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28 mars 2018 3 28 /03 /mars /2018 14:54

 

Le sommet de leur entente passionnée fut même couronné d’une joie secrète -- qui ne dura que dix jours -- et qu’il reçut avec un trouble et une émotion au-delà de laquelle on ne raisonne pas. Se serrant très fort contre lui, un matin, elle lui annonça qu’elle avait attendu bien longtemps: pour la santé d’une femme, murmurait-elle, cela faisait un peu trop de semaines à son avis; à force de s’aimer si follement un accident allait arriver «vous comprenez ce qui peut se passer?...il est possible que j’attende...»  et à ce moment-là  ses yeux se remplirent de larmes. Elle tenait nerveusement le revers de son manteau, puis soudain, relevant la tête, souriant et pleurant d’émotion à la fois, elle le regarda droit dans les yeux, lui dit d'une voix de l’âme : «c’est peut-être un enfant de vous, je ne suis pas sûre...» A la voir pleurer ainsi, tendre, fragile, dans la dévotion totale, il en fut bouleversé-- il sentit une ivresse, un souffle de folie et de grâce le traversa, le rendit un peu responsable d’elle parce tout cela n’était plus parallèle à la vraie vie, sans issue et interdit de tous les côtés; ils en parlèrent longtemps, comme deux adolescents pris en faute; il n’arrivait plus à détacher ses yeux des siens, de son regard si tendre troublé par les larmes, qui signifiait : même s’il faut affronter les pires tourments, je suis prête. Ils eurent l’impression d’être deux très jeunes gens qui font des plans sur la vie, devenant enfin  à la face du monde peut-être, et enfin! un couple qu’on croise dans la rue, libre et heureux.


Il était émerveillé de comprendre tout à coup que leur bonheur s'élevait jusqu'à l’impossible, qu’un avenir inconnu s'ouvrait car ils étaient passés du rêve au réel ; avec leur sensibilité souffrante et exaltée, ils devenaient comme justifiés. Ce bonheur fou leur rendait la vie la plus vraie; plus rien qui fût volé, désormais, plus de vagues folies et des songes mais une preuve, une raison qui n'était pas la suite imaginaire, scandaleuse et toujours menacée par un petit esclandre parisien; cette vie qui s'annonçait peut-être leur donnait un droit, même un peu bizarre, (Dolly avait un fils de Charles-Edouard) ; après six mois de rencontres cachées comme celles de partisans toujours aux aguets, tout à coup c'était comme s'ils avaient une histoire à laquelle ils ne pouvaient plus renoncer – que le monde des arts, de l’industrie, de la déco, des meubles etc. enfin tous seraient obligés de reconnaître – cela ferait le plus beau scandale du monde, certes, mais cela signifiait, en transformant dans ses mystères le corps de Dolly, quelque chose d’émouvant qui le torturait.

 

Elle resta très longtemps ce jour-là. Ce n'était plus « une minute de plus » mais une matinée faite de moments magiques : elle n'avait soudain plus  obligations, ni rendez-vous, ni travail ni plus rien d'autre à faire que de rester auprès de lui. Il tenait sa main, caressait sa peau comme celle d'un enfant qu'on calme, qu'on rassure ; il regardait ses yeux brillant encore de jolies larmes, et sentait sous ses doigts palpiter la présence d'une possible continuation de leur incroyable passion ; quand ils étaient ainsi silencieux et recueillis, il pensait qu'aucun amour ne pouvait être comparé à ce qu'ils vivaient ; elle était sa sœur, son amie sa maîtresse, son héroïne de Racine, sa damnation ; il imaginait aussi qu'ils étaient comme de ces couples de fugitifs qu'on voit au cinéma, ceux qui opposent une entente passionnée et fatale à la loi, qu'une justice de western vient abattre à coups de feu et qui tombent enlacés du haut d'une falaise avec un grand cri, véritables amants maudits ; mais c'était simplement elle, elle et lui, avec un seul cœur pour deux et une même vie. Toujours tient dans l'espace de quelques secondes qui ne reviendront jamais. Il essayait de ne pas le montrer, mais il vacillait, une grâce inattendue parachevait leur amour tombé du ciel. Ainsi, elle pouvait être sa femme, d’une façon absurde et clandestine --  mais non, dit avec ces mots-là c'était beaucoup trop simple ; elle était déjà plus que cela, bien plus qu'un amour né de façon sauvage et qui les entraînait dans ses remous – il avait conscience, quoi qu'il pût advenir, qu' ils possédaient, comme le disent noblement les phrases finales des contes: un amour comme il n'en eut jamais de plus beau sur la terre.

 

 

par l'amoureux des lacs italiens toujours plongé dans la lecture de la Chartreuse et de ses rebondissements pleins de l'esprit du grand auteur -- par eric levergeois -- ou elevergois.com --  en écoutant le bruit de la petite lame qui revient se briser sur les rives, bruit qui mesure l'éternité de certains bonheurs -- tous droits déposés et protégés à triple tour.

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20 mars 2018 2 20 /03 /mars /2018 19:57

 

Attendre Dolly lui prenait tout son temps. C’était souvent aux Tuileries qu’ils se retrouvaient, même s’il se postaient plusieurs billets par jour: des mots tendres, des excuses, des douceurs écites sur un coin de cahier déchiré pour lui, et pour elle le revers d’une lettre commerciale aux importateurs de tissus de Hambourg, Rome, Sofia, ajoutant au bas de la page, comme une adolescente enfin libérée, l’empreinte très appuyée de ses baisers avec le rouge de ses lèvres. La vie passée loin de l'autre était insupportable, il leur fallait s'écrire à tout moment. Plus ils ajoutaient de signes, de traces, de pétales, parfois même un timbre étranger, une silhouette au crayon noir ou des morceaux de feuilles dans les enveloppes, plus cela semblait excessif, exagéré, un peu déplacé, mais tout cela voulait dire : je pense à toi à tout instant ; et ces pense-bête constituaient à la fin une sorte de vie cachée dans la vraie, une petite boîte dissimulée dans une plus grande ;  avec des souvenirs pauvres pour se faire une vie à eux seuls, une vie un peu misérable, mais qui leur semblait un paradis. 

