2012 09:35

L’enlèvement d’Europe est une de ces symphonies comme en propose Rubens, dans toute sa disproportion vivace, immense flux débordant brumeux et bouillonnant qui d’emblée dépasse toute proportion et franchit toutes les digues. Avec un génie particulier qui réunit et met à l’unisson les forces tremblantes des scènes mineures encombrées de présences, agitées, frémissantes, saisies d’impulsions étranges et concourant à élargir toujours plus ces dimensions fabuleuses, il se crée chez Rubens comme une mise en scène à grand spectacle -- la terre est soudain en proie à une ivresse sans fin. Il s’agit certes, ici, d’un tableau qui est une copie d’un Titien, la scénographie est la même,mais l’intimité pensée et illuminée de sagesse de Titien cède à la présentation d’un drame de peinture bien différent, et l’on aurait bien droit de dire: «arrière, Rubens tourne!» Les sources de l’imagination se libèrent en torrents toutes à la fois, on entre de plain-pied dans un ordre surnaturel qui, par l’agitation de la moindre parcelle de vie libérée, rehaussée, dépassent nos pauvres forces en ouvrant une sorte de ciel, de cosmos, de croisement sans fin de forces lointaines et saisissantes de puissance qui laissent intimidé et presque apeuré -- comme emporté par la prose hantée de Flaubert sous quelque muraille maléfique et obsédante d’une Salambô où le détail flottant au vent embrase l’ensemble. Le don de la vie en peinture, cette inspiration réalisée et continue qui inspire  à force d’insuffler force et puissance ne va pas sans recouper la mythologie du sujet avec une autre, une sorte de morale de la vigueur laissée au caprice d’une sorte de crue fabuleuse de l’inspiration. La plus petite unité visuelle fait effort avec celle qui est la plus proche, c’est un ruisseau qui se dévide sous nos yeux dans un fleuve qui court, saute, frémit et s’élance, et la première leçon à retenir, peut-être, ce sera  cette violence  de la pensée, égale des plus hautes visions -- retrouvées, réalisées -- de ce que la mythologie ancienne contenait d’effrayant.  Et un tableau comme celui-là tient plus du tragique en action que de l’image.

 

elevergois -- annexé aux voyages en Stendhalie et aux promenades sur les lacs -- se référer à ce lien: http://www.artliste.com/peter-paul-rubens/enlevement-europe-48.html -- (à suivre...)

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 16:04

 

nocturne n° 4


Cette atmosphère légère de conte de fées et ces miroirs dont les faces renvoient des profils entre rêve et réalité, c'est la douceur de la nuit surprise par le promeneur qui revient vivre, discret et comme invisible, les vies d'objets voyageant dans la nuit. Le silence est celui d'une mer étale, sans limites précises, si ce n'est cette douce émotion propre à chaque maison des bois qui signale qu'un grand fossé de frissons, de branches et de vents protège la nuit d'alentour et nous accorde la certitude que seuls des sons propices, des passages d'animaux reconnus, des vents familiers et des histoires sans masques ni sorcières seront là, disposés derrière les fenêtres si nous nous levons à l'improviste. Car la magie intérieure vient du grand large du dehors où rien ne pèse, des présages heureux que l'on devine en regardant vers le parc blanc de sommeil, vers les communs qui ressemblent à une demeure pour lutins, et vers les arbres retrouvant à ce zénith nocturne toutes leurs légendes protectrices. Il semble que chaque objet, ayant retrouvé sa destination magique et originelle, tente une approche plus intime au creux du silence, et nous les frôlons sans oser en déplacer un seul, car c'est leur versant inconnu qui pèse dans la nuit qui est la pure matière de ce silence et de cette stupeur songeuse. De la même façon qu'on ne voudrait pas, par le moindre souffle, déranger la musique que nous joueraient les doigts du pianiste au toucher magique, les pas que l'on peut faire dans la maison abandonnée au repos qui se pense et se raconte des histoires, ne doivent pas conduire au geste maladroit qui risquerait d'abattre le délicat château de cartes qui entretient ce silence, et qui semble aussi précieux et sacré qu'une prière dite pour elle seule par la  demeure où tout dort.


