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14 juin 2013 5 14 /06 /juin /2013 06:37

On ne peut dire que dans l'éblouissement absolu l'emprise d'atmosphère que révèlent les premières pages d'Arcane 17 d'André Breton, avec son élan incantatoire et cette prose de devin qui va soulevant l'air de Gaspésie avec la science de l'alchimiste et du découvreur. Il est difficile de ne pas y voir, ou même y entendre comme l'ouverture d'une pièce de Bartok où genres, couleurs, territoires, sont tous revêtus d'une substance où l'invention du songe donne une vie d'éclats qui fait que le monde se lève ici tout autre. Breton est toujours lumière d'un soleil levant. Il puise par la manipulation aisée des genres premiers, quelque chose que ses mots ouvrent comme des portes de verre, avec la perfection surprenante de la lame qui découpe dans les jeux usuels du sens des embrasures qui font voir et dépasser l'imaginable. Sur ce territoire de baies immenses et d'oiseaux, au-dessus de vastes ressacs mêlés d'accords de teintes prises aux choses, s'élabore un tableau d'aplats tirés du cœur de pierres et d'eaux jusqu'alors inconnus, et la vie du poète appelle des conquêtes en volutes marines lumineuses. Sur quel plan incliné comme un marbre noir coulent et glissent ces instants – cadencés dans cette prose où toute image est sans retour, indissoluble alliage avec son bruit de coffre à secrets– et se déroule le mouvement en surplomb de ces pages ? A la fois aux aguets dans l'antre des anciens navigateurs, renouvelant des traversées de brumes qui invitent à désigner une aube verte et sous-marine de Gaspard Friedrich, la phrase de Breton quand il tend l'arc de sa phrase, saisit des horizons ; il paraît y dompter, comme les dieux antiques courbaient de leur main les vagues, dans un cercle magique qui n'enserre pas un monde conquis mais le débusque et l'enchante – le secret fabuleux des distances et des images, et ainsi, nous nous ne pouvons que recopier, fascinés, entre la mélopée et le cisèlement, cet andante consacré à l'amour : « Grandes orgues de l'amour humain par la mer, de son mouvement tout abstrait s'engouffrant dans la ville, par le soleil de minuit ouvrant, fût-ce dans un taudis, les fenêtres sinueuses des châteaux de glace, par les vertiges qui se lissent les ailes pour se préparer à prendre en écharpe, qui toute la boucle d'un soir de printemps, qui l'écho sans fin embusqué dans un vers ou dans tel membre de phrase d'un livre, qui la plainte d'une étoile de cuivre... » Il faut tout citer. Il faut ne jamais renoncer à vivre de cette poésie qui dévoile et dévaste et surmonte, qui n'a de mot cible que le sacrement du sacrifice ultime, et dont les scènes séparées donnent sur les accidents qui assurent la vraie présence des poètes. Et la vraie présence du monde, alors il est peu de livres aussi vrais pour indiquer la place des nouveaux jours que celui-ci --un livre qui par ailleurs fut écrit en écho proche et lointain des temps de guerre.

 

 

(Arcane 17 – André Breton --  Livre de Poche Biblio) -- eric levergeois, elevergois.com-- amateur des lacs et entrelacs italiens et de "ces belles montagnes jouent sur mon coeur.." etc...passant émerveillé de Stendhalie. 

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