 

Au milieu des allées du grand jardin, près des bassins, elle lui parlait des salles de concert de Vienne, elle lui racontait combien elle aurait aimé que son fils soit avec elle, près de lui, «s’il avait un père comme toi, est-ce que ce ne serait pas pareil ? demandait-elle, souvent il me semble que si...» -- mots douloureux qu’il recevait comme de l’espoir et qui étaient une gorgée de poison;  elle lui donnait des cartes de son Autriche adorée, feuilletait ses catalogues, discutait peinture, lui lisait des lettres de sa mère, étalait devant lui toute sa vie privée comme s’il pouvait jamais y jouer un vrai rôle – c'était un désir réel mais aussi l'aveu d'une impossibilité cruelle – alors que son ami Nathan, (il avait quitté la prépa des concours d’art pour faire de la philo) prêchait à Albertus le contraire: «réfléchis donc, tu n’es rien pour l'instant, tout au plus une distraction pour une grande bourgeoise: le vrai mari, lui, gagne beaucoup de sous, il l’emmène où il veut, quand il veut,  dans «leurs» familles, tandis que toi, même en étant le plus beau diamant du monde... Nathan voulait dire: « on ne va pas chercher un diamant dans un bar tabac...avec tout le respect que j’ai pour toi »-- tu n’es pas un produit de luxe estampillé. Ces unions-là se construisent entre familles du même niveau...ta noblesse à toi n’a pas de blason!» Il était sûr que tout pouvait s’écrouler d’un jour à l’autre, même s’il y avait échange de poèmes d’Hölderlin, Trakl, de  serments répétés chaque jour ou presque --mais Albertus ne pouvait pas comprendre.

 

Ils regardaient les bassins avec les mamans et les bonnes d’enfants, assis souvent sur des chaises en métal, dévorant des sucreries comme deux collégiens qui vont être pris en faute tôt ou tard -- mais c’était sans doute l’ardeur de leur passion  et les menaces qui pesaient qui faisaient d'eux des amants torturés et pas un vrai couple -- d’ailleurs parfois, quand elle retombait dans ses bras, c’était peut-être l’ivresse d’être avec lui qu’elle recherchait, sa dose de folie  ou d'opium pour une femme voulant exalter ses sens, oublier sa vie jusqu’à perdre la tête ; mais elle n’eût probablement pas confondu les écarts d’une femme vivant sa vie parallèle, discrète et bien cachée, avec la vie de ses salons, ses réunions professionnelles, ses diplomates et ses financiers -- même si parfois elle prenait des risques fous pour toquer à sa porte à trois heures du matin, juste l'instant d'un baiser, ou dans un aéroport, confiant à un passager qui s’envolait vers Paris un «dernier petit mot» sous enveloppe ; d’un geste discret et mystérieux que l’intermédiaire étranger faisait suivre, en le postant dans la première boîte trouvée en sortant de Roissy. Car c'était vrai, elle était triste de partir, elle était triste d’être loin, et elle lui écrivait de partout qu’elle l’aimait.

 

 

par l'amateur des lacs toujours émouvants de la Stendhalie -- eric levergeois -- qui songe aux heures délicieuses que la duchesse passait avec Fabrice sous les regards furieux du comte Mosca -- un salut à tous -- elevergois.com -- tous droits déposés sous cofffe en métal et pierrieries, naturellement. (à refaire ici sans doute - excusez le fautes de l'auteur)

 

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2 mars 2018 5 02 /03 /mars /2018 22:21

Sa vieille amie Blandine l’avait un peu compris; un jour elle lui avait désigné une femme à la silhouette  élancée, style bourgeois, fine et distinguée, ouvrant l'espace devant elle; un charme d'adulte mal épanoui, encore masqué par l'enfance en boîtes huppées et les années "rallyes", mais elle rayonnait d' un raffinement pour initiés; une graine de beauté poussée entre la rue Boissière et les hauteurs de Passy ; d’une élégance très étudiée jusqu’aux bottines, l'air branché et le visage de sportive racée -- il attachait ses regards sur cette passante au  style de  vieille roche, avec sa démarche retenue mais souple, semblant porter sur son joli front: libérez-moi-de-l'ennui-ou-je-fais-un-désastre; pour l'amie Blandine, cela faisait très artificiel, et surtout luxe factice. Elle n’avait pas totalement deviné son obsession, mais elle voyait bien que depuis des jours il était changé; elle le sentait souvent inattentif, trouvait son visage marqué, l’air exténué. Lui en faisait le reproche, elle le taquinait souvent sur ses «Anges Bleus», ses "lubies de Vieille France" et utilisait toute son intuition de femme souvent amoureuse pour percer ses secrets. Les amis proches nous traquent, ils veulent ouvrir tous nos tiroirs, par gentillesse dit-on, quitte à tout renverser. «Mon cher Albert, ce ne serait pas ça, cette image élégante qui passe, ton modèle, toi et ta folie des lignages, ta comtesse habillée en vitrine de chez Dior? te voilà de nouveau dans les films noir et blanc classiques, et encore entre les griffes d’une perle du gotha... Tu n’es pas de ton siècle! Tu sais ce que dirait notre prof d'art moderne (elle imita la voix nasillarde): je décèle une antique facture de Figaro Madame,  un fond de Vogue, une patine de vieux thé russe-- et dessous, un petit vernis de Lartigue, des silhouettes de Brassaï ou de William Klein, plus les plages du Pilat et des propriétés sur la Côte Basque – tu sais, « l'atmosphère famille» des étés pour les vacances "tradi" : on joue à des jeux tartignoles entre cousins tous croisés dans le même pensionnat... on fait du croquet, des duels de ping-pong, il y a des engueulades feutrées au fond de la roseraie, bref la totale... j'oubliais la bonne d’enfants écossaise, et si tu en veux plus, les piles de bagages de marque, enfin tout.»