(Composé chez Pierre et Elizabeth de Montvallon 2006 -2008 -- Notre Dame D’Oë )

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17 mai 2012 4 17 /05 /mai /2012 12:26

Si nous avions un peu peiné pour nous introduire dans les arcanes de Kandisnky -- sur le mode de la perception première, celle qui n'est pas lestée d'érudition à dégoûter de tout -- Serge Poliakoff, peintre qui peut paraître à certains daté d'une époque, fut dès le premier instant une rencontre pleine de confidences, et la sensation bouleversante d'une vie déjà vécue! et notre attention fut absolue, exaltée;  il y eut presque un arrêt infime dans les battements du cœur. Comment parler de cette "Terre Originelle Retrouvée"? Nous voilà fasciné devant ces masses en lutte avec d'autres masses, l' espace maçonné, travaillé, avec des nuances de couteau, de truelle, de craie, de chaux, de surcharges qui divisent les tons et leur donnent une épaisseur qui se dégage et s'allie par rapport à une autre. Et puis, quelque part vers un centre jamais tout à fait exact, voici une ligne  de démarcation, une frontière, quelque chose qui tient des plaques qui s'affrontent sous les plus basses couches de la terre.  On est resté devant, le souffle coupé. Si l'on oriente la question vers le discours sur les couleurs, leurs oppositions, leurs contrastes, voici (en souvenir) un tableau très grand, vu dans une lointaine FIAC,  à plus d'un million de francs disait la vendeuse responsable aussi charitablement que si elle m'eût donné l'heure, et qui était  tout entier travaillé dans des tons de vert très léger et de crème -- et la magie opèrait encore.

 

 

Il faudrait penser à des cartes, à des continents qui viennent d'être découverts et replacés l'un après l'autre selon un caprice d'artiste qui pave le ciel de masses nouvelles, ou fait naviguer sur les océans des puzzles tirés d'une pangée qu'il brise à son gré. Il y a quelques années dans notre souvenir, dans le beau et calme musée Maillol -- toujours plein d'un silence de prières et beautés de crypte -- il y avait encore une présentation de toiles de Poliakoff à couper le souffle, notamment le premier à droite en entrant dans la salle: concert de bleus n'étant plus du bleu mais des grès, des granits, des aubes laquées, des sillons et des champs bleus de crépuscule, bref, tout un arc-en-ciel de bleus se joignant et se disjoignant avec les mêmes mouvements de glaciers qui luttent, le cœur de la lumière d'une couleur forçant sur la tonalité de sa voisine pour que l’œil la recouvre et s'en sépare selon ce qui est pour nous un mystère -- et aussi une obsession infranchissable. On est toujours bouleversé par le grain matériel de ces couleurs, leur insistance séculaire d'icônes ou de dolmens et qui cependant bougent ou bien aspirent à des rencontres, se poussent, s'attirent, luttent, se divisent et se joignent dans l'unité. Il y a quelque chose qui émeut et qui vient d'une profondeur des temps. Il ne serait pas inapproprié ou aventuré, d'ailleurs, de dire que toute œuvre importante conserve, sans qu'on sache exactement laquelle une mémoire, et une mémoire qui inspire. Un grand tableau, disons-le aussi, vient à nous, nous occupe, nous hante, s'impose et nous inquiète -- seulement, si grand que soit l'artiste, ce ne sont pas tous les tableaux qui assènent leur point d'interrogation massif, leur déploiement de fresque, leur décor étagé de toutes les profondeurs de  plain-chant et d'orgues, et qui nous jouent leurs plans sonores en nous saturant d'une émotion qui balbutie pour trouver ses mots. Probablement, les puzzles de continents colorés de Poliakoff ont créé et signé d'emblée un espace imaginaire qui attendait en nous, et à bien des égards, ils ont scellé une union sacrée (au sens ou Malraux emploie ce mot) qui indique une voie, une réalité autre qui est la vraie au-dessus de la fausse, et qui crée une possession totale.

