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6 mars 2015 5 06 /03 /mars /2015 03:22

Je vais vous faire à tous une confession qui n'a rien à voir avec les sempiternelles plaies de notre temps, mais qui me tient à coeur : en décembre, en modifiant les paramètres de mon navigateur (Linux) pour aller écouter des radios et des chansons brésiliennes, je suis tombé par hasard sur un miracle. Il était d'ailleurs temps, puisque l'année de la France et du Brésil réunis allait s'achever. J'écoute donc une radio qui s'appelle Jovem Pan, et je vois en bandeau au-dessus de la page: O blog do poeta. Et je me dis que ça doit être un peu comme chez nous, un pseudo lyrique qui épate la galerie, eh bien non ! Oh, que non! Je suis tombé sur cette chose si rare sur cette terre et qui se passe dans la grande cité de Sao Paolo d'où viennent un bon nombre de mes étudiants: là-bas, un grand poète, un vrai poète, un homme qui s'était rendu célèbre en lisant sa poésie avec de grands hauts parleurs, sur le Viaduc de Chà, pendant la sombre période de la dictature, un vrai poète parlait chaque jour à ses lecteurs. Incroyable, invraisemblable, et puis après m'être frotté les yeux et les méninges une bonne dizaine de fois, il a fallu que je cède à cette évidence: c'était vrai, et magnifique.

Vous allez me dire, comme V. Jankelevitch dans la célèbre émission  de Pivot qui fit vendre tant de livres au philosophe musicien, avec un petit haussement d'épaules : bof, la poésie? Mais à quoi ça sert ! Ca ne sert à rien, c'est fait pour les paresseux ou les ménagères qui songent aux amourettes passées, en fermant leur bouquin le soir, avant de couper la lumière près d'un époux ennuyeux. Et bien non, la poésie d'un vrai poète, c'est autre chose. C'est une parole qui vient d'une telle profondeur qu'on la reconnaît à tous les coups parce qu'elle est vraie, parce qu'elle avance pour dévisager la tristesse, le destin, la misère, avec cette impression - car les poètes créent leurs lecteurs - que vous vous jetez à l'eau dans un courant de mots qui vous bouleverse. Et puis les poètes, les vrais, sont des miroirs du temps qu'il fait au coeur du monde, et par exemple s'il s'agit de période de guerre et qu'on prenne l'exemple d'Aragon ou d'Eluard, ou de Char, vous allez vous rappeller que ces poètes-là, comme leurs frères en poésie, ne sont pas les derniers à avoir du courage quand il le faut. Villon finit on ne sait trop comment. Un certain Pierre Petit fut brûlé pour des poèmes licencieux ou jugés tels; Théophile de Viau ne se remit jamais de son séjour dans les prisons de l'époque Louis XIII, pour ne pas parler des poètes et poétesses russes - Pasternak, Mandelstam, Akhmatova qui dut apprendre et transmettre en le faisant apprendre à des gens qui le faisaient apprendre à leur tour son sublime "Requiem" , et Marina Tsvetaeva qui retourna en je ne sais quelle lande tartare où elle périt comme on sait - qui sont une gloire immense, un message de beauté, de lumière, de résistance: tout ce dont l'homme a  un besoin fondamental!

Alvaro Alves de Faria est né en 1943, et notre BNF nationale possède un certain nombre de ses oeuvres, car il n'a pas échappé à certains que c'est un grand artiste. Comme la première thèse en portugais paraissait sur lui au Portugal, comme on le fêtait, récemment je lui ai envoyé un humble article de louanges, qu'il a placé avec une belle Tour Eiffel sur son blog et il m'a traduit mon article de sa main, ce dont je le remercie vraiment du fond du coeur (le Monde est cité dans cet article, idem pour d'autres blogs où je me suis permis, comme critique et professeur à L'Alliance Française, de signaler l'événement aux sites électroniques et revues qui ont réagi comme il se doit). Reste qu'il y a sous cette présentation d'un poète parlant chaque jour à ses lecteurs, une petite question, ou plutôt une requête.

J'aimerais bien qu'on ait en France, en Italie, sur la lune, partout où on se branche et où on se connecte, un poète français de notre temps qui parle à des gens qui le suivent et qui l'aiment, et qui le regardent comme un descendant des plus grands. J'aimerais bien que quand on parle de littérature, on le fasse avec passion, avec rage, avec l'envie d'en découdre, et pas toujours pour d'obscures nuances du positionnement politique de tel ou tel. Et puis je voudrais dire à tous: ne vous laissez pas dire que la poésie est un machin vermoulu fait pour les écoles, non, la poésie est le fait d'un vrai poète qui se bat pour elle et pour faire la lumière, pour le combat, l'hallucination, l'émerveillement dont il faut connaître au moins une petite part si au bout du compte avoir vécu signifie quelque chose. Une année, il y a longtemps, j'avais écrit sans trop savoir ce qui allait m'attendre, un article qui avait ce titre: "Pitié pour les poètes" sans grand espoir. C'était dans un magazine du genre Cosmo ou Marie-Claire, un peu en haut de la page de gauche en la retournant, donc très mal placé, et bien au contraire de ce que nous pensions tous, j'ai eu une cinquantaine de lettres de personnes qui y avaient pensé sérieusement,  et qui s'en voulaient de n'avoir pas gardé dans leur vie le poète de leurs vingt ans, et des tas d'autres confessions étranges, gênées, sincères, pleines de regrets et même de remords. Bizarre, non?

Comme il va falloir s'occuper très sérieusement de la voix de ce poète lointain et proche à la fois (qui a écrit un très, très beau livre sur les poétesses de son pays, disponible sur Google.books, ça s'appelle Palavra de Mulher et c'est très émouvant et sensible) - et comme les numéros d'opus de cet écrivain sont assez nombreux, j'en profite pour lancer un clin d'oeil aux traducteurs du portugais, comme ça en passant. Et je continue à aller voir ce que le poète - et plus généralement le Brésil de la poésie, ont a dire de beau avec de belles paroles de poésie, sur le blog du poète. Et à me documenter sérieusement. Et oui, voyez-vous ça, un blog de poète, quelle merveille, quelle étonnante et extraordinaire merveille! (et naturellement j'apprends le portugais, ce qui avec un peu d'italien et d'espagnol au départ n'est franchement pas insurmontable) . Bonne poésie à tous, donc, et un grand salut aux poètes et poétesses de ce  grand pays qu'est le Brésil qui est lié à nous par une longue tradition intellectuelle,  et  que marquent des échanges lyriques, passionnés, et pleins d'enthousiasme!

 

Article transféré qui prend quelques jours de vacances en "une" ici, et qui retournera dans les archives un peu plus tard. elevergois - eric levergeois --

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