 

Dans sa panoplie blanc-bleu, Blandine oubliait qu’elle-même et tous les siens hantaient Louveciennes, Croissy, Chatou, fiefs de fortunes solides sur leur pré carré. Il se mit à rire. La toisa d'un air dégagé. Il ne voulait pas répondre directement, comme à tous ceux qui ne touchent pas juste mais  visent assez près du but pour qu'on évite de répondre directement. Elle ajouta: «J’imagine, en plus, deux ou trois mariages, l’ ennui domestique, la préparation des soirées dans le monde ...bref, il a fallu qu’elle se jette sur un beau et jeune poète élégant, bohème, artiste... un ténébreux tragique comme toi!...avec ça, on se demande qui va te donner ton concours à la fin de l’année.» Il lui sourit simplement, un peu gêné. « Ton tableau  fait un peu trop « Neuilly-Auteuil-Passy », le pittoresque du Pilat ou la Côte Basque Second Empire, c'est un peu usé:  église, gants blancs et sommités officielles, tromperies classiques derrière les bosquets, c'est du pur ennui mondain; un truc pour les  magazines ou pour les films de Chabrol; et pourquoi pas des tailleurs Chanel et l’hôtel Crillon pendant que tu y es? tu nous fais une mauvaise télé... »

Il resta silencieux car on le prévenait du danger, mais lui n’y pensait pas. Et surtout, lui faire la moindre peinture de son secret obsédant, raconté par la voix d’un tiers, tenait du sacrilège. D’ ailleurs dès qu’on abordait le sujet il se disait que cela ne tenait pas en mots; ce qu’il sentait était magique, peut-être caricatural, mais infiniment beau et douloureux. Et il aimait sa prison. Cependant, l'attirance pour les comédiennes,  les silhouettes gracieuses de la seule grâce qui compte, les beautés renversantes et bien nées, le je-ne-sais-quoi qui sonne l'accord parfait de la distinction dans un visage, les femmes qui parent leurs vêtements et non le contraire, tout cela jouait dans sa tête avec les beautés du Titien, les études de portraits italiens, une suite de visages vrais pris dans la vie et dans les arts; et il retrouvait son chemin dans les bois en se souvenant, comme on l'a dit avant lui, qu'il y a des femmes qui marchent avec du génie. Mais que répondre à l'amie qui veut tout savoir?

 

On peut communiquer le sens et l’origine d’un amour, décrire une personne, mais parler d’une telle hantise, d’une liaison qui rend fou, qui rend l'éloignement tragique, c'est impossible. Alors, pour ses amis et connaissances, Albertus avait décidé de jouer le personnage d’amoureux préoccupé tel qu’on se l’imagine. La majorité des passants de cette vie ne mettent pas leur génie dans leurs passions, et d’ailleurs en ont-ils ? Les rituels qui accompagnent ces médiocres aventures sont souvent le «menu tout compris» du sentiment tel que l’époque les imagine et les rapporte dans la presse et les feuilles de journaux franchement niais. Certes, il arrivait aux cours en retard, il ne savait plus quel jour on était, on le trouvait bien trop souvent au téléphone quand on l’appelait, et c’était bien suffisant pour que les amis se disent qu’il avait une amourette au long cours. Mais non qu’il fût dévasté à ce point. Qu’il eût laissé entrer chez lui, débordé, renversé par un tel torrent d’émotions, un être absolument sublime; c’est bien ce qui était inconcevable pour ses amis et dont il n’osait pas parler. Son attachement pouvait seulement se penser au-delà des limites du bonheur; il n’était pas constitué de simple ivresse, il le dotait d’une pensée et d’une raison qui lui faisait embrasser le monde, les arts, certains détails pressentis aux confins des possibilités humaines; tout cela avec une clarté qui n’avait pas d’autre issue que, tout bien réfléchi, rester silencieux. Il ne pouvait pas aimer plus. Il ne pouvait rien aimer  d’autre. Il ne pouvait se supporter autrement.Il ressentait une telle tension que si un jour sa vie était privée de  cet enfer, il  serait détruit.


 

par l'amoureux "veuf de", et "éloigné des" lacs italiens qui ont l'air de geler ces derniers temps, mais qu'importe à Fabrice et à la comtesse qui y voguent et y jouent...enfin voilà. elevergois.com , con altre parole: eric levergeois -- tous droits missous plis, rangés et cachetés, bien sûr.

 

 

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24 février 2018 6 24 /02 /février /2018 20:27

 