 

 

Aimer ces éclats de pierre sur toile, ces plaques de marbre sombres clivées, ces pastels, huiles, estampes, refondus dans des couleurs d'alchimiste -- car la préparation des couleurs à la main, préalable connu chez cet artiste, entre sans doute dans la sorcellerie de ses œuvres -- c'est d'abord assister à de puissantes unions où les tonalités reviennent d'un ailleurs pour installer sous nos yeux ce qui est retable, lumière d'un être profond des choses, superposition "plane" , si l'on ose dire, de mondes dissociés qui relient des abîmes derrière cette banquise colorée qui colle irrémédiablement à l'âme. Et puis, si l'on est trop hanté par l’œuvre d'un peintre sans arriver au bout de des peines et en y usant toutes ses plumes et tous les arpèges du  "beau style", c'est qu'il y a encore plus, et qu'il faut aussi renoncer , dire de temps en temps que c'est un mystère trop profond qu'on ne sait pas sonder, et qu'on frappera toujours à cette porte sans qu'elle s'ouvre --dans l'amour des arts, il a aussi une admiration si proche de l'amour tout court qu'elle demande non des mots mais du silence, ou pour l'avenir peut-être, des mots de silence dans langue inconnue que nous n'avons pas encore trouvée.

 

Petites   variations   recommencées  pour  remercier  M-V. P. de nous avoir  si  gentiment  reçu  et  avoir  patiemment écouté nos élégies bousculées par l'émotion et le tempo, mais l'expérience fut intense, émue et douloureuse à la fois, étrange, peut être un peu embarrassée tant nous avions à dire... -- avec nos remerciements très sincères et notre vive reconnaissance-- elevergois -- (eric levergeois) --  un feuillet en couleur posé en marge des voyages en Stendhalie.  
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12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 12:19

Le bonheur d’être sur la terre frappe parfois à la porte, comme le vent frais du matin, il n’attend pas qu’on lui ouvre, il est déjà là, il s’assied il chante et répand sa lumière. Sur les champs de fleurs bleues dans le jardin, sur la courbe d’une jarre qui pose comme dans un Chardin ou une nature morte hollandaise, il y a la magie de cette présence qui s’éclaire d’un rayon de jour. Puis tout l’air contracté dans la pièce se détend, et comme un caillou frappant l’eau, le bonheur compose des cercles de plus en plus grands.  On voudrait avec Saint François, redire que ces oiseaux qui chantent sont un don surnaturel,  que ces lis blancs étirés dans le bouquet du salon sont des verres de Venise qui se dégourdissent, s’éveillent, deviennent eux aussi une part du miracle de renaître. Dans la cuisine, sur la longue table de bois, ces objets d’usage quotidien paraissent encore dormir, sous l’ombre versée par les poutres du plafond. Quelque chose d’inattendu ce matin bondit dans le cœur, nous sommes des passagers de ces instants qui soudain ralentissent le pas pour nous offrir une parenthèse dans le temps. Un arrêt complet, une image fixe, et cependant quel trouble! On ne regarde plus, on s’extasie devant l’objet le plus simple, qui exerce lentement son rôle de verre qui s’éveille, qui se remplit de lumière, qui bientôt allume celui qui se tient droit tout à côté. Le grand sapin qu’on voit au loin monter la garde sur la prairie est rempli de chansons. Le ciel où circulent des caravelles de nuages n’a pas encore toutes ses couleurs, mais il glisse comme une mer de tons acides et frais, coupants comme un cristal. Quelle merveille que d’être là, et de savoir comprendre la part la plus infime de ce tableau du jour que les âmes poétiques du monde recommencent à tisser! Joie infinie de tous les départs concentrée dans un calice de fleur qui tremble encore de froid ou de peur. Avant que le bruit, le tumulte quotidien n’aient repris leur travail, effacé les fines nuances qui lient les fils du monde, nous avons fait un tour à l’orée  de la journée qui nous communiquait ses miracles, comme adressant à toute chose des paroles d’oracle ou de poète.

