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13 février 2018 2 13 /02 /février /2018 18:44

 

(il manque la page où ils boivent le philtre)

 

Dans l’après-midi du même jour elle le rappela, avec quelques précautions. Elle disait qu’elle n’avait pas pu s’en empêcher, qu’elle utilisait le bureau d’une amie, elle lui faisait part de ses craintes, riait d’une espèce de faux rire, toujours un peu amusée en apparence, et ajoutait «après tout pourquoi pas, je me sens une autre, si différente, si loin d'ici...» et elle s’empressa ensuite de lui dire que c’était bien, magique, ajoutant qu’elle ne savait rien de l’avenir, qu’elle pensait que cela les attirait et les menaçait en même temps. Elle lui disait que cette vie neuve qu’elle commençait était comme une «vie de magie», lui livrait ses émotions ; sa voix était entrecoupée encore de silences, elle anticipait des remords, des craintes, mais elle ne pouvait s’arrêter. Ils se parlaient et ils buvaient leur bonheur. Et, comme si un rythme de rencontres s’était déjà inscrit dans ses plans, elle lui dit à la fin: «j’ai pensé et repensé à toi, tu sais, vraiment beaucoup, retiens bien ça, ne m’oublie pas...mais je sais que je ne pourrai pas te voir ni aujourd’hui, ni demain, ni après-demain.» Il devait donc attendre, mais les mots qu’il écoutait étaient une pure joie. C’était difficile à accepter, mais il comprit qu’il y avait là comme la promesse de mille autres jours, d’instants, de minutes heureuses qui viendraient s’ajouter. Ils raisonnaient déjà sur la façon de se retrouver, dans cette vie qui leur était interdite; ils avançaient dans ce labyrinthe à venir d’heures volées, d’absences, de retrouvailles, de risques; en un instant sa voix changea et elle lui parla en espagnol pour donner le change car quelqu’un venait d’entrer, elle l’ avait salué bien fort pour qu’il comprît. Elle continua ainsi, dans l’autre langue, le priant de ne pas raccrocher, ni  de s’éloigner, s'amusant à dire: « non, non, vous pourriez mettre au point les conditions d’un entretien, après vérification de la qualité des échantillons bien sûr, un jour nous pourrions examiner certains points? vous ne croyez pas...» elle poursuivait en espagnol «je regarde dans mon agenda, attendez une minute...» -- (quelle peste cette fille, elle va s’en aller oui ou non?) -- elle lui murmura de rester au bout du fil: «surtout ne raccroche pas» ; déjà commençait cette sorte de bluff pour attendre, tromper tout son monde, les règles de la partie de cache-cache se révélaient une par une, et ils les apprenaient; une espèce de jeu entre un frère et une sœur d’élection... ils s'aimaient cette fois, vraiment-- aucun des deux n’avait encore parlé de grands sentiments, de serments, mais en vérité ils ne parlaient de rien d’autre. Au moment de se séparer, qui était au-dessus de ses forces, (mais c’était la vraie réalité), il proposa d’envoyer un mot par l’intermédiaire d’un coursier, maintenant, là, tout de suite; lui toujours emporté, romanesque, un peu «prince de la bohème» dans son genre, alors elle lui donna les renseignements, puis reprit avec sa voix étrangère : «mais oui, bien évidemment, voici...maintenant vous savez tout, et n’oubliez pas que vous pouvez me demander tout ce que vous voulez» -- il répliqua: « à tout instant?» - elle répondit et son timbre avait pris une couleur de tendresse qu’il sentit, une note caressée sur un clavier : «mais oui, mais oui, bien sûr, à tout instant, vous le savez bien» -- puis elle murmura en français: «maintenant il faut que je te quitte, je suis si... je me sens si étrange, je ne trouve pas les mots, si tu savais...on est vraiment fous, mais il faut que je m’en aille à présent, il le faut vraiment...» et cela fit clic, et puis plus rien.  Et il se retrouva dans la pièce vide de son appartement, avec dans sa tête, elle présente et elle absente à la fois.

Comme on l’a écrit cent fois, il n’y eut plus alors que les murs à regarder, et ce téléphone, au son plus clair que les portables d’aujourd’hui, mais lourd, objet cruel, crapaud moche et silencieux. Une espèce de jouet mort qui était si fixe, si obtus, si matériel, comparé à la joie qu’il avait vécue, qui pourtant apportait sa voix, son âme, instrument magique et si absurde qu’ à présent il avait envie de l’envoyer s’écraser contre le mur; et il le regardait  comme la lampe d’un conte oriental d’où venait, avec la voix aimée, la présence, qui pouvait la faire apparaître tout entière. Et ainsi commencèrent des jours étranges, pour lui sans nouvelles, sans météo, sans infos, entre espoir et tension, sans rien qu’elle, sans autre enjeu ni sens que d’attendre, attendre, attendre encore. Des jours parfois pénibles où lui devait se sentir prisonnier de ces appels qui venaient et ne venaient pas. Ce qui les poussa peut-être à s’unir de façon très scandaleuse, à commettre de vraies fautes, mais ils se sentaient poussés par une passion sans limites-- pouvoir s’aimer jusqu’au délire total, comme on dit couramment -- et ils allaient toucher le fond absolu, dévastateur, de cette histoire, mais il se sentaient intensément destinés l’un à l’autre.

 

 

Par l'amateur des lacs italiens qui stendhalise à qui mieux mieux sa vie et parcourt "chartreusement" certains lieux --  tous droits sécurisés et hyper vérouillés comme il se doit -- elevergois.com ou autrement eric levergeois etc etc. to the happy fewer and fewer

 

 

 

 

 

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