Un jour elle arriva à l’improviste, frappa en tambourinant et referma vite la porte. Son visage était étrange, elle respirait fort, elle ne pouvait s’asseoir, ni l’embrasser. Elle le regardait apeurée. «On te suit?» dit-il. Non, non, fit-elle, mais c’est pareil parce que je l’ai cru et tout d’un coup toutes ses folies que nous faisons me sont montées à la tête; tu sais je vais finir en enfer, ça n’est plus possible...Elle avança ses mains pour attraper les siennes, il la sentit crispée et malheureuse. «Ma grand-mère, autrefois, me disait que j’allais finir en enfer» murmura-t-elle, et elle se mit à pleurer très doucement. «Elle était presque princesse, cette femme...» Elle se pinçait les lèvres, lançait des regards pleins de remords, de sérieux, très sombres. Elle soupira très fort. «Dis-moi ce que je dois faire, dis-moi...» Leurs mains s’étaient jointes, dans une  tendresse sans fin. Ils savaient qu’ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre, il aurait presque pu retrouver chacun de ses pas dans les rues qui menaient jusqu’à lui -- il avait l’impression de soutenir sa vie, son avenir, avec autant de force qu’il se répétait certains aveux sur son passé: son village de La Forêt Noire, celui d’Espagne, son enfance dans cette ville de soleil près de la Mer Noire, une ambassade en Autriche, des parents très âgés et très distingués évoluant dans la grande bourgeoisie, entourés de personnages de la politique, de la haute industrie, des arts. On se confie tout et on voudrait ne pas l’avoir fait. Au bout d’un temps assez long elle se calma, se leva pour regarder la table de travail: «C’est là que tu m’écris toutes tes lettres?» dit-elle en lui souriant, et ses regards extraordinaires reparurent. Les larmes passèrent, suivies d'un sourire fragile. Je te demande pardon, parfois je me sens si folle et si coupable; et elle sortit de la poche de son manteau un stylo mal emballé dans un joli papier. «Tiens je l’ai pris en passant, dans cette boutique à côté du quartier des estampes...pardonne-moi pour le paquet. Comme ça tu pourras m’écrire plein d’autres lettres, autant que tu voudras.» L’objet était somptueux. (il y avait un pardon secret à gagner, mais il ne le vit pas)  

Ils avaient trouvé un surnom pour elle, Miss Dolly, après avoir entendu Fauré ensemble, dans des conditions un peu folles, elle grappillant une heure de plus sur sa vie privée, et lui assistant au même concert mais séparé dans l’église par deux colonnes. Elle lui dit: «Tiens, c’est Miss Dolly qui te le donne». Le langage de l’amour a ses accords en mode mineur, la tendresse de son clavier. Alors, elle le regarda comme une femme pour qui un seul être au monde est important. Il écrivit pour elle une phrase d’amour sur une page blanche, et ils s’embrassèrent longuement, oubliant tout; penchés sur ses notes de cours, ses reproductions, ses dessins où une sorte de petite fleur était dessinée partout.

 

Au milieu de ses activités d’étude et bien souvent avant elles, il dessinait des personnages, des caricatures, des blasons, des rébus -- dans ce qui fut pour ainsi dire le printemps de leur liaison -- qui tous se rapportaient à elle. Il débordait d’inventions: s’il avait une vue de Matisse à étudier, il ajoutait une fenêtre aux murs  peints de bleu et de vert, qui donnait sur une silhouette: et c’était Dolly en train de travailler; Dolly courant au bord de la mer; Dolly faisant des exercices; Dolly discutant avec les rois de l’importation des tissus indiens, italiens, avec des couronnes, des voitures de luxe peintes en vert anglais, ou bien elle, juchée sur des éléphants; il la représentait souvent comme une image des célèbres Renée ou Bibi par Lartigue, dans une chaise longue et portant un immense chapeau de plage;  il est difficile de verser plus loin dans les enfantillages, les sottises juvéniles. L’amour rend un peu bête. Dans les jardin secrets de la passion poussent des pâquerettes, on gribouille ce qu’on ne peut plus dire. Et puis aussi, la tendresse folle des hommes prend un aspect «connaître l’adolescente qui est en toi» , «rentrer de l’école ensemble»  -- sans doute est-ce dû au désir de connaître depuis le plus longtemps possible une femme dont la jeunesse nous échappe, et qu’on voudrait posséder comme le portrait d’une vie en miniature. C’est un secret au cœur des autres secrets, une ambition déraisonnable et belle.

D’ailleurs une année plus tard, au cours de vacances dans un pays de soleil brûlant, ennuyé invariablement par la conversation des amis qui ne faisaient que regarder passer le temps, Albertus demanda à un taxi de le conduire dans une petite école près d’une colline, comme pour  un pèlerinage. Il frappa à la porte d’une grande bâtisse, une religieuse lui ouvrit et on lui dit que l’école était devenue un couvent, sans entrée ni visite possible; il jeta un coup d’œil oblique, resta longtemps songeur; apparemment c’était ici qu’elle avait passé son enfance; il se résigna, et retourné auprès de ses amis il dit qu’il croyait avoir deviné un lieu couvert de fresques inconnues. On ne l’interrogea pas sur son air troublé car ses regards absents, ces yeux tournés vers quelque mystère intérieur, dans ce pays-là, étaient respectés avec pudeur -- il devait avoir trouvé, au milieu de ces collines, un secret bien à lui et bien pénible, alors on le laissa en paix.

 

 

Par l'amateur des lacs italiens et des rives de la Stendhalie, de Côme, Bellaggio etc. qui salue bien ici les autres admirateurs happy fewesques de ce vaste clan, qui savent de quoi on parle -- elevergois.com ou le blog elevergois, ou pour être simple eric levergeois -- tous droits protégés, rangés dans les tiroirs les plus verrouillés, of course.

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16 février 2018 5 16 /02 /février /2018 20:46

 

