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17 février 2013 7 17 /02 /février /2013 09:10

Les oeuvres de Chagall les plus belles offrent cet envol et cette suspension des sujets dans un ciel hanté par des élans de spectacle et de formes entrecroisées, aériennes, dans une fuite perpétuelle et mélancolique vers une offrande sacrée. On y voit, comme dans la célèbre chanson au génie enfantin du « Jardin Extrordinaire », mais qui serait sacré, des souvenirs de ses tourments, des icônes en transformation, des paraboles, des thèmes juifs ou bibliques sortis de ses mains comme autant de visions surréelles et intensément humbles, souffrantes, disant des prophéties qu'on entend au milieu des nuages. Et puis et surtout, le peintre nous élève vers des sommets où son langage de plans superposant les vues, les récréant en voyage perpétuel, poussés par les houles brassant les cieux, paraissent naviguer et renaître, avec toujours la peinture russe en toile de fond, ses maisons tordues qui marchent, ses êtres familiers des années profondes, celles du shtetel natal, ses villages de guingois, ses visages surgis dans un élan de comète sans fin. L'ampleur et la variété des thèmes traités par ce peintre recréant à volonté toute la vie, toute sa musique lancinante et triste mais la dépassant toujours, nous berce d'envolées et de lysrisme : porté par elle dans une complainte originelle, biblique, russe, juive, christique, ce qui fait qu'en les regardant on se penche au-dessus de mille rives et miroirs confluents rêveurs. Pour y grandir, prier, fuir dans des infinis multipliés et débordants de vie avec lui, on s'élève dans tant de ciels qu'on le contemple en vivant et en revivant ses rêves. « Si toute la vie va inévitablement vers sa fin, nous devons, durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d'amour et d'espoir », écrit-il. On pourra évoquer Kandinsky, le cubisme, les vitraux, les mariages, les scènes russes âpres et rustiques, la sainteté, la souffrance des guerres,on n'épuisera pas ce langage de rêverie aérienne reconquise, ses syncrétismes, ses éclatantes déclarations d'amour à Bella, sa femme et sa muse pour l' éternité, reprise par le ciel en 1944 pour son plus grand malheur. Ayant traversé révolution, guerres, fuite, exil, malheurs et persécutions, Chagall, dont cette grande exposition propose la vaste chanson de geste et le récit en perpétuel mouvement, nous engage vers le recueillement et la lecture d'une destinée bouleversée, mais surtout vers une montée jusqu'à la hauteur de tous ses chemins de croyance. Quand on regarde Chagall, on veut croire avec lui tout ce qu'il croit, et souffrir tout ce qu'il souffrit. Puis en ressortir sans que l'émerveillement cesse.

 

 

Documentation et livres sur le site museeduluxembourg - de février à juillet 2013-ChagallentreGuerreetPaix --le site :http://www.museeduluxembourg.fr/Flash/Mecenat/Chagall/pages/2-rmn-musee-du-luxembourg-chagall.htm ( écrit vécu et pensé  par amateur des lac italiens - elevergois.com - eric levergeois )

 

 

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11 février 2013 1 11 /02 /février /2013 18:29

Gloire et salut en l'immortalité au magnifique orchestrateur de nuances et de couleurs vibrantes, effilées ou éclatantes comme des vagues hautes et belles de l'océan, que fut Ravel ! À écouter pour la millième fois, le récit chanté par la flûte de Ma Mère L'Oye, quelle joie d'avancer à pas légers dans le ciel, quel bouquet de rayons de soleil, quel jaillissement  de  fontaines  qui  soudain nous parlent ou  jasent!