 

 

Aux amis encore attentifs, et naturellement aux admirateurs des rives des lacs italiens, en Stendhalie, of course - elevergois - eric levergeois -" excusez les fautes de l'auteur" - avril 2012 -

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6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 18:48

Cela se passait disons, vers...1970, après les guerres du siècle.

 

Jules était camarade de collège, de révisions, de Jim le dégingandé qui élaborait des théories scientifiques en grandes phrases latines. Ils n’étaient pas faits pour s’entendre, ils étaient comme nés en même temps, de deux mères ayant  des pensées  communes. Aussi étaient-ils plus qu’amis, et comme jumeaux en débats interminables sur la révolution.

 

En attendant qu’elle arrive, ils prenaient soin de regarder par la fenêtre si le grand soir arriverait, et ils couraient les filles -- ou plutôt la beauté. Les femmes,  la beauté, les cheveux, les formes, le nu, le vêtu et le dévêtu avec tous ses degrés, étaient matière à vertiges. Jules allait droit au but, heureux de perdre ou de réussir, il fallait qu’il fasse. Jim allait plus lentement par certains longs méandres par où, comme infusant dans le profond liquide des théories, passaient ses décisions toujours mûries. Et puis, arrivaient les grandes questions des jeunes hommes: blondes et brunes, latines ou nordiques, intellectuelles ou lascives, tout cela nageant dans les débris du big bang féministe.

 

Jules avait grandi dans un pays latin où pesait la religion et les intrigues de couloirs sombres -- Jim, lui, croyait à Voltaire, Rousseau, Montaigne, Marx et accessoirement aux épaules nues qui s’exposaient au Luxembourg. Il croyait aussi, très naturellement, à la magie du verbe. On fumait, on buvait, on portait des vêtements copiant des tribus, tandis qu’eux avaient pris le virus du dandisme dans un voyage à Venise payé par la mère de Jules. A vrai dire, ils n’en revinrent jamais: Jules fit là-bas la conquête d’une belle architecte, et Jim s’enticha de la fille d’une comtesse lors d’un dîner prié qu’ils obtinrent en vrais escrocs. L’une était blonde, l’autre brune et Jim s’évertuait à redire que les brunes sont plus proches du masculin, réelles, et les blondes irréelles.

 

La discussion qu’ils eurent au retour sur les mythes soutenant les deux genres de beauté fut épique. (la suite, ce sera ensuite)

 

Par un amateur des lacs italiens elevergois - le blog elevergois.com -- eric levergeois -- au restaurant stendhal sur le ramo del lago di Lecco.

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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 16:08

C’est  un pont courant entre les roseaux qui montent la garde dans le brouillard, un pont déformé par le climat humide et qui va on ne sait où -- ou plutôt si: il va se fondre au loin dans une sorte de rizière, une fin de lagune sombre où les barques touchent le ciel.  Au premier regard, c’est un chemin de bois qu’on voit, un sentier de nostalgie qui permet au marcheur des landes grises, des matins irréels et autres paysages d’humilité, de circuler au-dessus des eaux mortes. Comme la vase tord à sa guise les planches et les pilotis, on  pense d’abord à ces canaux où les fleuves se divisent, aux petits matins où l’âme se pend, et puis l’eau, la brume, la forme de la longue passerelle s’infinisent -- renaissent alors des scènes de Faulkner ou de Conrad,  ou bien les cachettes de Huck Finn, car les livres sont pleins de scènes «culte» comme on dit de nos jours, bref cela ferait un beau décor pour pages de visions cachées. Mais  le tableau photographique a une légende:  il illustre un article sur la fin de la poésie.