Les sautes d’humeur imprévisibles de son amie rendaient Albertus plus ému encore, sa raison était secouée par ces zigzags, ces défaites  se terminaient toujours en victoires, mais elles laissaient leur cœur comme aux aguets, toujours un peu blessé. Il évitait ces angoisses et  prenait sur lui; il la trouvait divine, et parfois, à l'évidence, ces deux existences un peu aux abois n’en faisaient plus qu’une. Unique et essentielle,  femme digne d’être aimée au-delà des limites de la raison. Il ne sut jamais détailler ses formes, sa beauté, il savait qu’elle était là, qu’elle lui disait gentiment -- avec encore un peu d’enfance étrange dans la voix -- «vous savez... (c'était encore leur «vous» de velours, ce léger « vous » aristocratique, un vous de cour ou de salon philosophique imaginaire, qui était un  petit jeu parce que le « tu » les rapprochait tant qu'ils avaient besoin  de reprendre une légère distance, pour se contempler, s'admirer, se faire l'un pour l'autre comme une sorte d'idole posée sur un autel et s'adorer moins, pour sentir mieux la vie, la voir couler en rivière, se regarder dans l'eau pure du visage de l'un et de l'autre, avoir le sentiment non que le temps passait mais qu'ils pouvaient aussi l’égrainer plus lentement, et que  vraiment lorsqu'il n'y avait plus ni fureur ni communion des sens pour les lier entre eux, ils se parlaient tranquillement, ils en avaient aussi le droit ; le coude posé sur un coussin du lit, elle avec ses cheveux dans le désordre d'un réveil, lui la regardant comme s'il eût aimé un portrait du Titien, ou la belle et fraîche Simonetta Vespucci, mais un portrait vrai et vivant, doux rêve d'une vérité retrouvée, réalisé et sorti de ses songes de poésie italienne et de Toscane, et dans les nuances très atténuées de ce « vous », pendant qu'ils se recomposaient en quittant leurs étreintes d'amants exaltés, ils pouvaient comprendre qu'aucune distance ni aucun écart ne comptait plus ; et ce vous d'inutile prudence et de pudeur passionnée avait des nuances et des délicatesses aussi fines qu'un tissu dont on pense la douceur longtemps, du bout des doigts en l'éprouvant, en le caressant, et le détaillant par la pensée, par plaisir )... vous savez, disait-elle, je crois que je pourrais fondre tout entière dans vos bras un jour comme aujourd'hui» -- et d’une main qui passait de son bras dénudé au sien, serrés l’un contre l’autre, comme on dessine dans le sable, elle traçait une petite ligne continue d’un corps à l’autre et lui disait: «vous ne pensez pas qu’on dirait la même peau pour tous les deux?» Plus tard, dans la solitude terrible qui suivit leur histoire, il devait remuer tous ces souvenirs, se demandant toujours si elle l’avait vraiment aimé ou accepté comme un amoureux audacieux, et donc goûté ces instants comme on boit un vin précieux. A moins que ce ne fût pour elle une oasis dans le désert domestique. Mais les forces qu’il trouvait en lui lui disaient qu’elle l’aimait, qu’elle l’aimait follement avec une force égale -- dans de tels sommets d'entente si rares dans la vie d'êtres réels, il ne pouvait en être autrement.

 

pas de détail choquant pour les enfants, d'ailleurs ce n'est pas le sens de cette histoire plutôt mélancolique -- par l'amateur des lacs stendhalissimes toujours aimés et leur "petite lame" qui vient et revient se briser sur les rives. elevergois.com, c'est le même (mais qui sait au fond?) que eric levergeois  -- tous droits serréss à double tour dans un coffre.

 

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13 février 2018 2 13 /02 /février /2018 18:44

 

(il manque la page où ils boivent le philtre)

 

Dans l’après-midi du même jour elle le rappela, avec quelques précautions. Elle disait qu’elle n’avait pas pu s’en empêcher, qu’elle utilisait le bureau d’une amie, elle lui faisait part de ses craintes, riait d’une espèce de faux rire, toujours un peu amusée en apparence, et ajoutait «après tout pourquoi pas, je me sens une autre, si différente, si loin d'ici...» et elle s’empressa ensuite de lui dire que c’était bien, magique, ajoutant qu’elle ne savait rien de l’avenir, qu’elle pensait que cela les attirait et les menaçait en même temps. Elle lui disait que cette vie neuve qu’elle commençait était comme une «vie de magie», lui livrait ses émotions ; sa voix était entrecoupée encore de silences, elle anticipait des remords, des craintes, mais elle ne pouvait s’arrêter. Ils se parlaient et ils buvaient leur bonheur. Et, comme si un rythme de rencontres s’était déjà inscrit dans ses plans, elle lui dit à la fin: «j’ai pensé et repensé à toi, tu sais, vraiment beaucoup, retiens bien ça, ne m’oublie pas...mais je sais que je ne pourrai pas te voir ni aujourd’hui, ni demain, ni après-demain.» Il devait donc attendre, mais les mots qu’il écoutait étaient une pure joie. C’était difficile à accepter, mais il comprit qu’il y avait là comme la promesse de mille autres jours, d’instants, de minutes heureuses qui viendraient s’ajouter. Ils raisonnaient déjà sur la façon de se retrouver, dans cette vie qui leur était interdite; ils avançaient dans ce labyrinthe à venir d’heures volées, d’absences, de retrouvailles, de risques; en un instant sa voix changea et elle lui parla en espagnol pour donner le change car quelqu’un venait d’entrer, elle l’ avait salué bien fort pour qu’il comprît. Elle continua ainsi, dans l’autre langue, le priant de ne pas raccrocher, ni  de s’éloigner, s'amusant à dire: « non, non, vous pourriez mettre au point les conditions d’un entretien, après vérification de la qualité des échantillons bien sûr, un jour nous pourrions examiner certains points? vous ne croyez pas...» elle poursuivait en espagnol «je regarde dans mon agenda, attendez une minute...» -- (quelle peste cette fille, elle va s’en aller oui ou non?) -- elle lui murmura de rester au bout du fil: «surtout ne raccroche pas» ; déjà commençait cette sorte de bluff pour attendre, tromper tout son monde, les règles de la partie de cache-cache se révélaient une par une, et ils les apprenaient; une espèce de jeu entre un frère et une sœur d’élection... ils s'aimaient cette fois, vraiment-- aucun des deux n’avait encore parlé de grands sentiments, de serments, mais en vérité ils ne parlaient de rien d’autre. Au moment de se séparer, qui était au-dessus de ses forces, (mais c’était la vraie réalité), il proposa d’envoyer un mot par l’intermédiaire d’un coursier, maintenant, là, tout de suite; lui toujours emporté, romanesque, un peu «prince de la bohème» dans son genre, alors elle lui donna les renseignements, puis reprit avec sa voix étrangère : «mais oui, bien évidemment, voici...maintenant vous savez tout, et n’oubliez pas que vous pouvez me demander tout ce que vous voulez» -- il répliqua: « à tout instant?» - elle répondit et son timbre avait pris une couleur de tendresse qu’il sentit, une note caressée sur un clavier : «mais oui, mais oui, bien sûr, à tout instant, vous le savez bien» -- puis elle murmura en français: «maintenant il faut que je te quitte, je suis si... je me sens si étrange, je ne trouve pas les mots, si tu savais...on est vraiment fous, mais il faut que je m’en aille à présent, il le faut vraiment...» et cela fit clic, et puis plus rien.  Et il se retrouva dans la pièce vide de son appartement, avec dans sa tête, elle présente et elle absente à la fois.

