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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 17:27

Dans les photos d'Atget qui sont comme vides d'air et de sons, et sorties d'un monde médiéval ancien et moderne, se réunissent l'épaisseur d'un temps qui serait celui de Scarbo, celui des grotesques de Gautier, des duels des Trois Mousquetaires et les équipées nocturnes du Raphaël de Valentin de Balzac. Des porches noircis, des charrettes à bras abandonnées, des écrivains sans succès – nous écrivons cela parce qu'il y en eut un rue Dupuytren, au pied de l'escalier, vêtu d'un costume bleu, et qui proposa ses poèmes pauvres pendant près de vingt ans – et surtout des devantures d'échoppes bourrées de balais de paille, de casseroles, d'ustensiles domestiques souvent sous une enseigne énorme qui signe la photo. « Le vieux Paris n'est plus » a écrit Baudelaire ; cependant vers 1900, il en reste des vues par milliers et autour de chacune d'elle on reconstruirait toute une ville. En un cliché, voici de quoi construire une cité antique de nulle part (ou un catalogue des ruines des autres siècles), entre décor de film et réalité borgne, en y ajoutant le grouillement d'êtres laborieux ou illuminés de misère et de faim -- ou de gloire. L'homme qui traverse les époques d'un coup d’œil, celui dont l'imagination feuillette l'album de ces visages de porches de théâtre, sursaute et les croit tous surpris, nus et froids comme des fantômes de ville-cendrillon qui seraient rentrés au logis trop tard, ou traînant des haillons. Mais ce qui surprend et illumine l'intelligence du découvreur, ici, devant ce Paris oriental et composite figé dans un sommeil gélatineux, c'est la démesure : les barges de transport paraissent plus larges que la Seine, les cours découpées en lames de noir et de blanc ont abrité un drame de Dumas, l'escalier sombre d'un hôtel particulier du Marais conduit aux étages d'un palais d'où descendra Swann ou Julie d'Angennes. Rien autant que ces photos ne structure l'édifice d'une humanité variée qui se multiplie au fil des mille intrications. Regarder cette ville-là, c'est encore penser à sa littérature. Alors que nos jours...non, plus d'étagements et de superpositions immémoriaux-- on a balayé les ruines et la transparence, et le génie du temps se moque bien de la mémoire des pierres.

 

"poème en prose" par l'amateur des lacs italiens, eric levergeois -- elevergois.com -- toujours partant ou revant de partir en Stendhalie pour écouter l'abbé Blanès dans son clocher ou la "petite lame" qui se brise sur la rive -- to the happy fewer. (de nombreuses photos d'Atget sont accessibles sur Gallica bnf fr)

 

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