 

Là-bas au bout de la passerelle traçant son serpentin sur les grandes lances des herbes pleines de froidure et d’eau glacée, il faut s’imaginer que l’écrivain a voulu dire que la poésie touche à sa fin. La nostalgie et les vertus de l’amour touchent à leur fin, l’imagination des faiseurs d’épopées touche à sa tombe ultime, et si les photos sont le lieu qu’elles ne sont pas, celle-ci qu’on a tirée du point du jour est simplement l’instant du passge final vers le vide.  

 

C’est le matin où sonne le glas. La passerelle de la poésie s’en va courant entre des arbres sombres, tout ce qui surnage s’ophélise en oripeaux de deuil, et le chemin de planches bâti à force de courage et de fantaisie, s’en va vers un lieu sans lumière où dansent des âmes de disparus. Et ce pont disparaît avec elles, plus loin, dans un on-ne-sait-où, pas loin du je-ne-sais-quoi déjà célèbre, simplement et à petit bruit, désirant s’effacer de soi-même, comme les temples qu’on ne peut même pas piller, parce qu’ils sont bâtis dans des ciels d’imagination, les pieds touchant l’eau et la tête perdue entre des ombres blanches, avec deux yeux de bruine légère, grise et diamentée.

 

(elevergois- eric levergeois- toute ressemblance avec des paysages tirés des rives du Pô n'est peut-être pas fortuite -- tous droits protégés par mon colt -- elevergois.com -- un salut aux stendhaliens amoureux des rives des lacs) -elevergois.com

 


 


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19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 08:04

Ils viennent de plus en plus souvent à nous,  ces livres projets, livres-boîtes-à-souvenirs- ou meubles à tiroirs de sensibilités estompées et revécues,  herbiers du Temps Retrouvé à peine secs, dont la simple parution nous fait penser que le vie avant 1960 exista et eut une suite, ce qui est déjà un exploit.

 

Au premier alignement des grains de ce «sel de la vie», on hésite un instant, puis derrière ou entre l’aspect évident d’un certaine mémoire des sens qui ne ment pas, on voit se dissiper la brume d’un style qui se répète pour y retrouver les accents de (pardon de reprendre ce titre) «Tout un monde lointain» comme une réminiscence de Dutilleux pensée différemment. Et dans la boîte à ouvrage de ce livre, on s’aperçoit que reparaissent des sensations millésimées, des souvenirs estampillés de films, des chocs de civilisations présentés à mi-voix-- sans oublier, le côté cinéphile: ainsi pour noter l’aspect gauche de Henry Fonda esquissant un pas de danse sublimement maladroit dans My Darling Clementine de John Ford, sorte de détail sur quoi la mémoire roule, a roulé plus d’une fois comme une lame pour s’affiner.

 

Retours de voyages, ethnologie, pays auprès desquels notre mode de vie oppose la grandeur de son vide sans limites, parfums, sons, et aussi des pierres blanches dans le jardin de ceux qui le savent aussi: la course de Trintignant autour du port de Nice et dans La course du lièvre à travers les champs, oh, oui! -- nous voici dans le déroulement d’un fuseau de mémoire d’où le fil se tire avec des choix simples et soudain des soies beaucoup plus fines, permettant de s’interrompre et de recommencer. D’ailleurs c’est ainsi, (à moins que la sibylle d’un magazine féminin à grand tirage impose aux gogos le mode d’emploi de ce livre), c’est ainsi, dirons-nous, en cherchant quel usage sensible de ces fragments, de ces ligaments ténus avec lesquels on trame sa mémoire, en les sélectionnant un  par un, qu’un lecteur-passant, croisant ce livre-passager qui va d’un bon pas en mâchonnant les avoines folles du chemin, qu’on découpera chaque sensation-souvenir pour la coller ou pas dans son herbier personnel. Car la sensation a un destin, qu’il s’agisse des chats dans les paniers ou des Rembrandt, dont malraux nous a dit un jour qu’ils avaient le même principe.