Comme on l’a écrit cent fois, il n’y eut plus alors que les murs à regarder, et ce téléphone, au son plus clair que les portables d’aujourd’hui, mais lourd, objet cruel, crapaud moche et silencieux. Une espèce de jouet mort qui était si fixe, si obtus, si matériel, comparé à la joie qu’il avait vécue, qui pourtant apportait sa voix, son âme, instrument magique et si absurde qu’ à présent il avait envie de l’envoyer s’écraser contre le mur; et il le regardait  comme la lampe d’un conte oriental d’où venait, avec la voix aimée, la présence, qui pouvait la faire apparaître tout entière. Et ainsi commencèrent des jours étranges, pour lui sans nouvelles, sans météo, sans infos, entre espoir et tension, sans rien qu’elle, sans autre enjeu ni sens que d’attendre, attendre, attendre encore. Des jours parfois pénibles où lui devait se sentir prisonnier de ces appels qui venaient et ne venaient pas. Ce qui les poussa peut-être à s’unir de façon très scandaleuse, à commettre de vraies fautes, mais ils se sentaient poussés par une passion sans limites-- pouvoir s’aimer jusqu’au délire total, comme on dit couramment -- et ils allaient toucher le fond absolu, dévastateur, de cette histoire, mais il se sentaient intensément destinés l’un à l’autre.

 

 

Par l'amateur des lacs italiens qui stendhalise à qui mieux mieux sa vie et parcourt "chartreusement" certains lieux --  tous droits sécurisés et hyper vérouillés comme il se doit -- elevergois.com ou autrement eric levergeois etc etc. to the happy fewer and fewer

 

 

 

 

 

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11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 22:51

Il ne savait plus quel après-midi étrange il l’avait rencontrée, ou plutôt, comme disent les livres quand «leurs yeux se rencontrèrent». Ce devait être un jour maussade de réception dans un salon parisien, on célébrait la réussite d’une créatrice de meubles, une amie, il était venu là presque par hasard. Une main se posa sur son épaule quand la gagnante du prix entamait son discours. Il entendit «vous devez connaître tout cela par cœur» dit par une voix de rêve. Il se retourna et il la vit, non telle qu’elle était, mais ébloui par ce mystère que portent en eux les êtres de légende, ceux qui doivent faire époque dans une vie. Ne disons pas si elle était blonde, brune, rousse, qu’importe après tout, car ils comprirent ce que la vie quelquefois promet comme douleur, passion, souffrance  -- il devait lire plus tard dans Stendhal qu’ «un homme amoureux d’une femme ne voit pas son visage» -- il ne le voit pas exactement et en même temps  il ne voit plus rien d’autre: il demeure tout à coup suspendu à la vie  d’un être magique qu’il croise, et en quelques secondes l’idée qu’on puisse s’éloigner d’elle devient embarrassant, le rend timide, incapable de trouver les mots là où ils viendraient en foule pour quelqu’un dont la destinée ne plie pas la sienne.  Heureuse la littérature qui nous dit que dans la salle de bal, la princesse de Clèves et le duc ne peuvent faire autrement que de se reconnaître, une flèche au cœur d’une cible,  parce qu’ils sont désignés l’un à l’autre, par une force surnaturelle qui les enivre si intensément dès le premier regard que tout à coup, dans une sorte de gros plan cinématographique, les âmes s’épanouissent,  se rencontrent, et reconnaissent la fin d’une longue attente. Un grand critique a dit que les œuvres d’art absolues et réussies trouvent comme une mémoire en nous, comme si nous les avions déjà contemplées, et que nous leur trouvons un lieu où demeurer, mais qui était là pour les recevoir. Et certes dans les mois qui suivirent, Albertus se posa cette question souvent, d’autant que cette femme magique le priait de revenir la voir, de recommencer à se parler, finir une conversation, passer prendre un verre. Mais lui savait qu’un verre ne suffirait pas, un quart d’heure de potins parisiens seraient insoutenables car il finirait par mettre un nom sur ce qu’il sentait.


«Vous voulez noter? dit-elle un jour, tenez, prenez une feuille sur le bureau...ah, je n’ai pas de stylo...» "on va se dire tu, tu ne préfères pas?" alors il écrivit qu’il l’attendrait dans le parc voisin deux jours plus tard, qu’il voulait la voir de toute urgence. Et marchant dans ce parc, un peu à l’aventure, très maladroitement et sans savoir exactement quoi lui dire, il trouva le courage de lui prendre la main, aussi bêtement que dans les contes bleus. C’était une femme distinguée,  qui ne s’abaisse pas à des sottises, c’est ce qu’elle lui dit quand ils descendirent une longue allée, il ne fallait pas s’imaginer des sentiments exagérés et faux, franchement ce n’était pas convenable dans sa position; avec sa naissance, ses alliances, sa vie, son travail, et tout en disant cela elle mettait d’un geste un peu fou sa main dans la poche de son manteau à elle, mais ce devait rester de l’amitié. Et elle lui disait qu’ils étaient insensés, elle tremblait un peu, et tandis qu’ils  remontaient la même allée en sens inverse et que la nuit se formait doucement: « je t’assure que c’est une folie» , oui, une folie, et à la fin ils furent si près, si proches, qu’ ils s’embrassèrent du bout des lèvres, comme dans un jeu. Deux enfants qui jouent. Ils devenaient encore un peu plus fous. Elle tira les deux mains réunies de sa poche, elle lui demanda s’il savait ce qu’ils faisaient; il dit que non. «Tu es bête au fond...tu sais cela? jeune, beau, et très bête...» Elle le serra contre elle.