 

Ce n'est pas le ciel accordé, c'est bien plus, bien plus, un paradis de contrastes berçant le cœur d'un enfant, un murmure aimant de « bonne nuit » à tous les insomnieux qui se réveilleront sous la forme d'une fleur, un calice ajouté au monde, ou  bien si embarrassés d'aimer qu'ils hésiteront entre redevenir hommes ou rester vaisseau de joie bercé par la mer ! Quelle extase devant la vie ! Envolé tout à coup le poids des tristesses, et perdu dans tous les alizés nouveaux le chagrin d'un regret qui valut la beauté d'un rêve et d'une larme ! Suivre tout simplement la magnifique tornade des prières si hautes de Daphnis, l'accompagner dans son écume en vol, dans ses embruns de chœur final où toutes les voix sorties des eaux marines sourient d'un sourire de fée !

 

Voilà qui rend la vie si belle, si accordée aux caresses des violons dansant comme autant de palmes douces rafraichissant l'air ; c'est le matin de tous les autres matins espérés soudain luisant sur une baie fragile à la rumeur de colombe ! Ô bonheur plus grand que tous les autres, muant sans cesse dans la voix heureuse d'une aimée qui nous hantait, enfin trouvée, saluée dans une étreinte musicale ! Et que dire du grondement éparpillé du concerto pour la main gauche qui s'enveloppe de son jazz final, accordé comme la brume d'une nuit versant d'un coup toutes ses étoiles, en averse, en récompense de tous les serments faits aux cieux rougissants, dans l'attente réelle de l'instant retrouvé où la joie illumine un autre monde enfin trésor, enfin désordre furieux d'aimer ! Âme du piano dont chaque parcelle comme un sable d'argent devient la volonté caressante de lumières neuves et belles ! Ravel est un astre tombé d'ailleurs posant sur tous les mystères une rosée bleue recréant les pétales des fleurs et l'ivresse d'un baiser qui se partage en mille rivières nous reliant au ciel.

 

C'est « la mer allée » qui toujours revient briller dans la pupille adorée du grand large!  que de rêveries dans cette musique jouée par des insectes en livrée de carnaval qui discutent des paradis d'Alice en haut des collines, en filant des tissus d'aile de papillon, et  des soies et des broderies dans le murmure incessant des roseaux courbés dans la tiédeur du matin. Oui, vraiment, gloire sainte et bonheur immortel pour toi, Ravel, musicien de toutes les pensées de joie, homme et magicien qui saura à tout jamais révéler, d'un infime bruit, le charme reculé des songes, et toujours, toujours, pour les plus riches et les plus miséreux, réenchanter, oui, tant de fois, réenchanter la vie !

 

 

(par amateur des lacs italiens promeneur en Stendhalie -- elevergois - eric levergeois -)

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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 08:50

Dans les premiers instants où le regard redécouvre un tableau de Poliakoff, il y a une émotion de géologue ou de géographe surpris par des masses de mondes séparés et cependant reliés par la parenté tonale des couleurs – toutes déclinant des rouges et des bruns, et jusqu'à l'essence d'une aurore profonde qui est “idée de brun”, ou “idée de rouge”, lieu d'une fournaise imaginaire où elles furent toutes fondues; ou bien “idée de gris” comme des neiges en plaques, ces zones grisées qui s'associent et s'entassent les unes à côté des autres; ou bien “idée de bleu” qui se décompose toute en nuances , et cependant les juxtapose, les fait frémir complices et lointaines à la fois, par leurs affinités et leurs distances qui semblent relever d'un savoir d'alchimiste. Sans doute le moment viendra d'explorer les si fascinantes surfaces de couleurs maçonnées, qui sont des grès, des coupes de marbres clivés, des fonds de marbres un peu brut travaillés, portant les traces du couteau ou de la brosse comme les traces du ciseau de sculpteur – qui donnent une densité irréelle de matière brute dans ces assemblages de teintes subtiles et concertantes. Dans ces tableaux où les éléments sont si solidement associés, ce qui fascine, ce qui donne une surprise qui “décompose” l'attention, déconcerte et par là même élève l'intellignce des couleurs et nous laisse dans un premier temps démunis, c'est l'apparent éclatement des parties réunies, et tout en même temps leur absolue nécessité formelle – derrière tout tableau qu'on croit voir, il y en a peut-être un autre plus profond, celui vers quoi tendaient l'idéal et la pensée, et c'est celui qui donne l'idée sublime d'un monde retrouvé. Même si certaines toiles paraissent plus “statiques”, et si d'autres préparent à tel ou “envol” ou quelque parcours au dessin plus lyrique, c'est toujours par un saisissement absolu qu'elles exercent pour nous leur “mouvement”, le mystère de leur infinie complexité de zones de couleurs exerçant une tension persistante.