 

Ce livre est une collection de  moments à expérimenter pour en essayer un "usage du monde" à soi, l'échanger avec ceux que l'on pense être des amis, et qui le sont sans doute par quelque signe de reconnaissance croisé dans ces sentiers. Fugitifs, à demi effacés, nostalgiques à la façon discrète d'un Fauré, et donc bien dans la lignée du je-ne-sais-quoi qui reste bien depuis qu’un certain philosophe nous l’a révélé, l’infiniment grand de ce qui paraissait transitoire.

 

 

Le Sel de la vie -- Françoise Héritier éditions Odile Jacob -- 6,90 euros -- elevergois -- eric levergeois --  adorateur impénitent des lacs italiens entre 1800 et 1930 -- et au-delà.

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15 mars 2012 4 15 /03 /mars /2012 11:54

 

Vous n’apercevrez jamais la silhouette de l’Institut Polonais, posé au bord de l’eau comme une tour de guet d’un autre siècle sans vibrer pour toujours de vies d’artistes, sans avoir quelque nocturne dans l’âme, et quand vous monterez l’escalier  vous ôterez de vos épaules cette soie de musique entendue en rêve, mais en vain: les murs, les salles  les parquets sont gorgés de sons lointains, d’échos de voix lisses et de gestes graves comme en font les héros. C’est là que vous plongerez dans le fleuve large du passé tant de fois brisé et pourtant toujours droit, et stoïque, et fier. Et puis vous vous assiérez sous la lumière  d’un salon où La Poésie va venir, et elle viendra, précisément, car elle vient toujours ponctuellement  quand c’est une reine absolue qui vient vous en souffler quelques lignes. Wislawa Szymborska, (que mon esprit de camaraderie lie toujours à l’amie sensible qui l’a traduite, et que j’ai la chance de connaître un peu), au milieu «des voix chères qui se sont tues» tout à coup prend son espace, et se récite,  se déroule, et pour une fois on a le vertige en regardant simplement passer le sommet perçant la brume et l’intensité. Il y a comme des murs de musique grise qui montent autour de nous, on meurt mille fois d’une pointe ou d’un trait portant comme un baume qui voudrait nous réveiller un demi-ton plus bas, un demi-ton plus haut, et l’on entend des cors très loin dans le treillage obscur d’un automne plein de branches -- on se retrouve dans le léthé d’un estuaire qui ne promet plus la mer, mais qui ose encore en prendre quelques vagues, quelques gouttes entre ses mains, et la chérir et la penser. Frapper à la porte de la pierre, oui, bien des gens connaissaient ce poème, bien des gens connaissaient le poème d’Héraclite, celui des poissons, et des poissons nés de poissons (je cite d’émotion et de souvenirs sans ordre) et cependant j’ai retenu quelque chose comme «j’ai entendu ton coeur qui ME bat» et la mort «qui ne sait même pas faire son travail» -- et j’ai suivi l’histoire d’une écriture en ruisseaux fins et célestes, au mouvement de pendule léger, aux écarts d’ironie douce qui renverse, et ces pièces qui sont des impromptus, cristal qui passe et cependant cristal de chair -- car pour espérer ainsi en équilibre au-dessus du vide, cette poésie n’est pas moins humaine, et chair de la main qui tient la main de cette âme qui avec Wislawa Szymborska se découvre en train de suivre les lignes, une par une, grain par grain, --et comme entourés de Montale, Dante, ou du Tasse, on a fini la soirée comme une clepshydre sans eau ou un sablier sans sable

 

 

 

(Merci aux organisateurs et à Mme Marcor Filarska -- merci aux muses qui filent ce temps-là -- et toujours un salut aux vents subtils  des lacs italiens - elevergois - eric levergeois) --

 

NB. La poétesse W. Symborska, Prix Nobel de Littérature est décédée à Cracovie le 1er février 2012.