Le lendemain matin, très, très tôt, il reçut un coup de fil qui le fit sursauter: elle disait qu’elle avait pensé à lui toute la nuit, d’un ton bref, froid, précis, une sorte de tendresse sans abandon --  et lui non plus , il lui avoua qu’il n’avait pas dormi, et son rêve de la veille l’appelait, il était émerveillé... Il se parlaient en privé, seuls. Ils ne se dirent pas qu’ils s’aimaient déjà, mais ils parlaient d’autre chose, simplement pour entendre leurs voix; ils ne savaient quoi se dire, leur silence parlait à leur place -- avec certaines hésitations, de longues pensées qu'on croit comprendre, quand on entend l’autre respirer, faire de longues pauses; cela signifie souvent la même chose, et ils le comprenaient, et ce langage qu’ils parlaient devenait unique et il  n’appartenait qu’à eux seuls.

 

par l'amateur des lacs italiens toujours rêvant de Stendhalie et de luoghi ameni comme il y en dans la Chartreuse -- eric levergeois, elevergois.com, tous droits émotions et souvenirs reservés et protégés.

 

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11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 15:53

 

Demeuré seul, certains matins, il allait à sa table un peu bancale, et il écrivait. Il lui arrivait de taper sur sa vieille machine Remington les moments les plus délicieux de son amour disparu: avec la distance qui étirait la perspective et la vision, il retrouvait l’être sublime et si immensément aimé -- il recomposait la douceur de bains pris ensemble, à une course de voiture hors de Paris, au cœur de la nuit -- eux partant toujours clandestinement, fébrilement, démentiellement, heureux tous les deux de leur intense amour, et vivant une forme de délire. Il sentait encore sous ses doigts la peau délicate de son amie, elle était tout à tout jamais, pour l’éternité, gravée dans ses fibres; cet être était devenu un fluide vital, elle ne quitterait jamais ses veines, leur passion était un tourbillon de magie, d’une intensité irréelle; ils l’avaient vécue si fort que cela lui paraissait encore au-dessus des lois de la vie. Ils se disaient «tu» par amour et parfois utilisaient un «vous» amoureux plus noble, par pudeur, litote qui rendait plus délicat ce qui semblait vertigineux, qui augmentait leur tendresse en lui donnant le tour et le timbre d’un salon d’Ancien Régime, où l’on dit «mon amie» pour parler à celle qui est là pour l’éternité; et ils sentaient qu’ils s’étaient aimés depuis plus longtemps que ce qu’offre une mémoire humaine. Il s’arrêtait à certains détails qui dont le souvenir était foudroyant: elle, dégageant son bras d’une ultime parure, ôtant un bracelet de faux ambre, avant de le serrer contre elle, comme une baigneuse qui va se jeter à l’eau retire d’un geste vif une montre ou un bijou craignant l’eau au dernier moment -- en ces instants-là, elle était sublime.

Le temps n’aurait-il jamais commencé, la matière ne se fût-elle jamais formée, la création des êtres n’eût-elle jamais été accomplie, qu’ il lui semblait que leur vie ensemble aurait été quand même l’origine et la totalité du monde; il n’y aurait peut-être pas eu de monde, mais il y aurait eu une étincelle, en dépit de tout, une forme de cantique, un rayon de lumière originelle qui eût suffi à donner une vie à leur vie, des particules de lumière où ce miracle eût pu naître -- un absolu dans lequel on disparaît, fou à lier, et lui risquait cela, comme le Roland Furieux de  l’Arioste perd sa raison loin d’ici dans les espaces de la lune. Albertus, sans doute très imprudent, lui avait même demandé d’enregistrer sa voix, sa voix magique, pour dire les premières strophes du poème: «Le donne, i cavalieri , le armi gli amori io canto ...» Comment oublier cette voix?  Comment trouver, désormais, une réelle paix pour cette âme en carafe, comme chante Ferré,  qui a quitté son port et qui danse là-bas, sur le large, sans se briser sur les récifs, par une espèce de miracle? Il fallait résister tout seul à présent, tenir un jour de plus, et un jour de plus, et encore un -- l’homme à qui il reste un jour est dans la main de Dieu disait un texte anglais, faisons donc confiance jusqu’à demain.

 

par l'amateur des lacs italien et toujours aussi passionné de la Stendhalie qui donne ici son traité des passions disparues -- et vivantes -- elevergois.com, in arte eric levergeois -- peut-être sera bien pour S Valentin hum hum

 

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7 février 2018 3 07 /02 /février /2018 19:20