 

 

Variation sur le grand peintre par l'amateur des Lacs Italiens, toujours parcourant les terres de Stendhalie -- elevergois.com (eric levergeois)

 

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17 novembre 2012 6 17 /11 /novembre /2012 06:51

Si certains entendent parler de pelisse rouge, nul doute qu’ils me verront repasser, avec  mes gros sabots normands, sur telle plage où Flaubert ramassa la précieuse étoffe-talisman de son cataclysme absolu, le fameux manteau de l’inconnue splendide dont la vision le foudroya, tel le promeneur voyant soudain une déesse vêtue de sa peau humide sortir des eaux . Cela donnera plus tard la vision par quoi s’ouvre l’Education, sur ce bateau de la Ville de Nogent où l’apparition de Marie Arnoux produisit le même effet, dans une scène plus complète mais bien plus figée. C’est la distance de l’esquisse au tableau. «Je n’ai eu qu’une passion véritable...» confie l’auteur. On le croit volontiers lorsqu’on suit le parcours panoramique de ce court récit et l’accumulation de notes dorées, et même brûlantes: le soir descend  sur la mer, l’heure exquise s’approche et le sable scintille, la marée frôle le manteau de femme d’une écume capricieuse, les derniers ébats des baigneurs animent la plage.  C’est une sorte de modèle de peintre ou de femme née d’un rêve d’artiste qui vient le remercier, et voilà qu’un monde commence -- mais rien n’interdit de penser que Flaubert vit dans ces lignes un bonheur d’écriture qui n’a rien d’idéalisé. L’écume, le mouvement de ce corps de femme entre les vagues, «l’eau qui tombe de ses habits» et jusqu’à la trace de ses pas dans le sable sur laquelle il pourrait pleurer quand la mer les efface! le voilà absolument hanté par la sensualité de cet être aux traits orientaux que son regard consume et consomme à sa manière. Le grand mot est lâché: «J’aimais». On doutera un instant de «la sensation toute mystique» devant «ces magnifiques cheveux noirs qui lui retombaient en tresses sur les épaules», à la lecture aussi de : «on voyait des veines d’azur serpenter sur cette gorge brune et pourprée» , sans oublier «le duvet fin qui brunissait sa lèvres supérieure» et quelques autres coups de brosse par quoi notre auteur sensible aux accents forts refermés sur eux-mêmes et complets, décrit dans sa totalité non une rêverie, mais  une possession intégrale dont il reviendra pas. Et il nous semble à présent que ce n’est pas tant cette belle femme unique et splendide qui est émouvante, mais ce malheureux jeune homme ravi dont le coeur se brise et saigne, dans un tardif après midi d’eaux, de bains, de soleil, de bonheurs trop grands pour être vécus. «Je me sentais  nouveau et tout étranger à moi-même, une voix m’était venue dans l’âme» -- «Une voix m’était venue dans l’âme». Ici, le lecteur reste un peu interdit par le tour étrange de la phrase (nous parlons du lecteur qui a connu des passions, bien évidemment). Tout cela est émouvant. Il y a dans la littérature des moments qui ne sont plus simplement du style, mais où  perce une douleur et une joie infinie qui déborde l’étonnement voulu par la phrase elle-même...Allons! si nous repassons par cette «Picardie» imaginaire qui en réalité était Trouville, nous ne manquerons pas de nous arrêter pour y chercher le souvenir d’un embarquement pour Cythère intime et tragique, et si la vue de quelque étoffe écarlate passe par caprice au loin, nous penserons que c’était par là qu’eut lieu cet émerveillement, ce trouble, ce naufrage... Puis nous rêverons en mâchant l’herbe amère et douce du souvenir, comme dit le grand Shakespeare, nous rêverons de bonheurs trop grands et de femmes sublimes.