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9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 08:09

Après avoir récensé le très beau disque d’Alexandra Silocea dans Prokofiev, une curiosité retrouvée nous a fait arpenter les rêveries des plus grands interprètes ayant joué cet artiste, et nous avouons, devant la pétillante, transcendante et sidérante version de Guilels dans la sonate n° 3, qu’un transport d’émotion nous interdit presque d’écrire.  Comme souvent Prokofiev est tonique, bondissant, tellurique, russe pour tout dire! rassemblant tout un courant d’énergie humaine devenue tempérament et fulgurance, car ce morceau de huit minutes est de la foudre, même si jeux et confidences et rumeurs mélancoliques, et parfois hautes notes  détachées, créent des éclaircies de calme dans l’allant de la virtuosité vertigineuse qui bouscule tout.


Que d’avenir dans cette musique! que d’intuitions dans ce morceau presque venu des sommets pianistiques, vraie pièce de roi pour les plus grands virtuoses! A n’en plus jamais douter, Prokofiev est un animateur puissant, mais aussi un univers qui se récrée, s'engendre et se féconde, et sa musique aux thèmes reconnaissables par leur parenté et leur unité, découle d’elle-même,  présence et jus vivifiant d’une grappe captant soleil, danse, folklore, rythme obsédant qui tout à coup se surpasse jusqu’à des explosions maitrisées et si lumineuses pour la pensée. Quel voyage, quel bonheur, quelle extraordinaire traitement de cette force d’un  nouvel  homme  centaure moitié homme et moitié piano!

 

Ce qui nous subjuge ici, avec bien sûr les miroitements chromatiques qu’en tire un Guilels impérial et maîtrisant tout, c’est la curieuse logique des reprises de thèmes, des chemins en lignes brisées qui parfois sont contigus, puis comme juxtaposés, et sont cependant l’art quintessencié de Prokofiev: des salves de notes illimitées; comme physique s'élévant d'un bond jusqu'au ballet souverain,  un tête -à- tête de défi avec les possibilité du piano, qui  aboutit à une sorte pyrotechnie apparente qui a l’air de s'exténuer -- puis le compositeur puise en lui même un trésor inestimable de joie, d’exutalation jamais gratuit ou morbide, dont il sort comme en projetant l’ instrument dans des courants de douceurs fragiles qui font patte de velours, caressent, apaisent, préparent au prochain éclair avec cette rêverie -- décidément, comme nous l’écrivions à Mme Silocea, il y a un lutin shakespearien plein de tours dans son sac, un Puck, un Ariel, un Prospero voleur de magies chez Prokofiev, et bien d’autres mystères -- tellement que cette sonate mériterait un poème en prose ou même un livre entier. Que peut-être nous allons faire tant ce compositeur nous émerveille par le ballet fulgurant de ses notes sur le clavier décidément transfiguré.  

 

 

(suite de cette Proko-fièvre  très bientôt dans ces pages - le disque d’A. Silocea à qui nous devons notre réveil pour le grand compositeur est sur amazon, sur france Musique, et sur amazon.co.uk (disque AVIE) -- bonne écoute! -- eric jean levergeois - elevergois) -- pour Guilels, you tube et en couleurs, c'est comme ça sans doute une seule fois par siècle!) -- le blog elevergois - eric levergeois, rêveur des lacs italiens.