Il ne devait surtout pas résister à ces douleurs maniaques qui rendent l’âme immobile, privée de tout désir. On lui avait suggéré de n’exécuter aucun mouvement de résistance, son être décharné comme un arbre sec s’y fût brisé. Il erra donc, passant dans les soirées comme une ombre, désabusé, allant de caprices en dégoûts qui ne duraient qu’un court moment; et il se vengea aussi quelquefois par cruauté involontaire: c’est à vous, pensait-il, espèce magique et séduisante, vous, si jolies femmes qui venez encore vers moi, que je dois l’état où je suis. Par conséquent, si je croque telle ou telle qui ne s’est pas méfiée de ma tristesse, certes je me venge bassement, mais il y a là comme le coup de patte du tigre blessé que la douleur peut expliquer -- et peut-être excuser. «Chez moi, ce soir, écrivait l’une d’elles dans un télégramme, je t’attendrai désespérée, viens je t’en supplie» -- « si tu es désespérée, tu n’as qu’à t’en prendre à toi même» , pensait-il, «le désespoir moi j’en suis ivre, je m’en nourris, j’en avale à la louche, figure-toi!» ; il ne lut pas le billet avec un rire cruel, mais désabusé, insatisfait, usé, etcoeurétera.  Il n’y répondit bien sûr pas, et sortit se promener pendant des heures, pensant alors qu’il ne s’agissait que de menaces adolescentes, la stratégie de têtes faibles qui n’ont pas assez vécu. «TANT PIS POUR TOI» fut son mot d’ordre amer pendant ces années, bien qu’il eût en vérité, au cours de son naufrage, peu d’occasions de l’appliquer. Les retards à son poste de d’attaché à une bibliothèque de quartier s’accumulèrent, à la fin il dut renoncer à cette fonction, et par là même aux quelques centaines de francs qu’elle rapportait. On le convoqua à la mairie de l’arrondissement d’alors, un matin,  comme pour les derniers déclassés, chercher une boîte de lait en poudre. Dure est la chute. Dans certains cas on y a droit. On décline, décline, et quelquefois il n'est même plus permis de descendre tellement les dernières marches sont basses. Et pourtant on résiste. Si ses meilleurs amis, (qui ne surent jamais  rien de rien), avaient su où il était tombé, ils seraient venus, mais qui? de brillants diplômés ayant déjà fondé famille et train-train d’un bon niveau en route vers le Conseil d’Etat, la haute médecine, le Barreau? A quoi bon, lui se sentait bien trop fier -- et  il s’efforçait coûte que coûte de maintenir intactes les apparences.  On dit quelquefois que certains types de pauvretés dignes sont plus insupportables que les autres parce qu'on n'a pas le droit de les afficher, parce qu'il y a une manière de s'abîmer encore plus si on le montrait aux autres. Albertus avait dû connaître une époque de succès, de reconnaissance, jour heureux parsemés de quelques instants de mondanités; il ne se faisait pas à ces années de douleur, il les emprisonnait sous le visage des jours plus ou moins naturels -- orgueil et noble tristesse oblige.

 

 

Par l'amateur des lacs italiens toujours attentif aux rythmes et paysages de la Stendhalie -- amateurs érudits relisez De  l'amour c'est le moment -- par elevergois.com, in other words eric levergeois. Tous droits protégés et sanctuarises comme toujours.

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30 janvier 2018 2 30 /01 /janvier /2018 18:03

Ces longues journées au Louvre, le bois des longs parquets craquant sous les pas, des vues surnaturelles pour se consoler en se réfugiant au cœur des tableaux! Il rêvait devant les scènes de départ et de quais encombrés devant les toiles de Claude Lorrain, magicien habile à rendre l’agitation de la vie qui grouille et son immobilité de rêverie posée sur un temps indistinct, lointain, infini. L’œil du soleil était au centre, créant comme une pâte issue des premiers instants de la Genèse et qui modelait un à un les personnages pour un bref instant. Revenant souvent, il prit goût à ce temps irréel que contiennent les tableaux, ces scènes qui rassemblent plus de figures ou de silhouettes découpées que d’hommes et femmes en action. Et surtout, c’était le départ annoncé et toujours retardé qui l’attirait devant ces vues de théâtre. Il y avait certes un souvenirs «des vaisseaux aux mâts compliqués» du grand poète romantique Baudelaire, mais ce qu’il aimait par dessus tout c’était le sommeil, l’abandon du monde, l’irréalité conquise. Là où vivent les tableaux, il aimait à s’arrêter pour se laisser gagner par cette sorte d’heure infinie contenant toutes les mémoires, traversée par tous les songes et n’en retenant aucun. S’il y avait un personnage prisonnier de ce genre de scène, c’était lui; il en était l’hôte et s’engageait sur cette allée infinie, faite de substance plâtreuse transportant une lumière où s’abîmait l’être tout entier. Et ses pathétiques langueurs d’amoureux déçu-- face à ce monde en apparence vidé de toute réalité -- glissaient au milieu des particules de soleil déclinant, et y trouvaient une manière d’y détendre et d'y incliner leur force, et de se recomposer, en quelque sorte, en se mettant à l’écoute et à l’unisson  des temples blancs debout sur les vagues. A la fin, il voyait là une vigueur, une force négative capable de renaître au cœur de cette rêverie arrêtée sur le versant des jours tristes. C’était la preuve qu’il existait des lieux de réconfort, des lieux d’art,  pour accueillir la solitude, l’amertume. Car si l’on ne s’embarque pas sur un quai imaginaire de Claude Lorrain, on y trouve une prière et une consolation -- une sorte d’image fausse et glacée,  un spectacle un peu spectral mais intimement vivifiant. Et l’on peut se complaire dans la  mélancolie des jours ainsi figés dans une gloire d’eau, de vagues,  de lueurs luisantes, mimées et fixes. Des tableaux comme ceux-là étaient anciens, mais même dans notre temps marqué par des rythmes violents, sonores, industriels, il leur trouvait l’attrait trouble et fantômatique qu’a la sonorité d’un violon, par exemple, instrument aux formes un peu archaïques, sans rapport évident avec nos jours techniciens, soumis aux machines, au commerce et explorateurs, mais qui se fond en lui avec son bavardage de cordes frottées, puis le dépasse bien vite dans sa langue capricieuse, vague, orientale, heurtée, crispante, parce qu’elle s’adresse ou recrée ce qu’il y a de plus profond, et recompose ce qu'on croyait détruit.

 

Par l'amateur des lacs italiens et de certains (nombreux) tableaux partout en Europe, eric levergeois -- elevergois.com -- qui aime à rappeler les lieux divins de la Stendhalie et si possible y séjourner de temps en temps. Droits protégés par Me  E. N. bien sûr.

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