 

 

Par l'amateur des Lacs Italiens foulant pour une fois quelques grèves brumeuses -elevergeois.com- eric levergeois. On se rapportera au texte qui est disponible en poche garnier - Flaubert n° 581 dans toutes les bonnes Librairies, comme Tschann, par exemple-- elevergois.com - tous droits protégés par mon sabre.

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14 octobre 2012 7 14 /10 /octobre /2012 15:28

Ces grandes allées imaginaires où la pensée se déplace et reste en suspens, ou bien déclame des cantiques de tristesse, est un monde où s’épanouit une mélancolie comme un long brouillard. C’est un territoire où l’on croît rêver sa vie dans un outre-monde plein de fables. On peut y voir des mers, des lagunes, des vagues ressurgissant devant des ciels d’obscurité qui font sombrer dans un cercle d'océan plein d’étoiles tristes. La partition du musicien poète, que le violoncelle anime et remue comme on soulève des flammèches hors d’un orage de vagues , est un songe rythmé et extensible que l’instrument lui-même, solitaire gardien qui sait ordonner le passage des rêves, ayant trouvé la matière et la voix d’intelligences célestes, nous fait entendre. Et le chant d’étranges puissances lui obéissent. Il semble par moments qu’il soit si tard sur le monde, et que tout sorte des racines du silence pour un vol magique d’esprits vitaux au fond du ciel! Le violoncelle, comme rarement, existe seul, chant virtuose entre sommets bleus et fumées, dans l’impalbable substance dont Dutilleux a voulu remplir les sphères où le monde exprime son exigence, sa lumière, sa puissance ascendante et les multiple. Bien plus loin que nos natures mortelles. Cette musique de songe est remplie de forces qui imaginent à partir d’une substance pénétrante et profonde, des voix surnaturelles comme une nouvelle nature parlée. Nul doute qu’il ait fallu à l’auteur la plus phénoménale, la plus ample et la plus vertigineuse imagination alliée au rêve pour créer cette pièce qui par certains côtés, puisque nous savons que son origine doit une part d'inspiration à Baudelaire, réussit à réveiller le merveilleux mot d’ordre obsédant et sombre d’aller “Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau!”  (C. Baudelaire - Le Voyage)

 

(Dans l' interprétation de Myung-Whung Chung et Truls Mork au violoncelle)

 

Par amateur des lacs italiens toujours parcourant les lieux sublimes de la Stendhalie -- eric levergeois -- elevergois.com --

    

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5 octobre 2012 5 05 /10 /octobre /2012 07:49

