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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 17:24

C’est  un pont courant entre les roseaux qui montent la garde dans le brouillard, un pont déformé par le climat humide et qui va on ne sait où -- ou plutôt si: il va se fondre au loin dans une sorte de rizière, une fin de lagune sombre où les barques touchent le ciel.  Au premier regard, c’est un chemin de bois qu’on voit, un sentier de nostalgie qui permet au marcheur des landes grises, des matins irréels et autres paysages d’humilité, de circuler au-dessus des eaux mortes. Comme la vase tord à sa guise les planches et les pilotis, on  pense d’abord à ces canaux où les fleuves se divisent, aux petits matins où l’âme se pend, et puis l’eau, la brume, la forme de la longue passerelle s’infinisent -- renaissent alors des scènes de Faulkner ou de Conrad,  ou bien les cachettes de Huck Finn, car les livres sont pleins de scènes «culte» comme on dit de nos jours, bref cela ferait un beau décor pour pages de visions cachées. Mais  le tableau photographique a une légende:  il illustre un article sur la fin de la poésie.

 

Là-bas au bout de la passerelle traçant son serpentin sur les grandes lances des herbes pleines de froidure et d’eau glacée, il faut s’imaginer que l’écrivain a voulu dire que la poésie touche à sa fin. La nostalgie et les vertus de l’amour touchent à leur fin, l’imagination des faiseurs d’épopées touche à sa tombe ultime, et si les photos sont le lieu qu’elles ne sont pas, celle-ci qu’on a tirée du point du jour est simplement l’instant du passge final vers le vide.  

 

C’est le matin où sonne le glas. La passerelle de la poésie s’en va courant entre des arbres sombres, tout ce qui surnage s’ophélise en oripeaux de deuil, et le chemin de planches bâti à force de courage et de fantaisie, s’en va vers un lieu sans lumière où dansent des âmes de disparus. Et ce pont disparaît avec elles, plus loin, dans un on-ne-sait-où, pas loin du je-ne-sais-quoi déjà célèbre, simplement et à petit bruit, désirant s’effacer de soi-même, comme les temples qu’on ne peut même pas piller, parce qu’ils sont bâtis dans des ciels d’imagination, les pieds touchant l’eau et la tête perdue entre des ombres blanches, avec deux yeux de bruine légère, grise et diamentée.

 

(elevergois- eric levergeois- toute ressemblance avec des paysages tirés des rives du Pô n'est peut-être pas fortuite -- tous droits protégés par mon colt -- elevergois.com -- un salut aux stendhaliens amoureux des rives des lacs) -elevergois.com

 


 


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