 

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25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 11:39

Comme pour anticiper sur le début de la FOLLE JOURNEE de Nantes toute consacrée à la musique russe dans une semaine (01/02/ au 05/02/), dimanche dernier nous voilà surpris dès le réveil par un extraordinaire exploit musical diffusé par france-musqiue: cinq sonates de Prokofiev sur un «premier CD" (nom de l’émission) où s’illustre la jeunesse et la force d’Alexandra Silocea. On dit que le monde passe? non, il renaît toujours, et les jeunes pousses des pianistes ont l’éclat absolu d’un rayon sur une lame. Voici  les  accents  vifs, les pulsions, les élans de la seconde sonate de Prokofiev, et aussi ses lents  dégradés pleins d’ombre,  nous  interrogeant  toujours  sur  cette écriture  vive  et jaillissante qui doit ici composer avec l’espèce de chemin de prières que propose le troisième mouvement. Brillamment renaissent ces lentes brumes sur la campagne, rapportant à l’esprit un monde de rêve, de voiles lointaines, d’aubes de craie, de tableaux aux couleurs primordiales où la création s’est recueillie.

 

Et puis nous avons vu -- dites, «étonnants voyageurs, qu’avez-vous vu?» dit le poète -- le tourbillon du pays de cocagne du quatrième mouvement du même morceau, qui tout en  renouant  avec  le thème initial,  s’en  joue  en mêlant la même grande force,  la sonorité de cymbale de certaines notes frappées,  et  puis la course heureuse d’un vent dans la campagne; -- quelque chose qui fait toujours penser aux quatre fées des pièces pour piano de Cendrillon, (surtout la fée Eté et son mouvement de berceuse ) la réunion et la danse des thèmes exigeant cette élégante vitalité visionnaire. La pensée créatrice de Prokofiev danse, et Prokofiev rêve, médite, réveille le monde dans un ballet de notes  qui le renouvelle sans cesse.  Elle exige de ses interprètes profondeur, rêve et joie visionnaire.  

 

 

Alexandra  Silocea,  qui vient de sortir ce disque entier consacré au pièces de Pokofiev -- incarne cette impatience, ces tours et détours de l’imagination procédant par bonds et confidences en lignes apparemment brisées, mais qui gravent au coeur un désir de liberté constant, allant tour à tour glaner sur des tonalités hautes et comme ludiques, puis sur des mélancolies appuyées, avant que ne passe et repasse cet élan d’hirondelle, cette inspiration de souffles composites et presque juxtaposés comme un collage de rythmes. Alors, Prokofiev est comme une fontaine d’inspiration, une source de formes qui s’unissent et se reproduisent selon une magie où glissent subtilement inventions mélodiques et cadences qui éclatent.  

 

Dans la troisième sonate, diffusée le même matin, un long morceau d’un seul élan orageux où la virtuosité de lutin shakespearien du compositeur se donne libre cours, l’artiste-interprète s’identifie et s’incorpore pleinement à cette musique, avec une fougue, une force digne d’arpenter tous ces territoires joyeux et inspirés, puis caracole, s’entête, bondit et restitue cette merveilleuse leçon de vie qu’est l’oeuvre du grand Serguei.  Le disque d’Alexandra Silocea réussit ce prodige. Instrumentiste qui a reçu moult «Victoires» de la musique classique en maint pays, originaire de Roumanie, déjà en vedette au Musikverrein de Vienne et à Carnegie Hall (sa bio figure sur : www.alexandra-silocea.com) elle surgit ainsi avec ce premier disque (chez AVIE), inspiré, disponible sur fnac et amazon et, c’est à souligner, voici un vrai Prokofiev par une artiste contemporaine.  -- N’oublions pas pour autant que c’est bientôt la Folle Journée (d’âme russe) à Nantes, et rejouissons-nous du torrent d’émotions musicales de la fête promise.

 

(extraits du disque d’A.Silocea)  http://sites.radiofrance.fr/francemusique/em/jeunes-talents/emission.php?e_id=80000063  Le disque est disponible sur amazon et fnac, mais aussi en téléchargement pour les plus impatients d’écouter l’incroyable troisième sonate -- oeuvre qui mériterait tout un livre à elle toute seule.

 

Avec toutes nos pensées toujours très musicales qui courent vers les lacs italiens et nous font rêver au soleil -- elevergeois-                                                                                                

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