Il y a dans le long chemin des goût musicaux, des toquades et des pluies de sons dont on ne prend la mesure qu’avec l’âge et qui peu à peu deviennent un récit personnel, une fresque dont on devient le personnage qui se promène à son tour dans le paysage rêvé du compositeur. Sans trop bien connaître le folklore russe ni l’œuvre du peintre à qui ces Tableaux sont dédiés, il s’ y déploie, à mesure que l’écoute s’affine et bat la campagne au gré des variations de timbres et de l’excellence de l’interprétation, un grand sujet capricieux, carillonnant, traversé d’élans de kermesse que les «explications» fournies le plus souvent n’épuisent pas. La fameuse lenteur du pas de promenade, sa cadence, ses notes parfois pleines de lueurs lointaines, tirent le texte vers des mélancolies intenses. D’autres morceaux accumulent campagne, icônes, ciels, constructions, joie, volée de cloches et toutes sortes de visions composant une narration imaginaire chevillée à mythologie de l’univers russe avec des audaces, des violences, des bouffées de chants, prières, de lourds accords appuyés avec une espèce de martèlement qui sortirait d’une -- ou de mille -- scènes d’icônes qui soudain se mettraient à parler en vieux russe, bref il n’ y a pas une maille du texte qui n’éveille à la lecture d’une fable que nul n’a encore transcrite, mais qui défile comme un récit à la veillée ou un aimable conte de sorcière -- ce serait un défi bien amusant que de jouer à faire la troisième (ou quatrième?)  transcription de cette partition tirée de tableaux, qui deviennent musique de piano, puis musique d’orchestre avec Ravel, et pourrait bien revenir aux facettes de diamant originel sous forme de texte explorant les suggestions, les chemins, les sentes, les haltes, les sujets d’origine et finirait en conte, en récit. Un récit virtuose tour à tour enthousiaste et morose, puis éclatant comme une fontaine grandiose ou un hymne rempli de mille soleils, quand arrive cette géniale porte de Kiev finale, qui est comme l’arc de triomphe éblouissant de cette histoire filée par Moussorgsky -- passer sous cette porte, à la fin de la pièce, est comme être entraîné dans une procession magique de costumes, un film, un chapitre, un livre, le point culminant d’une cérémonie, un bonheur que le ciel qui s’ouvre semble venir bénir  en carillon follement sublime!

 

(par l’amateur des lacs italiens eric levergeois elevergois.com -- notre version de réference est celle de Richter à Sofia, la bien connue, mais nous ne sommes bien sûr pas sectaire --) elevergeois.com

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29 juillet 2012 7 29 /07 /juillet /2012 07:22

Ces pièces pour piano qui sont toutes comme des clartés vivement projetées, des colonnes, des monuments de croyance pour le futur et en même temps des explosions d’aurores, prennent avec l’un des interprètes qui les joue en découvrant le ciel d’où elles tombent, le sens de voix stupéfiantes. Sidérantes. Si haut, si souverain avec son clavier d’orgue, le chant de Messiaen  s’élève en murmures d’oiseaux et en tonnerres alternés, quand ce n’est pas en passage de comètes. Et l’artiste-interprète, Roger Muraro, qui connaît bien ces routes élevées qui nous conduisent d’étoile en étoile, fait rayonner tous ces cieux ouverts, fascinants parce qu’inconnaissables. Le langage musical de Messiaen n’est pas facile, certes, mais ici, d’interrogations en réponses, de pluies de notes fragiles en croyances qui paraissent déplacer la terre, il opère comme une vraie révélation, découvrant tant d’ horizons, pays, géographie de croyances, mondes allant plus loin que le monde. Pour autant que nous puissions en juger, la trame de ce flux pianistique qui découvre tant de sommets, et fait entendre un univers sonore qui est initiation, pulsion rythmique et stases,  donne prise sur le grand large épuré, infini. Ce qui s’est passé dans cette musique est l’apparition d’un chant proclamant des  mystères, intrigant,  peut-être à légal de ce que Dante a dit quand il écrivit : et je vis là des choses que ne peut redire celui qui de  là-haut redescend - (1) -- mais Messiaen, qui est moderne et dont le langage s’invente, se surpasse, surprend de bout en bout en créant un univers de croyance dont les limites changent, nous bouleverse. Le dernier cantique du piano laisse sans voix. Et ces pièces étant terminées, l’éclat se prolonge en nous comme si le monde visible était l’envers et non l’endroit. Moments de piano magiques.

 

 

 1     Nel Ciel che più della sua luce prende

        fu' io, e vidi cose che ridire,

       ne sa ne puo chi di là sù discende - Dante - Paradiso

 


 

[Roger Muraro est "the" interprète d'élection de Messiaen, on trouvera dans son site et sa discographie l'intégrale des oeuvres du Maître -- les Vingt Regards sur l'Enfant Jesus, partition d'hier, sont sur un disque Accord -- franchement c'est grandiose et les mots manquent.--elevergois-- -- eric levergeois- -------(infos http://www.rogermuraro.com/prod/?page_id=12) ]

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26 juillet 2012 4 26 /07 /juillet /2012 07:58

J’aime ces eaux tranquilles surtout le soir,  quand la vie semble se taire, s’interroger le temps d’une seconde infinie, et qu’un flux de sentiments vagues suspend l’attention vers un point unique. Des reflets de rouge comme une poussière de cendres mal éteintes tracent des éclats de nacre sur cette soie liquide que rien ne fait trembler, et cependant l’eau métamorphosée suscite un élan d’espoir et de tristesse. Souvent, me revient comme en songe la phrase de Rousseau si sublime dans sa Cinquième Promenade: «...plongé dans mille rêveries confuses mais délicieuses, et qui sans avoir d’objet bien déterminé ni constant ne laissaient pas d’être à mon gré cent fois préférables à tout ce que j’avais trouvé de plus doux dans ce  qu’on appelle les plaisir s de la vie.» Sur cette vue du ciel inversée devenue miroir des rêves, aucun départ ne paraît plus possible. Solitaire au fond de la solitude la plus douce, je pourrais accumuler des mots semblables à ceux du rêveur retiré au sommet de son être: ravissements, extase, et puis ce paragraphe qui commence par: « Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l’île et j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac...» car il me semble retrouver comme une photographique d’un état de l’âme où tout le temps s’égare et s’épuise dans le passé et l’avenir réunis. La légèreté transfigurée de ces rives suscite des tourbillons de passion éperdue vers quelque sonorité particulière et surgie d’un monde inconnu qui joue ses notes les plus graves -- attirante par son aspect musical aux fonds sombres de cordes qui m’enserrent et dès lors, absent de ce monde qui s’éloigne, absent de tout et présent à tout par le miracle continué de ce paysage, étonné et renaissant, entraîné par une sorte de fusion avec des présences innombrables, je vois cette idée triste du soir étendue comme l’essence révélée de tout ce qui vit. De tout ce qui peut vivre.  Et surpris par ce drame, il me semble qu’avec le poète italien de l’Infini, je sombre à mon tour corps et biens dans ce silence, et qu’ humblement naufragare m’è dolce dans cette immense vision --  et je suis simple poussière d’eau portée au hasard des vents par l’heure exquise qui diminue, meurt, et lentement s’éternise.

 

 

 

Par l'amateur des lacs italiens et pour rappeler de faire un petit tour par les Rêveries de Rousseau, c'est le moment où jamais -- eric levergeois -- elevergois.com. Ecrit devant les îles Borromées, juin 2012 --

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21 juillet 2012 6 21 /07 /juillet /2012 14:31

Penser aux quatre derniers lieder de Stauss, se réciter mentalement des passages approximatifs de la jerusalem libérée du tasse avec «già l’aura messaggiera» et tout le bruit de chants d’oiseaux qu’on y entend comme un feuillage qui vibre, être assis sur un contrefort des Alpes parsemé de criquets qui sont comme des petites fleurs qui volent, pouvoir se dire cinquante fois par jour: que cet instant demeure! et s’y fondre, surtout s’il s’agit de l’heure exquise, et alors voir la lumière du jour amenuisée sur la chaussée du sillon dont on se demande toujours si les piliers de bois très hauts sont ceux de chateaubriand enfant ou d'autres (sûrement..), et laisser la question en suspens, tailler la pâte d’un fromage de chaource fondant comme de la neige, aller réécouter dante dit par benigni sur l’internet, se demander si la descente de croix de rubens qu’on voit si souvent reproduite est celle que Gautier et Gérard allèrent voir en prenant la diligence pour «la blonde aux yeux noirs», se souvenir des arrêts des trains la nuit qui se passent dans un monde entre rêve et réalité, remarquer même si c’est stendhalien en diable, «une femme qui marche avec du génie» dans l’allure, s’arrêter devant les nymphes de jean goujon qui ont des jambes et tout le bas du corps en fuseau de pierre, ce qui inévitablement fait penser à d’autres rêveries innocentes mais tristes: pourquoi juliette, sophie, églantine ou zoë ne m’ont pas aimé car avais-je quelque chose de moins que les autres, et tout de suite penser avec proust, qu’ au fond les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus, se remémorer le goût du sorbet au cassis avec un vin blanc frais, et ensuite penser à la mer couleur de vin comme homère (pas tous les jours quand même), mais se demander, à cause du cassis, si tout le monde appelle le mauve bonnard ce qu’ici nous appelons le mauve bonnard qui est au rouge sombre ce que le parfum de la tubéreuse est aux parfums capiteux, et puis laisser l’exercice en suspens au bout de la ligne, ou mieux, abandonner au bord de la page de sel ou de sable notre pêche à la ligne...

 

Jeu de plage conseillé aux lecteurs de Françoise Héritier, dont nous venons de rouvrir le livre avec émotion et reconnaissance -- s'il y avait un "sel de la vie" pour chaque nation, hum, hum, - par l'amoureux des lacs italiens -- elevergois.com -- eric levergeois

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21 juillet 2012 6 21 /07 /juillet /2012 05:40

C’est un petit matin bleu de lin comme le lac et les vents tièdes du matin en répandent en graines et poussières sur toutes les collines et sur toutes  les rives, et ces petits golfes aux airs d’Atlantique paisible ou de baie de l’Estaque surgie avec l’aube. Notre aube sur les lacs: c’est la pâte mobile des eaux qui se soulève en rythme, ne frémit pas encore, et s’y dessine déjà le grand déploiement des palmiers, des agaves, des rochers humides, et tout au bord de ce jour qui renaît, avec au fond de l’âme étonnée et hors d’elle, un lent adagio qui réunifie le paysage sortant de la nuit. De grandes îles d’azur mêlées de bleu d’aquarelle instable et fragile dorment encore: on le voit à l’aspect rêveur de ces sables égrenés sur l’eau qui sont des lointains d’ocre et de dunes qu’aucun vent ne vient agiter.  A l’est des reliefs de la Suisse, enchantement stendhalien par  les hauteurs discutant de passions à venir avec le ciel; à l’ouest, Côme, ses rives intemporelles à peine quittées par des personnages qu’on imagine romanesques ou venus rêver de mélancolie. Tout existe et rien n’existe dans les petites heures du jour que trame un mouvement lent de cordes, de sons graves, tout intérieur, d’une beauté inconnue si proche de la musique avant de se développer, qu’elle semble être une prière pensée mais non dite.  Que fois, au seuil de ces journées d’enchantement, les variations de teintes d’outremer, de cobalt, de couches à peine filtrées plus claires peut-être déjà données par les fleurs, on éveillé l’idée d’un point du jour qui marche majestueusement dans ses métamorphoses! Et les courbes les plus caressantes des montagnes presque montant des eaux nous ont fait rêver de transfiguration, et promis plus que la vie ne peut donner, bien plus! l’éclat de tous les mondes enchanteurs possibles et leurs fables errant sur l’eau, comme les livrets d’opéras, multipliant les légendes où se perdra le poète pour augmenter sa joie.

 

Autre vision matinale de Stendhalie -- pensées rêvées sous forme de premier mouvement de quatuor, ou sur l'envers de L' Elégie de Fauré (par Tortelier, of course) -- encore et toujours par inconditionnel des lacs italiens - eric levergois - elevergois.com- juillet 2012 - to the very few happy few -

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